L'analyse du génome sur des squelettes préhistoriques produit une information qui permet d'étudier la préhistoire de manière comparable à l'archéologie et à la linguistique. Il est cependant nécessaire pour cela d'étudier l'ADN d'individus appartenant à de nombreuses cultures archéologiques, mais aussi de multiples individus dans chacune des cultures étudiées.

Wolfgang Haak vient de publier un nouveau papier intitulé: Massive migration from the steppe is a source for Indo-European languages in Europe. Dans cette étude il a analysé l'ADN de 119 squelettes européens appartenant à différentes cultures allant du Mésolithique à l'Âge du Bronze.
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Les auteurs ont obtenu la séquence mitochondriale complète pour 105 individus. Les chasseurs-cueilleurs sont tous de l'haplogroupe U, sauf un échantillon de Carélie qui est de l'haplogroupe C. Les premiers fermiers Néolithiques appartiennent aux haplogroupes: T2, K, HV, H, V, X et N1a. Les fermiers du Néolithique Moyen ont un profil mitochondrial identique à ceux du Néolithique Ancien, avec cependant une augmentation de la fréquence de l'haplogroupe U. Les échantillons de la fin du Néolithique montrent un bouleversement important souligné par l'apparition des haplogroupes I et T1 et une augmentation des haplogroupes U2, U4, U5a, H et W.

Une Analyse en Composantes Principales a été effectuée. Dans la figure ci-dessous, les échantillons des chasseurs-cueilleurs sont en bleu, du Néolithique Ancien sont en marron, du Néolithique Moyen en orange, de la fin du Néolithique ou de l'Âge du bronze sont en jaune pour l'Europe et en vert pour les Steppes:
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Les résultats montrent que les échantillons des kourganes de l'Âge du Bronze des Steppes (BAK) et de Sibérie (BAS), ainsi que de la culture des Catacombes (CAT) sont reliés aux échantillons chasseurs-cueilleurs de l'est de l'Europe (HGE) et du nord de l'Europe (PWC) et sont séparés des échantillons du Néolithique Ancien et Moyen d'Europe Centrale. Les échantillons de la culture Yamnaya sont proches de ceux des cultures Cordée, Campaniforme et d'Unetice. Ces résultats supportent une contribution des groupes orientaux à la génétique d'Europe Centrale à la fin du Néolithique vers 2500 av. JC. Cette migration n'était donc pas seulement d'origine masculine.

Les auteurs ont obtenu le génome nucléaire pour 69 individus. Parmi ceux-ci, 34 étaient des hommes et les résultats de leur haplogroupe du chromosome Y sont les suivants:
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En dehors de la Russie et avant la fin du Néolithique, seul un unique échantillon du Néolithique Ancien en Espagne est de l'haplogroupe R1b. Cet individu fait cependant partie d'une très vieille branche de R1b que l'on peut nommée R1b1* puisqu'il est M478-, M269-, V35- et V69-. Il est difficile de savoir si cet individu fait partie d'un lignage paternel qui est arrivé en Europe avec les premiers fermiers en provenance du Proche-Orient, ou si un ancien lignage R1b était déjà présent, bien que très rare, en Europe au Mésolithique. Cet individu n'est cependant probablement pas l'ancêtre de tous les européens occidentaux contemporains qui sont M269+, puisque R1b-M269 est présent à haute fréquence dans la culture de Yamnaya.

A l'inverse, les haplogroupes R1a et R1b sont trouvés à haute fréquence (60%) dans les cultures de la fin du Néolithique ou de l'Âge du Bronze en Europe en dehors de Russie et à 100% dans les échantillons de Russie entre 7500 et 2700 av. JC. Il est donc probable que ces 2 haplogroupes se soient diffusés massivement en Europe après 3000 av. JC. Deux chasseurs-cueilleurs de cette étude appartiennent à ces haplogroupes: R1a en Carélie et R1b à Samara. Ces deux échantillons sont R1a-M417- et R1b-M269- et appartiennent donc à de vieilles branches des haplogroupes R1a et R1b. Les sept mâles de la culture de Yamnaya sont tous R1b. Cinq d'entre eux sont de l'haplogroupe R1b-Z2105, une branche parallèle à R1b-L51 qui est la branche occidentale à laquelle appartiennent l'immense majorité des européens actuels. Les deux autres échantillons de la culture de Yamnaya appartiennent à de plus vieilles branches: un est R1b-P297 et le dernier est R1b-L23.

Une Analyse en Composantes Principales a été obtenus à partir de l'ADN autosomal des 69 individus de cette étude et comparés à une population de 777 échantillons contemporains:
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La population actuelle d'Europe (points gris au centre) se situe entre la population actuelle du Proche-Orient (points gris à droite) et les échantillons chasseurs-cueilleurs (losanges à gauche). Les échantillons Néolithiques européens (triangles) se regroupent à proximité de la population actuelle de Sardaigne, ce qui laisse penser que les 2 expansions Néolithiques du Danube et de la Méditerranée sont issus du même stocke génétique.

Tous les échantillons de Russie sont proches de l'homme de Malt'a (MA1) qui a contribué à la fois à la génétique des Européens et des Amérindiens. Les deux chasseurs-cueilleurs de Russie (Carélie et Samara) forment un groupe des chasseurs-cueilleurs européens de l'est (EHG). Les chasseurs-cueilleurs européens de l'ouest (WHG) se regroupent plus bas. Enfins les chasseurs-cueilleurs de Scandinavie (SHG) se situent à mi-chemin des EHG et des WHG.

Les fermiers du Néolithique Moyen se situent entre les fermiers du Néolithique Ancien et les chasseurs-cueilleurs européens de l'ouest. Cela suggère une augmentation d'ascendance chasseur-cueilleur durant le Néolithique en Europe. Ces résultats sont conforme aux résultats d'ADN mitochondrial où l'on voit une augmentation des haplogroupes U durant le néolithique en Europe.

