La péninsule Ibérique est peuplée par l'homme moderne depuis le Paléolithique Supérieur entre 35.000 et 40.000 ans. Pendant le Maximum Glaciaire, elle est devenue un refuge avant de devenir une des sources de la repopulation de l'Europe au moment de la fonte des glaciers. Depuis, elle a reçu un certain nombre de cultures dont les fermiers Néolithiques en provenance des îles de l'est méditerranéen, les Proto-Indo-Européens arrivant des Steppes d'Europe de l'Est, les Tartéssiens qui apparaissent au 9ème siècle av. JC, les Ibères venant de l'est méditerranéen ou d'Afrique du Nord et les Celtes arrivant d'Europe Centrale vers 450 av. JC. Aux temps historiques, ce sont les Phéniciens du Moyen Orient, les Grecs, les Romains, les tribus Germaines d'Europe Centrale, les Vikings de Scandinavie, les Arabes du Golfe Persique et les Berbères d'Afrique du Nord aussi bien que les Roms d'Inde, qui ont contribué à la composition génétique de la péninsule Ibérique.

A la fin du 7ème siècle, les Arabes et les Bédouins sont arrivés dans l'ouest de l'Afrique du Nord en provenance de Damas. En 711, une armée Berbère sous commandement Arabe a traversé le détroit de Gibraltar et en l'espace de 4 ans a conquis presque toute la péninsule Ibérique à l'exception des Asturies, du Pays Basque, de la Cantabrie, de la Galice et d'une bonne partie des Pyrénées. Les occupants sont restés plus de 5 siècles suivi d'un retrait graduel vers l'Andalousie. Le contrôle politique Islamique a quitté définitivement la Péninsule Ibérique à la fin du 15ème siècle. Cependant une part de la population Arabe ou Berbère est restée dans la péninsule Ibérique. Entre 1520 et 1614 les Musulmans ont du choisir entre la conversion au christianisme ou quitter le pays. Pendant ces 800 ans d'occupation un flux de gènes bidirectionnel s'est échangé entre les deux communautés. Au 16ème siècle un certain nombre de musulmans ont été déplacés vers le Nord de l'Espagne, notamment en Galice, et des chrétiens ont été installés en Andalousie dans les régions laissées vacantes.

On pense qu'environ la moitié des musulmans d'Andalousie se sont convertis au christianisme. Certains ont changé leur nom et sont devenus des chrétiens pratiquants, d'autres appelés crypto-Musulmans, ont été baptisés mais ont continué de pratiquer leur ancienne religion en secret. Il est donc probable que l'occupation Islamique a eu un profond impact sur la composition génétique de la péninsule Ibérique.

Des études génétiques précédentes ont montré que les populations Ibériques ne sont pas uniformes. Par exemple, les Basques sont caractérisés par de très hautes fréquences de l'haplogroupe R1b (87,1%) du chromosome Y, et une des plus faibles fréquences de l'haplogroupe E1b-M81 (2%) caractéristique des Berbères. Ce dernier marqueur se retrouve à 11,5% à Malaga, 10,5% en Galice et 8,6% en Cantabrie. Le marqueur E1b-M123 est supposé originaire du Proche-Orient. Ses plus hautes fréquences en Ibérie sont en Galice (5,2%) aussi élevée qu'en Tunisie (5,2%) et Algérie (3,1%). Le marqueur E1b-M78 est originaire d'Afrique de Nord-Est vers l'Egypte ou la Lybie. On le retrouve en Asturie (10%), au sud de l'Espagne (3,2%) et au sud du Portugal (4,1%). Un de ses sous-groupes E1b-V13 est spécifique de l'Europe et supposé diffusé pendant le début du Néolithique en Europe. Un squelette Néolithique de Catalogne appartient à ce sous-groupe. Le marqueur J1a-P58 est originaire du Moyen-Orient. Il est daté d'enviton 10.000 ans et est associé à la diffusion des bergers-chasseurs Sémitiques dans la Péninsule Arabique. Cet haplogroupe est relié notamment à l'arabisation de l'Afrique du Nord. On le retrouve à une fréquence qui varie entre 40 et 75% en Arabie. En Ibérie il a été seulement détecté en Andalousie avec une fréquence de 1,1%.

