Cristina Gamba vient de publier un nouveau papier d'ADN ancien intitulé: Genome flux and stasis in a five millennium transect of European prehistory.

La grande plaine hongroise, située entre la Méditerranée et l'Europe tempérée, a été, à travers la préhistoire, un lieu de transformation culturelle et technologique, ainsi qu'un lieu de rencontre entre l'est et l'ouest. Les premiers fermiers apparaissent avec la culture de Körös entre 6000 et 5500 av. JC. Elle est suivie vers 5500 av. JC par la culture rubanée (LBK) séparée en 2 groupes contemporains dans la région: la culture de Alföld et la culture LBK transdanubienne. Localement ces deux cultures ont donné naissance à la culture de Lengyel entre 5000 et 4500 av. JC. Dans la plaine hongroise il y a une continuité entre cette dernière et la culture chalcolithique de Baden qui se développe entre 3600 et 2800 av. JC. Cependant, durant le Bronze Ancien entre 2800 et 1800 av. JC, la demande croissante en métaux dans toute l'Europe, voit l'apparition de nouveaux réseaux au intercontinentaux qui relient la Hongrie au Moyen-Orient, aux Steppes Eurasiennes et à l'Europe Centrale. Enfin, au début de l'Age du fer, une culture pré-Scythique appelée Mezocsat, d'origine inconnue, s'installe dans la plaine hongroise.
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Une question importante est de savoir si la succession de ces différentes cultures s'est accompagnée de migrations de population, notamment lors de la transition néolithique. Cette étude se propose de répondre à cette question par l'intermédiaire de tests d'ADN autosomal réalisés sur 13 individus appartenant à plusieurs cultures archéologiques locales allant de la culture de Körös à l'âge du fer:
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Afin de comparer les résultats autosomaux avec les autres résultats d'ADN ancien obtenus précédemment et avec des populations contemporaines du Caucase et du Proche-Orient, une Analyse en Composantes Principales a été réalisée:
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Les 13 échantillons de cette étude peuvent être classés en 4 groupes. L'individu le plus ancien de la culture de Körös se regroupe avec les chasseurs-cueilleurs européens, bien qu'il fut découvert sur un site néolithique. De manière différente, le second individu de la culture de Körös se regroupent avec les fermiers néolithiques européens. Cette différence entre ces 2 échantillons suggère des contacts directs entre les premières sociétés néolithiques et les sociétés mésolithiques dans la plaine de Hongrie. L'individu KO1 a de plus les yeux bleux et est de l'haplogroupe du chromosome Y I2a. Ces deux caractéristiques le rapprochent des chasseurs-cueilleurs. Il est probablement un chasseur-cueilleur acculturé et incorporé dans une société néolithique. L'individu KO2 a les yeux marrons et est de l'haplogroupe mitochondrial K1 typiques des premiers fermiers européens issus du Proche-Orient.

Tous les autres individus néolithiques y compris l'individu de la culture de Baden se regroupent ensemble dans une zone proche des Sardes contemporains. Cependant les haplogroupes du chromosome Y obtenus pour ces individus sont I2a et C1a2. Ces haplogroupes correspondent aux haplogroupes du chromosome Y des chasseurs-cueilleurs européens. A l'inverse, les haplogroupes mitochondriaux obtenus sont typiques des populations néolithiques. Ces résultats suggèrent que des hommes chasseurs-cueilleurs ont été incorporés dans les sociétés néolithiques en Hongrie. Un seul haplogroupe mitochondrial U5 est caractéristique des sociétés mésolithiques. De manière intéressante ces résultats suggèrent une continuité génétique pendant le néolithique sur une durée de 2800 ans.

Cette continuité est interrompue au troisième millénaire av. JC, coïncidant avec le début de l'Age du Bronze dans cette région. Les deux individus de cette époque se regroupent avec les populations contemporaines d'Europe Centrale.

Enfin le dernier échantillon de l'Age du Fer se situe un peu plus loin entre les populations actuelles d'Europe de l'est et celles du Caucase. Ce résultat est renforcé par les haplogroupes mitochondrial (G2a1) et du chromosome Y (N) de cet individu typiques de l'Asie. Cela suggère que la culture de Mezocsat est originaire de l'est. De manière intéressante les populations actuelles de Hongrie se situe entre les individus de l'Age du Bronze et celui de l'Age du Fer reflétant une période de mélange génétique dans les époques ultérieures.

Les mesures de longueurs des séquences homozygotes des 13 échantillons montrent que l'individu KO1 se situe à part avec des valeurs plus grandes ce qui suggère une population ancestrale moins nombreuses que pour les autres échantillons. Cette valeur conforte que cet individu est probablement un chasseur-cueilleur acculturé. A l'opposé, les individus de l'Age du Bronze et de l'Age du Fer se situent au milieu des populations contemporaines. Cela suggère que les populations de ces époques sont déjà importantes en nombre. Les individus néolithiques, autre que KO1, se situent dans une position intermédiaire, bien que plus proche des populations modernes.

Les auteurs ont également testés des marqueurs représentatifs de la couleur des yeux, des cheveux et de la peau. Ainsi que des marqueurs correspondant à la tolérance au lactose:
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Un premier marqueur lié à la couleur de lapeau est SLC24A5 (rs1426654: G>A). Sa valeur dérivée (en rouge) est présente dès les échantillons de la culture de Körös, bien que ces individus soient hétérozygotes pour ce marqueur. Ce marqueur est dérivé homozygote à partir du Néolithique Moyen. Le second marqueur lié à la couleur de la peau est SLC45A2 (rs16891982: C>G). Il est plus tardif en Hongrie que le premier, car il apparait de façon hétérozygote uniquement au Néolithique Moyen, et de façon homozygote à l'Age du Cuivre. Un troisième marqueur lié à la couleur des cheveux et des yeux: TYRP1 (rs2733831: A>G), apparait également de façon homozygote seulement au Néolithique Moyen. L'ensemble de ces résultats montrent que la peau des européens est devenue de plus en plus claire tout au long du Néolithique pour devenir identique à la couleur des européens contemporains seulement aux Ages des Métaux. De la même façon la couleur des cheveux est de plus en plus claire tout au long du Néolithique.

De manière surprenante la tolérance au lactose (rs4988235: C>T) n'apparait en Hongrie qu'à la fin de l'Age du Bronze. Elle n'est donc pas portée par les premières sociétés néolithiques.