Qiaomei Fu vient de publier un papier intitulé: Genome sequence of a 45,000-year-old modern human from western Siberia.

En 2008, un fémur gauche presque complet (il manque juste les extrémités) appartenant à un homme anatomiquement moderne, a été découvert au nord de la ville de Ust’-Ishim, sur les bords de la rivière Irtysh en Sibérie de l'ouest:
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La datation radiocarbone directe à partir de l'os a donné une date voisine de 45,000 ans. Les taux d'isotopes du carbone et de l'azote ont montré que l'individu mangeait des plantes et des animaux terrestres, mais aussi une part importante de protéines aquatiques, probablement des poissons d'eau douce. Des tests d'ADN autosomaux ont également été effectués. Les résultats ont ainsi montré que l'individus était un homme. L'ADN mitochondrial appartient à la racine de l'haplogroupe R, alors que son ADN du chromsome Y appartient à l'haplogorupe K2-M526.

Une Analyse en Composantes Principales a été effectuée à partir de son ADN autosomal comparé à des échantillons appartenant à des populations contemporaines:
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L'individu de Ust’-Ishim est ainsi plus proche des échantillons non africains que des africains. Comparé avec uniquement les populations modernes non africaines, il est proche de l'origine montrant ainsi qu'il ne partage pas plus d'ascendance avec un groupe particulier des populations modernes. Il est plutôt à la racine de leur ascendance. Il est cependant plus proche des populations de l'est de l'Asie que des Européens, mais pas plus proche des populations de l'est de l'Asie que des européens mésolithiques ou de l'homme de Mal'ta. Cela suggère que l'homme de Ust’-Ishim appartenait à une population qui s'est détachée de notre lignée ancestrale avant la scission entre les branches européennes et asiatiques.

On retrouve ces tendances dans les résultats donnés par la statistique D qui compare 4 échantillons entre eux: D(A,B,C,D). Le résultat D est positif si la population A est proche de la population C et/ou la population B proche de la population D. Le résultat est négatif si la population A est proche de la population D et/ou la population B proche de la population C. Les résultats pour différentes populations A et B sont données lorsque l'on choisit C pour l'homme de Ust’-Ishim et D pour un chimpanzé. Le fait de choisir le chimpanzé (qui est éloigné de toutes les populations humaines) comme population pour D, revient en fait à comparer C (l'individu de Ust'-Ishim) avec les populations A et B: D est positif si Ust'Ishim est plus proche de A que de B, et négatif si Ust'Ishim est plus proche de B que de A.
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Ainsi l'individu de Ust'-Ishim est plus proche des populations asiatiques des populations africaines, mais aussi européennes, comme on l'a vu ci-dessus dans l'Analyse en Composantes Principales. Il est également plus proches des anciennes populations comme l'homme de Mal'ta en Sibérie ou le mésolithique de La Brana en Espagne que des européens actuels.

La bonne qualité du génome de l'homme de Ust’-Ishim, ainsi que sa datation, a permis aux auteurs d'estimer le taux de mutation. La valeur obtenue est de 0,43x10-9 mutation par site et par an, pour l'ensemble du génome, de 0,76x10-9 mutation par site et par an pour le chromosome Y, et de 2,53x10-8 mutation par site et par an pour l'ADN mitochondrial.

La proportion de Néandertal dans l'homme de Ust’-Ishim est estimée à 2.3%. C'est une valeur similaire aux non africains contemporains. Ceci indique que le mélange génétique entre l'homme moderne et l'homme de Néandertal est antérieur à 45,000 ans. Par contre aucun ADN de l'homme de Dénisova n'a été détecté dans l'homme de Ust’-Ishim, montrant ainsi que le mélange génétique entre l'homme moderne et l'homme de Dénisova pourrait être postérieur à 45,000 ans. Cependant les séquences d'ADN de Néandertal sont plus longues dans l'homme de Ust’-Ishim que dans les hommes modernes montrant ainsi que le mélange génétique entre hommes modernes et de Néandertal s'est produit plus proche dans le temps pour l'homme de Ust’-Ishim que pour les hommes modernes. Ce mélange génétique s'est probablement produit entre 232 et 430 générations avant l'homme de Ust’-Ishim, soit il y a entre 50,000 et 60,000 ans, soit peu de temps après l'Out of Africa, mais bien après les premiers squelettes trouvés au Proche-Orient à Skhul ou Qafzeh car ces derniers sont vieux d'environ 100,000 ans.

Enfin le fait que l'homme de Ust’-Ishim n'est pas plus proche du peuple Onge des îles Andaman que des asiatiques de l'est montre qu'une autre migration a colonisée l'Asie avant 45,000 ans, et donc avant les ancêtres des asiatiques actuels. Ainsi la population à laquelle appartient l'homme de Ust’-Ishim n'a peut-être pas de descendants contemporains.