Du point de vue de l'ADN mitochondrial, l'haplogroupe U6 daté d'envrion 50.000 ans a été seulement observé en Galice (2,2%) et dans le nord du Portugal (4,3%). L'haplogroupe L1 se retrouve à Cordou (8,3%) et en Galice (3,7%).

María Regueiro vient de publier un papier intitulé: From Arabia to Iberia: A Y chromosome prospective. Les auteurs se sont focalisés sur la diffusion Islamique dans la pénisnule Ibérique. Pour cela, ils ont analysé les populations de la péninsule Arabique, de l'Afrique du Nord et de la péninsule Ibérique. Un total de 1233 hommes ont été testés pour leur ADN du chromosome Y. Ils sont de Tunisie, du Maroc, d'Espagne, du Qatar, d'Oman, du Yémen, d'Egypte, des Emirats Arabes Unis et de Bahrein. Un total de 8 marqueurs SNP en aval de J1a-P58 et 4 marqueurs SNP en aval de E1b-M81 ont été testés, ainsi que 17 marqueurs STR.
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Sur les 1233 échantillons, 271 appartiennent à l'haplogroupe J1a-P58 et 136 à l'haplogroupe E1b-M81. J1a-L222* est le seul sous-groupe de J1a-P58 identifié en Afrique du Nord-Ouest: 25% à Sfax, 15% à Béja et 17% au Maroc. Cependant aucun échantillon d'Espagne appartient à ce groupe. En Espagne seul le sous-groupe J1a-L147* est détecté. Les plus hautes fréquences de J1a-L222* se retrouvent au Qatar (39%), à Oman (12%), en Egypte (5%), Bahrein (5%), aux Emirats Arabes Unis (2%) et au Yémen (2%). A l'inverse le sous-groupe J1a-L147 diminue du Yémen (59%) à Bahrein (2%). Le sous-groupe J1a-L65 est observé à faible fréquence au Qatar (7%), à Bahrein (2%) et au Yémen (2%), mais il atteint 21% aux Emirats Arabes Unis. Le sous-groupe J1a-L92 est seulement détecté dans 2 populations à basse fréquence dans les Emirats Arabes Unis (4%) et à Oman (3%). Le groupe J1a-P58* est trouvé à basse fréquence au Yémen (6%), à Bahrein (5%), à Oman (2%) et au Qatar (1%).

L'haplogroupe E1b-M81 est absent au Proche-Orient et en Egypte. On le retrouve en Afrique du Nord-Ouest et en Espagne. Le sous-groupe E1b-M183 représente 100% des E1b-M81 à Béja (55%), au Maroc (53%) et à Sfax (27%). Par contre en Espagne on trouve des échantillons E1b-M81*.

La figure ci-dessous représente les cartes de fréquence et de diversité pour les haplogroupes J1-M267 (2a et 2b) et E1b-M81 (2c et 2d):
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La figure ci-dessous représente le réseau des haplotypes appartenant au groupe J1-M267:
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La valeur modale (le plus gros cercle) est partagée par 54 individus d'Algérie, d'Egypte, du Maroc, du Qatar, des Emirats Arabes Unis, du Yémen et de Tunisie. On n'en trouve pas en Espagne. Les Berbères de Sened ne possèdent pas non plus cette valeur modale, peut-être dû au fait qu'ils ont une ascendance non Arabe.

Une Etude Multi Dimensionnelle a été réalisée basée sur la distance génétique des haplotypes J1a-P58. Les Galicien se situent à part:
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La seconde dimension sépare non seulement les populations Tunisiennes (Béja et Sfax), mais aussi les populations Espagnoles (Andalousie et Galice), bien qu'elles se rejoignent par paires dans la première dimension.

Les estimations des âges du groupe J1a-P58 sont de 5300 ans à Oman, 4700 ans en Egypte et 4700 ans en Espagne. L'âge de J1a-L222* est de 2100 ans en Egypte, 1500 ans au Qatar, 1200 ans à Oman, 1800 ans au Maroc et 1800 ans en Tunisie.

