Sandra Wilde vient de publier sa thèse intitulée: Populationsgenetik kupfer- und bronzezeitlicher Bevölkerungen der osteuropäischen Steppe.. Quelques mois auparavant elle avait publié un papier intitulé: Direct evidence for positive selection of skin, hair, and eye pigmentation in Europeans during the last 5,000 y.

L'objectif de cette étude porte sur les cultures archéologiques de la partie ouest de la ceinture des steppes eurasiennes de l'énéolithique à l'âge du Bronze Moyen, entre 6500 et 2000 av. JC. La zone d'étude s'étend de la côte ouest de la mer Noire vers la zone du Nord pontique au nord de la mer Caspienne dans la région de la Volga inférieure et moyenne. La côte de la mer Noire est la limite sud naturelle de la région considérée. En Bulgarie, la région s'étend jusqu'à la haute plaine de la Thrace. A l'Est de la mer d'Azov le Caucase du Nord constitue la limite sud :
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La zone Nord Pontique est divisée du sud au nord en trois bandes naturelles: la zone des steppes, la steppe boisée et la ceinture de forêts dans le nord. La zone d'étude est relativement plate et légèrement ondulée. Le climat est aride dans la zone des steppes. La zone de steppe boisée est plus fraiche avec une courte saison sèche à la fin de l'été.

L'image de la préhistoire dans la zone Pontique du nord et du nord ouest a été pendant des décennies dominée par l'hypothèse des Kourganes de Maria Gimbutas. En conséquence, les peuples des Kourganes de la steppe ont été montrés comme des nomades qui ont renversé de manière guerrière les cultures rurale et paisible de l'Europe du Sud. Ceci est caractérisé par trois ou quatre vagues de migrations qui ont existé au début du Chalcolithique et à l'âge du Bronze et ont participé à la propagation de ces peuples.

Un total de 180 échantillons issus de 39 sites archéologiques dans la région pontique ouest et nord, a été analysé dans cette étude:
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Le matériel provient principalement de kourganes. Seuls quelques individus de la période énéolithique étaient enterrés dans des tombes plates. Après une première évaluation, 17 échantillons ont été écartés. De plus 3 échantillons finalement avérés de l'âge du fer ont également été écartés. Sur les échantillons restants, seuls 66 ont donné des résultats pour l'ADN mitochondrial. Les régions HVR et 32 SNP de la région codante ont été testés pour discriminer les haplogroupes:
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Parmi les 66 échantillons analysés, des haplotypes identiques ont été observés à plusieurs reprises provenant d'un même site archéologique. Dans un de ces cas, les échantillons PEJ3 et PEJ4, correspondent à un adulte et un enfant. Ils ont été enterrés dans une même fosse. La détermination morphologique du sexe de PEJ4 était un homme, cependant, la génétique indique qu'il s'agit en fait d'une femme. Par conséquent, il est probable que c'est la mère et son enfant. On a ainsi également écarté l'enfant des analyses génétiques suivantes.

Les 65 échantillons restants analysés ont un total de 36 haplotypes différents, dont 65% se situent dans les haplogroupes H (et R1) et U:
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Dans la figure ci-dessus, Gesamt signifie Tous les échantillons, ÄNL: énéolithique, JAM: culture Yamnaya, POL: culture de Poltavska, KGK: Culture des Catacombes et KAK: culture des Amphores globulaires du nord-est de l'Europe.

Les haplogroupes U représentent un héritage des populations de chasseurs/cueilleurs. Ils se partagent entre U5, U4 et U2. Voici leur répartition par groupe:
2014_Wilde_Thesis_Figure9.8.jpg On remarque notamment que la proportion d'U4 est particulièrement forte dans la culture des Catacombes.

Ensuite une Analyse Multi Dimensionnelle basée sur la distance génétique a été réalisée sur ces groupes préhistoriques des steppes et comparés à des groupes préhistoriques d'Europe et de Sibérie de l'ouest:
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Dans la figure ci-dessus, les populations de chasseurs-cueilleurs sont en vert, les fermiers néolithiques d'Europe Centrale sont en bleu, les groupes des Steppes en rouge et les groupes de Sibérie occidentale en jaune. Ainsi on s'aperçoit que la culture de Yamnaya est proche du groupe énéolithique des Steppes. De même la culture des Catacombes est proche de la culture de chasseurs-cueilleurs de la céramique perforée (PWC).

