Clio Der Sarkissian a publié sa thèse intitulée: Mitochondrial DNA in Ancient Human Populations of Europe en juillet 2011. Ce travail avait pour objectif d'étudier l'histoire génétique de trois populations européennes: les Saami, les Sardes et les européens de l'est à travers leurs lignées maternelles. Pour cela des tests génétiques ont été réalisé sur trois populations européennes de différentes époques: les européens du nord-est entre 8000 ans et 200 ans, les scythes de l'âge du fer entre 2600 et 2300 ans et les Sardes de l'âge du bronze entre 3400 et 3200 ans. Ces tests mitochondriaux ont été faits sur la région de contrôle et sur quelques SNP de la région codante afin de discriminer les différents haplogroupes. 2012 Der Sarkissian Table 1
2011 Der Sarkissian Figure 1

Europe du nord-est:

Des tests ont été réalisés à partir de 96 dents appartenant à 48 individus du site archéologique de Uznyi Oleno Ostrov en Carélie daté du mésolithique, 6 dents appartenant à 3 individus du site archéologique de Popovo au bord de la rivière Kinema daté également du mésolithique, 45 dents appartenant à 23 individus du site archéologique de Bolshoy Oleni Ostrov de la région de Murmansk daté de l'âge du bronze, et enfin 68 dents appartenant à 42 individus du site archéologique de Chalmny-Varre de la région de Murmansk des 18 et 19ème siècles de notre ère. Les résultats sont les suivants: 2011 Der Sarkissian Table 2
2011 Der Sarkissian Table 3
Si maintenant, on compare ces résultats avec les populations actuelles d'Europe, de Sibérie et du Moyen-Orient à l'aide d'une Analyse en Composante Principale on obtient le graphe ci-dessous: 2011 Der Sarkissian Figure 2
La population mésolithique de Uznyi Oleno Ostrov et Popovo possède majoritairement des haplogroupes européens (75%): U4, U2e, U5a et H, contre 25% d'haplogroupe C sibérien. Elle est très différentes de la population actuelle de l'Europe du nord-est.
La population de l'âge du Bronze de Bolshoy Oleni Ostrov est également hétérogène et se réparti entre haplogroupes européens et haplogroupes sibériens. Il y a 39% d'haplogroupes européens: U5a, U4 et T, et 61% d'haplogroupes sibériens: C, Z et D. Ceci explique la position de cette population plus proche des sibériens actuels sur le graphe d'Analyse en Composantes Principales.
La population du cimetière Saami des 18 et 19ème siècles est très différente. Elle est composée des haplogroupes V (64%), U5b (29%) et U5a (7%). Cette population est très proche des Saami actuels.
Il y a donc clairement une discontinuité génétique entre les populations Saami (actuels et historiques des 18 et 19èmes siècles) et les populations préhistoriques de la région. Seul l'haplogroupe U5a se retrouve dans toutes les populations. Ceci suggère un flux génétique arrivant dans cette région après l'âge du bronze.
Le lien entre les populations mésolithiques et la Sibérie est donné par la présence de l'haplogroupe C1 qui est quasiment absent des européens actuels, et est supposé d'origine asiatique. Cinq sous-clades sont connues: C1a, C1b, C1c, C1d et C1e qui se répartissent entre l'Islande (C1e), l'Asie de l'est (C1a) et les Amériques (C1b, C1c et C1d). 2011 Der Sarkissian Figure 3
Le lieu d'origine de l'haplogroupe C1 est supposé autour de la rivière Amur juste au sud de la Béringie. En Europe la fréquence de C1 est extrêmement faible. Il a été trouvé en Allemagne, aux Iles Canaries et en Islande. Il y a trois hypothèses concernant la présence de C1 en Europe:

  • une arrivée en Europe à partir des Amériques, soit après la découverte du nouveau monde par Christophe Colomb, soit après les incursions Viking en Amérique du nord
  • une arrivée en Europe à partir de l'Asie, aux temps historiques, par exemples arrivée des Huns aux 4 et 5ème siècles, ou des Mongols au 13ème siècle. Cependant la sous-clade C1a asiatique possède la mutation 16356 qui n'est pas présente dans les haplotypes européens.
  • une arrivée en Europe aux temps préhistoriques. C'est le scénario le plus plausible à la vue des trois échantillons de Uznyi Oleno Ostrov en Carélie.


