Les papiers sur les tests d'ADN ancien sur des squelettes préhistoriques se multiplient ces derniers temps. Voici un papier d'Anna Szécsényi-Nagy sur l'origine génétique des premiers fermiers néolithique d'Europe du sud-est. Il est intitulé: Tracing the genetic origin of Europe's first farmers reveals insights into their social organization.

La culture néolithique de Starčevo a joué un rôle primordial dans la néolithisation du sud-est de l'Europe. Elle s'étendait de la Serbie actuelle à l'ouest du bassin des Carpathes, englobant le nord de la Croatie et le sud-ouest de la Hongrie, entre 6000 et 5400 av. JC. Elle est à l'origine de la culture rubanée (LBK) qui émerge vers 5500 av. JC en Transdanubie. Cette dernière s'étend ensuite vers l'Europe Centrale jusqu'au bassin parisien et même en Bretagne selon des découvertes archéologiques récentes. Vers l'est, la culture rubanée s'étend jusqu'à l'Ukraine.

Les objectifs de cette étude étaient d'étudier la diversité génétique des premiers fermiers du bassin des Carpathes à l'aide de tests ADN mitochondriaux et du chromosome Y, comparer les histoires démographiques des lignées paternelles et maternelles, investiguer la contribution génétique de la culture de Starčevo au pool génétique de la culture rubanée, révéler l'origine génétique des premiers fermiers européens, et enfin évaluer le rôle de la route continentale dans la néolithisation de l'Europe.

Pour cela, 109 squelettes ont été analysés dont 1 du mésolithique, 47 de la culture de Starčevo et 61 de la culture rubanée de Transdanubie. A partir de ces échantillons, 84 résultats mitochondriaux et 9 résultats du chromosome Y ont été obtenus:
2014 Szécsényi-Nagy Figure 1

L'échantillon mésolithique est situé dans l'île Korčula au sud de la Croatie. Il est daté entre 6200 et 6000 av. JC.

Les tests mitochondriaux ont porté sur les régions hyper variables HVR1 et HVR2, ainsi que sur 22 SNPs de la région codante qui permettent de discriminer les principaux haplogroupes. 84 résultats ont été obtenus sur la région HVR1 dont 1 mésolithique, 44 néolithiques de la culture de Starčevo et 39 néolithiques de la culture rubanée transdanubienne (LBKT). 25 résultats ont été obtenus sur la région HVR2, et 89 résultats ont été obtenus sur les SNPs de la région codante.

Le mésolithique appartient à l'haplogroupe U5b2a5. C'est un résultat typique des chasseurs-cueilleurs européens. Contrairement à la faible diversité des chasseurs-cueilleurs du centre et du nord de l'Europe, la diversité génétique obtenue pour les premières communautés néolithique du bassin des Carpathes, est importante. Les haplogroupes obtenus sont les suivants: N1a, T1, T2, J, K, H, HV, V, W, X, U2, U3, U4 et U5a. Les haplogroupes N1a, T2, J, K, HV, V, W et X sont fréquents dans la culture rubanée d'Europe Centrale (LBK) comme le montrent les études génétiques précédentes. De plus les fréquences de chacun de ces haplogroupes sont quasiment identiques dans les 3 cultures de Starčevo, rubanée Transdanubienne et rubanée. par contre les haplogroupes mésolithiques (U) sont rares dans ces premières cultures néolithiques (entre 1 et 2,5%):
2014 Szécsényi-Nagy Table 1

Il y a donc clairement une discontinuité génétique mitochondriale entre les chasseurs-cueilleurs européens et les premiers fermiers néolithiques des cultures de Starčevo et rubanée. Par contre, il y a une totale continuité génétique mitochondriale entre le culture de Starčevo et la culture rubanée.

Une Analyse en Composantes Principales a été réalisée pour comparer ces résultats avec ceux obtenus pour les différentes cultures préhistoriques européennes:
2014 Szécsényi-Nagy Figure 2

Le schéma ci-dessus montre que la culture de Starčevo est très proche de la culture LBK et des cultures néolithiques successives d'Europe Centrale des 5ème et 4ème millénaire av. JC (ronds roses). Ce regroupement est éloigné des cultures de chasseurs-cueilleurs (triangles gris)), des cultures néolithiques du sud-ouest de l'Europe (hexagones verts), mais aussi des cultures des 3ème et 2d millénaire av. JC d'Europe Centrale (ronds bleus).

