Eva Fernández vient de publier un article intitulé: Ancient DNA Analysis of 8000 B.C. Near Eastern Farmers Supports an Early Neolithic Pioneer Maritime Colonization of Mainland Europe through Cyprus and the Aegean Islands concernant des test d'ADN ancien sur des squelettes de la civilisation néolithique PPNB datés entre 8.700 et 6.600 av. JC.

Le néolithique a émergé au Proche-Orient il y a 12.000 à 10.000 ans dans une région appelée le croissant fertile. Puis il s'est propagé en Anatolie et en Europe en moins de 3.000 ans en suivant 2 routes principales: la route Danubienne qui a donné naissance à la culture rubanée (LBK) en Europe Centrale et la route maritime le long des côtes méditerranéennes qui a donné naissance à la culture cardiale. Deux modèles de diffusion s'opposent: le modèle migratoire qui implique l'arrivée de populations du Proche-Orient en Europe et le modèle culturel qui implique une continuité génétique en Europe depuis le paléolithique. La mauvaise identification des haplogroupes associés à la diffusion néolithique et l'effet d'expansions post néolithiques dans la composition génétique européenne ont introduit un biais important dans la compréhension de ce phénomène. Cependant, dernièrement les différents tests d'ADN sur des squelettes anciens ont permis de lever partiellement ce voile. Ainsi en Europe Centrale et en Europe du Nord un modèle migratoire a été proposé pour expliquer la discontinuité génétique observée entre les squelettes du paléolithique et ceux du néolithique. Dans le sud de l'Europe, des résultats contradictoires ont été obtenus. D'un côté l'ADN mitochondrial sur des squelettes de la culture cardiale semble indiquer l'arrivée de migrants en provenance du Proche-Orient, d'un autre côté, les résultats obtenus sur des squelettes du milieu et de la fin du néolithique semble indiquer un héritage paléolithique. De plus les résultats d'ADN du chromosome Y obtenus sur des squelettes du milieu et de la fin du néolithique semble indiquer l'arrivée de migrants en provenance du Proche-Orient pointant ainsi une différence d'interprétation en fonction de la lignée masculine ou féminine envisagée. Dans ce contexte, la connaissance du pool génétique des premiers fermiers du Proche-Orient est importante afin d'identifier les haplogroupes associés à la culture néolithique.

Dans cette étude les auteurs ont étudié des squelettes appartenant à 3 sites archéologiques localisés en Syrie dans la vallée du Moyen Euphrate et dans l'oasis de Damas:
2014 Fernandez Figure 1

Ces sites sont datés de la période pré-poterie: PPNB entre 8.700 et 6.600 av. JC. Un total de 63 squelettes appartenant aux 3 sites de Tell Halula, Tell Ramad et Dja’de El Mughara ont été testés. Cependant seuls 15 résultats sur l'ADN mitochondrial ont été obtenus. La région HVR1 a été séquencée et quelques SNPs de la région codante ont été également testés afin de déterminer les haplogroupes:
2014 Fernandez Table 1

Neuf haplotypes différents sont identifiés. Deux sont partagés entre 2 individus de Tell Halula (16311C) et entre 3 individus de Tell Ramad (16224C, 16311C 16366T). Un haplotype est partagé entre 3 individus de Tell Halula et de Tell Ramad (16293C). Ces haplotypes ont ensuite été comparés avec une base de données de 9.821 résultats issus de 59 populations contemporaines du Proche-Orient et de l'Europe du sud-est et avec 2 populations anciennes du début du néolithique en Europe Centrale et dans le nord-est de la péninsule ibérique. La figure ci-dessous représente le pourcentage d'haplotpes présents dans la population PPNB pour chacune de ces populations:
2014 Fernandez Figure 2

Deux des haplotypes de la population PPNB ne se retrouvent pas dans les populations contemporaines ou néolithiques d'Europe: 16356C et 16293C. Parmi les autres haplotypes, un seul (16224C 16311C) se retrouve dans les 2 populations néolithiques d'Europe dans les proportions de 9,5% de la population cardiale et 23% de la population rubanée. Cet haplotype se retrouve aujourd'hui dans le sud-est de l'Europe et le Proche-Orient à une fréquence moyenne de 4%. Cependant des populations comme les juifs Ashkénazes, les Csángó de Moldavie et la population de Chypre, ont une fréquence de cet haplotype supérieurs à 10%. Les autres haplotypes de la population PPNB sont très rares aujourd'hui.

L'haplogroupe K est le plus fréquent dans la population PPNB avec une valeur de 40%. Les autres haplogroupes sont R0 (20%), H (13,3%), HV, N*, U* et L3 (6,7% chacun). L'haplogroupe K se retrouve dans toutes les populations modernes avec une valeur moyenne de 7% environ. Ses plus hautes fréquences se retrouvent chez les juifs Ashkénazes, les Csángó de Moldavie et la population de Chypre. On le retrouve également dans les populations néolithiques cardiales (15,6%) et rubanée (23,1%). L'haplogroupe R0 se retrouve aujourd'hui dans les populations du Proche-Orient et d'Afrique du Nord, avec un maximum dans le sud de la péninsule arabique. L' haplogroupe rare U* se retrouve à 2% dans le Proche-Orient, 0,9% dans le Caucase et 1% en Europe. De même N* se retrouve à moins de 1% dans toutes les populations. On a cependant un pic de fréquence de U* en Crète. De plus N* se retrouve à haute fréquence dans une population néolithique de Catalogne.