Un des trois échantillons mésolithique de l'haplogroupe C1 issu de la population Uznyi Oleno Ostrov a été séquencé totalement. Les résultats ont montré que cet échantillon appartient à un nouvel haplogroupe C1f: 2011 Der Sarkissian Table 4
Cet haplogroupe C1f est donc défini par les 5 mutations: 247A, 8577G, 11605T, 12217G et 16189C. Après une recherche spécifique, il s'est avéré que les trois haplotypes C1 de Uznyi Oleno Ostrov possèdent ces 5 mutations. Les trois individus sont donc étroitement reliés génétiquement.

Les bords de la Mer Noire:

Des tests ont été réalisés sur 34 dents appartenant à 17 individus du site archéologique de Rostov sur le Don de la culture scythe daté entre 2600 et 2200 ans. Les résultats ont été ensuite comparé avec les précédents résultats d'ADN ancien dans la région et avec les populations actuelles. Les résultats sont les suivants: 2011 Der Sarkissian Table 5
On obtient ainsi 62,4% d'haplogroupes occidentaux (H, I, T, U2 et U5), 31,3% d'haplogroupes orientaux (A, C, D et F) et 6,3% d'un haplogroupe indéfini: U7. L'Analyse en Composantes Principales montre que les scythes sont proches des européens: 2011 Der Sarkissian Figure 4
L'analyse des haplotypes montrent une plus grande affinité génétique avec l'Asie Centrale. Notamment 6 haplotypes ont une correspondance parfaite avec des individus actuels d'Asie Centrale: U5a, U2e, H2a1, A4, F1b et D*. Concernant les populations anciennes, les haplotypes A4 et F1b ont des correspondances parfaites avec des individus de l'âge du fer en Kazakhstan et Mongolie pour A4 et des individus du néolithique proche du lac Baïkal et de l'âge du fer de Mongolie pour F1b.
4 haplotypes ne se retrouvent pas dans les populations actuelles d'Asie Centrale: I3, T2, C et D4b1. Cela peut être dû à un sous-échantillonnage des populations actuelles d'Asie Centrale, mais également à des liens génétiques spécifiques. L'haplotype I3 se retrouve dans les populations actuelles de Pologne, Russie, Hongrie, Turquie et Italie. Des correspondances proches se retrouvent également dans les populations de l'âge du bronze des Kazakhs et des kourganes de l'âge du fer du sud de la Sibérie. L'haplotype T2 se retrouve dans les Tatars actuels de la région Volga-Ural, en Russie de l'ouest et dans le Caucase, ainsi que dans des populations de l'âge du bronze en Kazakhstan. L'haplotype C se retrouve dans les populations actuelles de Hongrie et les Bashkirs de la région Volga-Ural. On le retrouve également dans les populations néolithique du lac Baïkal, de l'âge du bronze du Bassin du Tarim et de l'âge du fer de la culture Sargat. L'haplotype D4b1 peut avoir une origine est eurasienne car trouvé dans les populations de l'âge du fer de Mongolie et de l'Altaï. Il est également trouvé dans les populations actuelles de Sibérie et de l'est eurasien.

A l'âge du bronze, les populations nomades d'Eurasie Centrale (Kazakh, Kourganes du sud de la Sibérie et Altaï) sont constitués principalement d'haplogroupes occidentaux: H, HV, K, I, T et U. De la même façon les scythes possèdent ces haplogroupes: H, I3, T1a, T2 et U5a. Cela suggère une origine génétique commune entre les populations de l'âge du bronze et les scythes. Ces haplogroupes sont aussi communs avec les chasseurs-cueilleurs de la culture Pitted Ware de Scandinavie. Il y a deux explications possibles:

  • il y a une continuité génétique mitochondriale entre le paléolithique et l'âge de fer
  • les haplogroupes occidentaux ont atteint la Sibérie plus récemment, par exemple avec la culture Afanasievo

La discontinuité génétique entre les populations nomades d'Eurasie Centrale de l'âge du bronze et celles de l'âge du fer suggère un influx génétique en provenance de l'est juste avant ou durant l'âge du fer. Cet influx oriental se rajoute au substrat d'haplogroupes occidentaux.