Il n'y a pas d'haplotypes STR appartenant à l'haplogroupe E1b-M81 partagés entre l'Afrique du Nord et l'Espagne. La diversité de E1b-M81 est supérieure en Espagne, probablement suite à plusieurs migrations successives en provenance d'Afrique du Nord-Ouest.

La figure ci-dessous représente le réseau des haplotypes appartenant au groupe E1b-M81:
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La valeur modale est partagée par 165 individus de Tunisie, d'Algérie, des Touaregs de Lybie, du Maroc, du Portugal et d'Espagne.

L'estimation de l'âge de ces sous-clades a été fait en utilisant les taux de mutation évolutionnaire et généalogique. L'expansion la plus ancienne se retrouve en Espagne (5000 ans) et notamment en Andalousie (7000 ans). Ces valeurs sont probablement gonflées par l'arrivée de multiples migrations à différentes époques.

La présence de l'haplogroupe E1b-M81 dans la péninsule Ibérique peut s'expliquer par le récent influx des troupes Berbères recrutées par les Arabes durant l'expansion Islamique qui a débuté en l'an 711. Cependant de possibles migrations plus anciennes en provenance d'Afrique du Nord-Ouest sont à envisager. La présence de cet haplogroupe dans le nord-ouest de l'Espagne en Galice et en Cantabrie peut s'expliquer par les relocalisations des musulmans convertis à la fin du 16ème siècle. Une autre explication serait donnée par une éventuelle migration européenne dans le sud de l'Espagne qui aurait dilué le signal nord Africain, contrairement au nord de l'Espagne.

La région du croissant fertile est considérée comme la place d'origine la plus probable pour l'haplogroupe J et ses sous-clades J1 et J2. J2 est la sous-clade la plus fréquente en Europe, notamment le long des côtes méditerranéennes. Ce signal peut-être dû à l'expansion Néolithique, mais aussi à l'expansion Phénicienne ou à d'autres expansions maritimes. Des études précédentes de l'haplogroupe J1 ont montré qu'il apparait à hautes fréquences dans les populations parlant Arabe au Moyen-Orient, habituellement interprété comme reflétant l'expansion islamique du premier millénaire. D'autres événements démographiques ont été associés à cet haplogroupe comme la diffusion des chasseurs-cueilleurs ou des bergers-chasseurs Sémitiques d'Arabie. En effet l'âge de la sous-clade J1a-P58 correspond à la date supposée de la diffusion des langues Sémitiques autour de 5750 ans.

La distribution aléatoire dans les réseaux obtenus pour les différents haplogroupes et l'âge estimé équivalent d'une région à l'autre peut être indicatif de dynamiques de mouvements de populations lié à l'expansion islamique entre l'Arabie et l'Ibérie.

La mutation J1a-L65 est récente et montre une intéressante distribution géographique. Il est probable que cette mutation ait émergé après l'expansion islamique dans le Nord de l'Afrique. Sa fréquence est de 20,9% dans les Emirats Arabes Unis, et chute brutalement à 7,3% au Qatar, 2,4% à Bahrein et 1,6% au Yémen. Il est possible que la structure de la famille islamique basée sur plusieurs femmes peut avoir facilité l'expansion de J1a-L65 dans les Emirats Arabes Unis principalement.

La présence des haplogroupes E1b-M81 et J1a-P58 dans la péninsule Ibérique représente la signature de flux de gènes en provenance d'Afrique du Nord-Ouest et de la pénsinule Arabique respectivement. Cette étude a montré que ces données sont compatibles avec de multiples migrations en provenance d'Afrique du Nord-Ouest dont l'expansion islamique du 8ème siècle. Il est intéressant de noter que les plus hautes fréqeunces de ces haplogroupes en Espagne sont dans le nord-ouest et non en Andalousie comme on pouvait s'y attendre. Les auteurs proposent que ce fait soit lié à la relocalisation des musulmans convertis dans le nord ouest de l'Espagne, ou à la migration des crypto-Musulmans vers des régions plus sûres. Des migrations pré-islamiques peuvent également expliquer ces données.