Paul Brotherton de l'université d'Adélaïde en Australie vient de publier un nouveau papier intitulé: Neolithic mitochondrial haplogroup H genomes and the genetic origins of Europeans. Un point clef de la préhistoire jusqu'ici sans réponse, est de savoir si les changements culturels identifiés par l'archéologie sont associés à des mouvements de personnes, ou simplement de propagation d'idées et d'objets. L'archéologie de l'Europe Centrale identifie de profonds changements culturels et économiques entre les chasseurs-cueilleurs du mésolithique, et les premiers fermiers du début du néolithique, jusqu'aux chefferies de l'âge du bronze. La nature exacte et le contexte génétique de ces différents changements durant des millénaires restent obscurs, quoique des études précédentes concernant des tests d'ADN ancien suggèrent une série d'événements liés à des entrées génétiques en Europe Centrale, en provenance de l'extérieur.

Des études phylogéographiques suggèrent que l'haplogroupe mitochondrial H est arrivé en Europe en provenance du Proche-Orient avant le dernier maximum glaciaire il y a 22.000 ans, puis a survécu dans les refuges glaciaires notamment dans le sud-ouest de l'Europe, avant de se rediffuser en Europe avec le réchauffement climatique. L'haplogroupe mitochondrial H représente aujourd'hui plus de 40% du pool génétique actuel de l'ouest de l'Eurasie, avec un gradient dégressif vers l'est pour atteindre 10 à 30% au Proche-Orient et dans le Caucase. Cependant il reste incertain de savoir à quelle époque et comment l'haplogroupe H est devenu prépondérant en Europe.

Pour investiguer les relations entre la génétique et l'archéologie, les auteurs de cette étude ont obtenus la séquence complète du génome mitochondrial de 37 squelettes associés à des cultures diverses de la préhistoire de l'Europe Centrale, depuis les premiers fermiers de la cultures LBK (5450 à 4775 av JC.), la culture de Rössen (4625 à 4250 av. JC.), la culture de Schöningen (4100 à 3950 av. JC.), la culture de Baalberge (3950 à 3400 av. JC.) et la culture de Salzmünde (3400 à 3025 av. JC.), jusqu'aux cultures pan-européennes cordée (2800 à 2050 av. JC.) et campaniforme (2500 à 2050 av. JC.), et enfin la culture d'Unetice de l'âge du Bronze (2200 à 1575 av. JC.). Seules les séquences de l'haplogroupe H ont été étudiées à cause de l'augmentation importante de sa fréquence à travers les différentes cultures d'Europe Centrale. Deux échantillons en provenance d'Italie ont été rajoutés, l'un de l'âge du Bronze Nuragique et l'autre de l'âge du fer.
2013 Brotherton Table 1

Un réseau phylogénétique a été obtenue à partir de ces 39 échantillons tous de l'haplogroupe mitochondrial H:
2013 Brotherton Figure 1

On voit nettement sur cette figure que les échantillons anciens sont associés à des branches courtes, alors que les échantillons les plus récents sont associés à des branches plus longues, comportant plus de mutations. Elle montre également que les échantillons récents de la fin du néolithique ou de l'âge du Bronze sont sur des branches différentes des échantillons anciens du début du néolithique, indiquant ainsi que les premiers ne descendent pas des derniers. Enfin, les échantillons anciens sont associés à des hapogroupes rares aujourd'hui: H16, H23 et H26, ou même à des haplogroupes inexistants aujourd'hui: H46b, H88 et H89. A l'inverse, les échantillons récents de la fin du néolithique sont associés à des haplogroupes fréquents aujourd'hui: H3, H4, H6, H7, H11 et H13.

L'analyse de la distance génétique entre les populations du début du néolithique et les différentes populations du néolithique, montre que celle-ci s'accroit au cours du temps en devenant maximal avec les populations de l'âge du Bronze. Ensuite une analyse en composantes principales a été réalisée pour comparer les populations anciennes avec des populations actuelles de l'ouest de l'Eurasie:
2013 Brotherton Figure 2

Les populations actuelles forment 3 groupes: 1) l'Ibérie à l'ouest en bleu pâle, 2) le Proche-Orient et le Caucase à l'est en bleu foncé et 3) l'Europe Centrale de l'Oural à la France en orange. Les populations anciennes sont en rose. Seul les populations anciennes du néolithique moyen sont associées aux populations actuelles d'Europe Centrale. Les populations du début du néolithique sont associées aux populations actuelles du Proche-Orient et du Caucase. Les échantillons de la culture campaniforme sont eux associés aux populations actuelles d'Ibérie.

Une analyse Bayesienne réalisée à partir des échantillons des populations du néolithique montre que l'haplogroupe H a constamment augmenté en fréquence durant le néolithique (voir la figure 1b ci-dessus). Enfin cette étude a permis d'estimer le taux de mutation. Les résultats obtenus montrent que ce taux est plus élevé que celui jusqu'ici admis à partir de la scission humain/chimpanzé. Ceci implique un âge plus jeune pour l'haplogroupe mitochondrial H estimé maintenant entre 10.900 et 19.100 ans.

En conclusion, les résultats de cette étude montrent que les populations du début du néolithique ont eu un faible impact sur les populations de la fin du néolithique et d'aujourd'hui. A l'opposé, la diversité génétique actuelle dépend beaucoup du pool génétique d'Europe Centrale à la fin du néolithique et à l'âge du Bronze. Cette période est connue pour avoir été le théâtre de profonds changements culturels apportés par les cultures pan-européennes comme le campaniforme dans l'ouest de l'Europe et le cordé dans le nord-est de l'Europe. Ces deux cultures sont donc probablement à l'origine de l'introduction de nouveaux lignages génétiques en Europe Centrale. La culture campaniforme a émergé dans la péninsule ibérique vers 2800 av. JC. Les données de cette étude conforte l'origine ibérique du campaniforme, et montrent que la diffusion du campaniforme a été accompagnée par un flux génétique important vers l'Europe Centrale. Cette diffusion a pu être également impliquée dans la diffusion des langues celtiques en Europe de l'ouest. Cette hypothèse suggère que les premiers porteurs des langues celtiques sont apparus en Ibérie et se sont diffusés le long de la côte Atlantique avec la culture campaniforme. Cette idée défit donc les vues traditionnelles qui pensaient que les langages celtiques se sont diffusés à l'âge du fer depuis l'Europe Centrale vers l'ouest.