Une Analyse en Composantes Principales a été utilisée pour comparer les fréquences des haplogroupes pour les différentes populations:
2014 Fernandez Figure 3

Six groupes ont été définis. Les deux plus gros sont les groupes 1 et 3. Le groupe 1 inclut les populations européennes qui se distinguent par les hautes fréquences des haplogroupes H, U5, U4 et HV0. Le groupe 3 inclut les populations du Proche-Orient et du Caucase qui se distinguent par les hautes fréquences des haplogroupes J et T. De manière intéressante la population néolithique rubanée est aussi incluse dans ce groupe. Le groupe 2 comprend la population PPNB étudiée dans cette étude ainsi que les juifs Ashkénazes, les Csángó de Moldavie, la population de Chypre et la population néolithique cardiale. Il se distingue par les hautes fréquences des haplogroupes K et N*. Le groupe 4 inclut les populations africaines et se distingue par les hautes fréquences des haplogroupes L et U6. Les groupes 5 et 6 comprennent les populations asiatiques.

La première composante représente 48,3% de la variance et sépare les populations asiatiques. La seconde composante représente 19,8% de la variance et sépare les populations africaines. La population PPNB incluse dans le groupe 2 se retrouve à égale distance du centre des groupes 2 et 3. Elle est proche des populations du croissant fertile. Le rapprochement de la population PPNB avec le groupe 3 est dû principalement aux hautes fréquences de l'haplogroupe R0.

Les auteurs ont également calculé la distance génétique entre la population PPNB et les autres populations. Cette distance n'est pas significative avec la population de Chypre, les juifs Ashkénazes, les Csángó de Moldavie et les Ouzbeks Khoremian d'Asie Centrale. La carte ci-dessous représente cette distance génétique:
2014 Fernandez Figure 4
La distance est minimale pour le croissant fertile, et Chypre. Elle est faible également dans le bassin des Carpates, le Yémen et le nord de l’Ouzbékistan.

Discussion

Des résultats d'ADN ancien issus de squelettes du néolithique du Proche-Orient, sont montrés pour la première fois dans cette étude. Même si ces résultats montrent que l'ADN mitochondrial des fermiers du néolithique est proche de celui des populations modernes du Proche-Orient, des différences dans les fréquences des haplotypes et des haplogroupes persistent. Il n'est donc pas possible d'estimer génétiquement, de manière précise, la population des premiers fermiers néolithiques par la population proche orientale contemporaine. Tous les haplotypes détectés, sauf un, ont une distribution nulle ou faible dans les populations modernes. Cela suggère qu'un grand nombre des lignages néolithiques n'a pas survécu jusqu’à aujourd'hui ou a été remplacé par des migrations postérieures. Ceci est en accord avec d'autres études précédentes. Cependant les résultats obtenus dans cette étude suggèrent que des lignages néolithiques ont survécu dans certaines populations isolées comme les Druzes. Un autre cas intéressant concerne les juifs Ashkénazes qui montrent une fréquence de l'haplogroupe K comparable à la population PPNB. Cela suggère pour cette population une origine Proche Orientale, en contradiction avec une étude récente (Costa et al., 2013).

La population PPNB étudiée possède un fort pourcentage de lignages dont le temps de coalescence est ancien et date du paléolithique: K, R0 et U*. Elle diffère de la population moderne du Proche-Orient dont les haplogroupes principaux sont J, T1 et U3. Ces derniers ont été traditionnellement liés à la diffusion du néolithique. Or l'haplogroupe T1 est absent de toutes les populations anciennes du néolithique et U3 a été déterminé dans un seul échantillon de la population rubanée d'Europe Centrale. L'haplogroupe J est présent dans la population rubanée d'Europe Centrale à une fréquence de 12%, mais aussi dans un échantillon chasseur-cueilleur tardif (3000 av. JC). Il est également présent à basse fréquence dans la population cardiale. Son absence dans la population PPNB jette un doute sur son origine. Ces résultats suggèrent que des mouvements démographiques de la fin du néolithique ou post néolithiques sont responsables de la répartition géographiques actuelles de ces haplogroupes.

Cette étude montre également que la population PPNB est à l'origine des populations néolithiques européennes. Ainsi les haplogroupes K et N* sont probablement des contributeurs génétiques néolithiques. En effet l'haplogroupe K est présent dans toutes les populations néolithiques avec une fréquence variant de 8 à 43%, et N* est présent dans les populations cardiales et épi-cardiales du nord-est de la péninsule ibérique. L'haplogroupe N1a représente 13% de la population rubanée, mais n'est cependant pas présent dans la population PPNB.

La proximité des populations PPNB et de Chypre et de Crète montre que la route de la première expansion néolithique vers l'Europe a été maritime, via Chypre et les îles de la Mer Égée.