Sardaigne:

Des tests ont été réalisés sur 34 dents de deux sites archéologiques de la commune de Seulo au centre de la Sardaigne datés de l'âge du bronze entre 3400 à 3200 ans. Seuls 16 échantillons ont donné des résultats: 2011 Der Sarkissian Table 6
On obtient les haplogroupes suivants: T (31,3%), H1 (25%), K (18,8%), V (12,5%), J (6,2%) et X (6,2%). Les résultats sont ensuite comparés avec les populations actuelles de Sardaigne. Les population de l'âge du bronze ont de plus hautes fréquences pour les haplogroupes T, K, V et X mais de plus faibles fréquences pour H et J. L'analyse des haplotypes montre que l'on trouve des correspondances parfaites pour 7 sur les 10 haplotypes. 6 des haplotypes sont basiques et se retrouvent largement en Europe et n'apportent donc pas d'information. Notamment ces haplotypes se retrouvent largement dans les populations actuelles de Sardaigne. L'haplotype non basique K se retrouvent également dans les populations actuelles de Sardaigne. Les trois autres haplotypes non basique sont T2. Un des haplotypes est unique et ne se retrouve nulle part, Un autre a une correspondance parfaite en Iran, et le dernier a une correspondance parfaite en Bulgarie. La rareté de ces haplotypes T2 en font des marqueurs de l'âge du bronze en Sardaigne centrale. Il n'y a donc pas de preuve directe d'une continuité génétique entre les populations de l'âge du bronze et les populations actuelles de Sardaigne Centrale. Il est difficile de comparer cette étude avec l'étude de Caramelli et al de 2007 sur des échantillons nuragiques datés de 3400 et 2700 ans. En effet dans cette étude les échantillons sont répartis sur toute la Sardaigne, et les résultats ont porté uniquement sur la région de contrôle HVRI. Ainsi de nombreux échantillons associés à l'haplogroupe H pourraient en fait appartenir à l'haplogroupe U, voire aux haplogroupes X ou J/T. Pour rappel l'étude de Caramelli et al a montré que 91,3% des échantillons appartenaient à l'haplogroupe H, contre seulement 25% dans cette étude. 2011 Der Sarkissian Figure 5
Cette étude a montré que la diversité de la population sarde de l'âge du Bronze ressemble à celle de la population sarde actuelle. Ceci suggère donc une continuité génétique. Ainsi, la Sardaigne centrale a été isolée génétiquement des événements migratoires qui ont eu lieu après l'âge du bronze en Europe.

Discussion générale:

Les résultats de la présente étude ont été comparés avec les études précédentes d'ADN ancien en Eurasie. Les populations paléolithiques et mésolithiques d'Europe sont caractérisées par une haute fréquence et une forte diversité de l'haplogroupe U. Il y a une forte discontinuité en Europe entre le mésolithique et le néolithique. Ce dernier est caractérisé par une faible fréquence de l'haplogroupe U, une forte fréquence de l'haplogroupe N1a en Europe centrale et une forte diversité des différents haplogroupes dans le sud de l'Europe. Ces résultats indiquent une forte discontinuité entre le néolithique et les populations actuelles en Europe Centrale, et inversement une continuité entre le néolithique et les populations actuelles dans le sud de l'Europe. D'autre part ces études montrent une influence génétique de la Sibérie et l'Asie centrale sur l’Europe de l'est à la fois dans le nord et le sud. L'origine des Saami reste mystérieux à cause de la forte discontinuité entre l'âge du bronze et les populations historiques en Scandinavie. La Sardaigne montre une continuité génétique entre les populations préhistoriques et les populations actuelles.