Les historiens se sont longtemps intéressés à l'origine des 12 millions d'esclaves Africains emmenés aux Amériques entre 1500 et 1850. La grande majorité ont été embarqués à partir de l'ouest ou du centre-ouest de l'Afrique, mais leur lieu précis d'origine reste largement inconnu.

Les analyses génétiques sont un outil puissant pour estimer l'ascendance des individus et plusieurs études ont montré qu'elles peuvent permettre de déduire l'origine géographique avec une grande précision.

Hannes Schroeder vient de publier un papier intitulé: Genome-wide ancestry of 17th-century enslaved Africans from the Caribbean dans laquelle il donne l'analyse génétique autosomale de 3 esclaves Africains dont les restes ont été retrouvés dans la région de Zoutsteeg près de Philipsburg sur l'île des Caraïbes de Saint Martin. Les études précédentes avaient montré que ces 3 squelettes étaient probablement d'origine Africaine. Les analyses radiocarbone ont donné une date comprise entre 1660 et 1688. A cette époque, l'économie de Saint Martin, comme beaucoup d'autres îles, dépend du travail des esclaves d'origine Africaine. La base de données du Transatlantic Slave Trade contient des informations sur plus de 35.000 voyages de bateaux transportant des esclaves. Cependant, un seul d'entre eux arrive à St Martin entre 1650 et 1700 sans que l'on connaisse son port de départ. De plus, il est probable que de nombreux bateaux ne sont pas enregistrés dans cette base de données. Suite à cette impasse sur l'origine de ces 3 esclaves, les auteurs se sont dirigés vers une analyse génétique.

L'ADN des 3 squelettes a été comparé avec des individus contemporains de différentes populations sur terre. L'Analyse en Composantes Principales a confirmé que les 3 squelettes étaient bien d'origine Africaine:
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L'ADN des 3 squelettes a ensuite été comparé avec 11 populations mondiales. A l'aide de la statistique D, les auteurs ont montré que les 3 esclaves de Saint Martin étaient plus proches de la population Africaine des Yoruba (voir la figure 1A ci-dessous). Notamment ils sont plus proches des Yoruba que des chasseurs-cueilleurs Africains San ou des Pygmées Mbuti.
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Ils ont été ensuite comparés à 11 populations ouest Africaines (voir la figure 1B ci-dessus). Une Analyse en Composantes Principales a été effectuée (voir la figure 1C ci-dessus). L'individu STM1 se regroupe avec une population Bantoue, alors que les 2 individus STM2 et STM3 se regroupent avec une population non bantoue. Des résultats similaires sont obtenus à l'aide du logiciel TreeMix:
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Ensuite, le logiciel ADMIXTURE a été utilisé pour comparer les 3 squelettes aux 11 populations Africaines précédentes. Le résultat est donné pour K=3 dans la figure 1D ci-dessus. Ainsi on s'aperçoit que STM1 a une plus grande proportion d'ascendance Bantoue, alors que STM2 et STM3 ont une plus grande proportion d'ascendance non Bantoue, notamment Yoruba. STM2 montre une plus forte proportion d'ascendance Kada, Mada ou Bulala suggérant une affinité avec les personnes parlant un langage Chadique ou Soudanais.

Ensuite les haplogroupes mitochondriaux ont été déterminés. Les 3 individus appartiennent ainsi aux haplogroupes L3b1a, L3d1b2 et L2a1f:
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Il est difficile de localiser ces 3 groupes en Afrique à cause de leur large distribution qui est le résultat de milliers d'années de mouvements de population. Cependant, on peut noter que l'haplogroupe L3b1a de STM1 est un des plus commun dans le bassin du lac Tchad.

Parmi les 3 squelettes, il y a 2 hommes (STM1 et STM2) et 1 femme (STM3). L'haplogroupe du chromosome Y de STM1 a pu être également déterminé. Il appartient à l'haplogroupe R1b-V88 qui est fréquent autour du lac Tchad montant à 95% de fréquence dans le nord du Cameroun, en correspondance donc avec son haplogroupe mitochondrial.

En conclusion, ces données génétiques suggèrent que l'individu STM1 peut être originaire d'un groupe Bantou du nord du Cameroun, alors que STM2 et STM3 sont probablement originaire d'un groupe non Bantou du Nigeria ou du Ghana.