L'absence totale de l'haplogroupe C ou d'autres haplogroupes d'Asie centrale indique que la zone Nord Pontique était à l'époque génétiquement isolée du néolithique de Sibérie occidentale. Environ un tiers des individus possède l'haplogroupe U caractéristique des anciennes populations de chasseurs-cueilleurs. Les deux tiers restant sont des haplogroupes caractéristiques du néolithique européen. Il faut noter cependant la forte proportion d'haplogroupes H (28%). Ces résultats génétiques soutiennent la théorie archéologique que le bétail est arrivé dans la Steppe avec la culture LBK ou son précurseur, la culture Cris. Cela suggère un scénario dans lequel les agriculteurs européens ont immigré dans la steppe pontique Nord (diffusion démique au moins du côté maternel). Ainsi, au cours de l'énéolithique la population des Steppes était un mélange des deux groupes culturels mésolithique et néolithique.

La culture des Catacombes s'est probablement développée sur la base de la culture Yamnaya, mais il existe des preuves en faveur d'une ou plusieurs influences externes sur leur genèse. Alors que la culture Yamnaya et dans une moindre mesure, les échantillons de l'énéolithique ont de grandes affinités avec les échantillons du néolithique d'Europe centrale, les distances génétiques entre eux et la culture des Catacombes sont fondamentalement plus grande. Dans la culture Yamnaya un seul échantillon des steppes pontiques porte un lignage U4. L'augmentation rapide des lignages U4 avec l'apparition de la culture des Catacombes renvoie vers la Culture de chasseurs-cueilleurs de la céramique perforée (PWC). Il y avait peut-être dans la région de la Baltique orientale au cours du néolithique des refuges pour certaines populations de chasseurs-cueilleurs. Ainsi, l'impulsion à l'émergence de la culture des Catacombes aurait pu provenir de ces refuges.

Sandra Wilde a également testé des marqueurs autosomaux sujets à la sélection et liés à la pigmentation de la peau, des cheveux et des yeux. La pigmentation sombre correspond à la position ancestrale de ces marqueurs. Elle s'est maintenue dans les zone de basse latitude en tant que protection contre les radiations UV. Trois marqueurs responsables du changement de la pigmentation ont été étudiés: HERC2, SLC45A2 et TYR.

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Leurs fréquences ont été mesurées dans les populations anciennes et modernes d'Ukraine. Le SNP TYR: rs1042602 est associé à la couleur de la peau et des yeux, le SNP SLC45A2: rs16891982 est associé à la couleur de la peau, des cheveux et des yeux, enfin le marqueur HERC2: rs12913832 est associé principalement à la couleur des yeux, mais aussi à la couleur de la peau et des cheveux. Des résultats ont été obtenus sur 63 échantillons de la steppe pontique de l'âge du cuivre et du bronze. La fréquence des allèles de ces trois marqueurs correspondant à une pigmentation claire augmente fortement entre les populations anciennes et les populations contemporaines (voir la Table 1 ci-dessus). Ainsi la pigmentation a beaucoup évolué en s'éclaircissant entre les populations préhistoriques et les populations modernes de la même zone géographique. Pourtant les analyses mitochondriales ont montré qu'il y avait peu de différences entre la population préhistorique et la population contemporaine. Il semble donc qu'il y ait eu une certaine continuité génétique dans la zone des steppes pontiques, au moins du côté maternel. L'évolution de la fréquence des allèles des marqueurs liés à la pigmentation est donc liée à la sélection naturelle.

De manière générale la fréquence des allèles des marqueurs liés à la pigmentation est fortement corrélée avec la distance à l'équateur. Les échantillons anciens étudiés ici se situent dans une zone géographique située entre 42° et 54° de latitude Nord. A ces latitudes, le rayonnement UV est insuffisant pour que la peau puisse synthétiser la vitamine D3. Or la peau claire synthétise plus facilement la vitamine D3 que la peau sombre. Ainsi à ces latitudes la peau claire devait être un avantage et favoriser ces individus. Le changement de diète durant le néolithique a du renforcer la pression de la sélection à ces latitudes. En effet les fermiers mangent moins de poissons ou de foies d'animaux sauvages riches en vitamine D, que les chasseurs-cueilleurs.

La vitamine D joue donc sur la couleur de la peau, mais à priori pas sur la couleur des cheveux et des yeux. Cependant il semble que ce soit les mêmes marqueurs génétiques qui éclaircissent la couleur de la peau, des cheveux et des yeux. Donc tout semble lié. De plus, il est possible que les cheveux et les yeux clairs soient soumis à une pression sexuelle qui pousse les individus à rechercher un conjoint ayant ces traits physiques. De ce point de vue, il est donc possible que les individus à cheveux et yeux clairs aient été favorisés dans leur reproduction.