Les résultats de cette étude ont également été comparés avec les populations actuelles. L'Analyse en Composantes Principales montre que les premiers fermiers de la culture de Starčevo sont le plus proche des populations du Caucase et du Proche-Orient, alors que les fermiers de la culture LBKT sont à égale distance des populations du Caucase et du Proche-Orient et des populations d'Europe du sud-est (grecs, bulgares et italiens). Ceci est du à une plus haute fréquence de l'haplogroupe H dans la culture LBK que dans la culture de Starčevo.

Les tests du chromosome Y ont porté sur 33 SNPs permettant de discriminer les différents haplogroupes. Ainsi 9 résultats ont été obtenus dont 7 de la culture de Starčevo et 2 de la culture LBKT. 3 échantillons de la culture de Starčevo appartiennent à l'haplogroupe F*-M89, 2 à l'haplogroupe G2a2b-S126, 1 à l'haplogroupe G2a-P15 et 1 à l'haplogroupe I2a1-P37. Les 2 résultats de la culture LBKT appartiennent aux haplogroupes G2a2b-S126 et I1-M253. De plus, 8 échantillons ont donné des résultats partiels. 6 sont de la culture de Starčevo et appartiennent aux haplgroupes suivants: 3 G2a2b-S126, 2 G2a-P15, et 1 I-M170. 2 sont de la culture LBKT et appartiennent aux haplogroupes suivants: 1 G2a2b-S126 et 1 F*-M89. Les haplogroupes G2a2b et F* sont rares aujourd'hui en Europe. La fréquence de l'haplogroupe G s'accroit lorsque l'on se rapproche du Proche-Orient et atteint ses plus hautes fréquences dans les populations du nord et du sud du Caucase, alors que l'haplgoroupe F* montre une répartition diffuse en Eurasie. Les haplogroupes I1 et I2a1 ont leur plus hautes fréquences en Europe avec des pics en Scandinavie pour I1 et en Europe du sud-est pour I2a1. Là encore l'Analyse en Composantes Principales rapproche les fermiers du bassin des Carpathes avec les populations du Caucase.

Des études génétiques récentes ont proposé que les haplogroupes I1 et I2a1 étaient présents en Europe dès le paléolithique. Récemment l'haplogroupe I2a1 a été trouvé dans des échantillons du mésolithique du Luxembourg et de Suède, dans un échantillon d'un chasseur-cueilleur néolithique de Suède et dans des échantillons du néolithique du sud de la France et d'Espagne. De plus 3 échantillons du mésolithique de Suède sont de l'haplogroupe I*. Ces résultats suggèrent que l'haplogroupe I représente un héritage du pool génétique mésolithique européen. L'haplogroupe G est probablement une signature de la diffusion du néolithique du Proche-Orient vers l'Europe. Cet haplogroupe G est également majoritaire dans les populations néolithiques du sud de la France et d'Espagne. Il a été aussi trouvé dans l'homme des glaces Ötzi du chalcolithique des Alpes. Cet haplogroupe G est donc très fréquent au néolithique en Europe et tend à supplanter l'haplogroupe I qui était majoritaire au mésolithique en Europe. Ces résultats obtenus à partir de l'ADN du chromosome Y montrent bien également qu'il y a une rupture génétique en Europe à la transition néolithique et que les premiers fermiers prennent leur origine au Proche-Orient.

La présence de l'haplogroupe mitochondrial N1a à une fréquence proche de celle de la culture LBK, montre que cet haplogroupe est une caractéristique de la route continentale de la néolithisation de l'Europe. Comme l'haplogroupe G du chromosome Y, N1a est rare aujourd'hui en Europe, ce qui indique des mouvements démographiques importants à la fin du Néolithique en Europe. Curieusement les haplogroupes du chromosome Y: E1b-M35, E1b-M78, E1b--M123, J2-M172, J1-M267, et R1b-M269 n'ont pas été trouvés dans le bassin des Carpathes alors qu'ils ont été associés à la diffusion du Néolithique. De même, les haplogroupes R1a et R1b qui sont aujourd'hui les haplogroupes les plus fréquents en Europe, n'ont pas été détectés dans des restes anciens en Europe avant la fin du Néolithique, alors qu'un échantillon de l'haplogroupe R* du Paléolithique a été détecté en Sibérie du sud, en accord avec son origine supposée dans cette région.

Un point intéressant est la différence dans la diversité génétique entre les lignées néolithiques masculine et féminine, alors qu'elles ont une origine identique au Proche-Orient. La forte diversité génétique des lignées féminines implique que le nombre de femmes était plus important que le nombre d'hommes à cette époque. Une explication possible de ce phénomène est la patriclocalité pour laquelle les femmes se déplacent au lieu de naissance des hommes au moment de leur mariage. Une autre explication pourrait être la polygamie ou une mortalité masculine plus faible que celle des femmes.