Au contraire, en Russie, les pasteurs des Steppes de la culture Yamnaya se situent entre les chasseurs-cueilleurs européens de l'est (EHG) et les populations actuelles du Caucase et du Proche-Orient, suggérant une décroissance d'ascendance chasseur-cueilleur durant cette période.

Les échantillons de la fin du Néolithique et de l'Âge du Bronze se situent entre les échantillons du Néolithique Moyen et ceux de la culture de Yamnaya. On peut également voir ces résultats à partir de l'analyse ADMIXTURE:
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Dans la figure ci-dessus, ont voit que les échantillons Yamnaya ont de l'ascendance du Caucase ou du sud de l'Asie (en vert-gris). Cette ascendance est absente des populations du Néolithique, mais présente dans les échantillons de la fin du Néolithique ou de l'Âge du Bronze. Cette ascendance apparait pour la première fois en Europe Centrale avec les échantillons de la culture Cordée autour de 2500 av. JC. Ces résultats génétiques apportent des éléments en faveur d'une migration importante et rapide des Steppes vers l'Europe Centrale à la fin du Néolithique.

Les échantillons Yamnaya diffèrent des échantillons EHG car ils partagent moins d'allèles avec l'échantillon de Malt'a (MA1). Les échantillons Yamnaya sont probablement issus d'un mélange génétique entre une population EHG et une population reliée à la population actuelle du Proche-Orient. Les échantillons d'Europe Centrale de la fin du Néolithique ou de l'Âge du Bronze partagent plus d'allèles avec la population Yamnaya qu'avec la population du Néolithique Moyen. Les échantillons Yamnaya partagent plus d'allèles avec la populatin de la culture cordée qu'avec toute autre population de la fin du Néolithique ou de l'Âge du Bronze.

Les méthodes statistiques montrent que les populations du Néolithique Moyen d'Allemagne ou d'Espagne ont entre 18 et 34% d'ascendance WHG de plus que les populations du Néolithique Ancien. De même les populations de la fin du Néolithique ou de l'Âge du Bronze d'Allemagne ont entre 22 et 39% d'ascendance EHG de plus que les populations du Néolithique Moyen, ce qui correspond a un apport de 48 à 80% de gènes issus de la culture Yamnaya dans ces populations d'Europe Centrale. En effet, les populations de la fin du Néolithique ou de l'Âge du Bronze d'Europe Centrale correspondent davantage à un mélange génétique entre une population du Néolithique Moyen et une population Yamnaya, qu'à un mélange génétique entre une population du Néolithique Moyen et une population EHG.

Ainsi l'apport d'ascendance ANE (Ancient North Eurasians) dans les populations actuelles européennes est issu de 3 étapes successives: apport d'EHG dans la culture Yamnaya, apport de gènes Yamnaya formés d'un mélange entre EHG et de gènes issus d'une population du Proche-Orient, enfin apport de gènes de la culture Cordée formés d'un mélange entre une population Yamnaya et une population du Néolithique Moyen européenne.

En conclusion, on peut dire que l'ascendance des populations de la culture Cordée est composée de 79% de gènes issus de la culture de Yamnaya, 4% de gènes WHG et 17% de gènes du Néolithique Ancien. La figure ci-dessous indique les proportions d'ascendance Yamnaya, WHG et Néolithique Ancien pour un grand nombre d'échantillons anciens ou contemporains:
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Ces résultats sont compatibles avec les résultats issus des marqueurs uniparentaux dans lesquels l'haplogroupe mitochondrial N1a et l'haplogroupe du chromosome Y G2a fréquents dans les populations du Néolithique Ancien ont disparu à la fin du Néolithique, pour être remplacés par les haplogroupes du chromosome Y: R1a et R1b et mitochondriaux: I, T1, U2, U4, U5a, W et H. Ces résultats confirment un lien entre les populations de la fin du Néolithique ou de l'Age du Bronze d'Europe Centrale, et les populations des Steppes.

En conclusion, ces résultats supportent une préhistoire européenne ponctuée par deux migrations majeures. D'abord l'arrivées des premiers fermiers au début du Néolithique en provenance du Proche-Orient, et ensuite l'arrivée des pasteurs Yamnaya à la fin du Néolithique en provenance des Steppes. Ces deux migrations ont été suivies par une résurgence des premiers habitants: une résurgence des chasseurs-cueilleurs au Néolithique Moyen, et une résurgence des fermiers Néolithiques et des chasseurs-cueilleurs entre la fin du Néolithique et l'époque actuelle. Cette dernière résurgence a pu commencer dès la fin du Néolithique lorsque les groupes campaniformes et d'Unetice ont pris la place de la culture Cordée. Aujourd'hui, l'ascendance Yamnaya est plus forte au nord de l'Europe qu'au sud.

Ces résultats fournissent de nouvelles données au sujet du débat de l'origine et de l'expansion des langages Indo-Européens en Europe. Le meilleur argument de la théorie Anatolienne est que la propagation des langues Indo-Européennes a du suivre une migration importante. Cependant ces résulats génétiques montrent qu'une seconde migration importante est apparue à le fin du Néolithique. Notamment les migrations Yamnaya ont remplacé environ les 3/4 de l'ascendance des habitants d'Europe Centrale. Une théorie alternative est la théorie des Steppes qui proposent que les langues Indo-Européennes sont arrivées avec les pasteurs des Steppes après l'invention des véhicules à roues. Les résultats génétiques donnent un argument convaincant à cette seconde théorie, en apportant la preuve d'une migration massive il y a 4500 ans associée aux migrations Yamnaya, et à l'apparition de la culture Cordée.