Les populations humaines montrent de subtiles différences dans les fréquences des allèles qui permettent d'identifier des structure géographiques. Ainsi une étude génétique précédente a permis de regrouper les êtres humains en 5 clusters principaux regroupés en fonction des principaux continents:
- les Africains
- une large population regroupant les Européens, les Moyen-Orientaux et les Sud Asiatiques
- les Asiatiques de l'Est
- les Océaniens
- les Amérindiens
Cependant lorsque cette étude à voulu regrouper les êtres humains en 6 groupes distincts, le sixième cluster a montré une surprise en regroupant les Kalash. Ces derniers sont une population isolée du Sud de l'Asie parlant un langage Indo-Européen. Ils résident dans les vallées des montagnes de l'Indu Kush, dans le nord-ouest du Pakistan, près de la frontière Afghane. Les derniers recensements montrent une population d'environ 5000 individus représentant une minorité religieuse avec des traditions culturelles riches et uniques.
Une récente étude génétique a émis l'hypothèse que les Kalash étaient le fruit d'un mélange génétique avec une population Ouest-Eurasienne daté entre 990 et 210 av. JC. Les auteurs avaient alors supposé que cette population pourrait être liée avec l'invasion grecque d'Alexandre le Grand en Inde en 327 et 326 av. JC, bien qu'aucune évidence de cette sorte n'est supportée par l'analyse des marqueurs uniparentaux que sont l'ADN mitochondrial et du chromosome Y.
Qasim Ayub vient de publier un papier intitulé: The Kalash Genetic Isolate: Ancient Divergence, Drift, and Selection. Il a ainsi génotypé l'ADN autosomal de 23 individus Kalash et séquencé à haute couverture un individu. Ces échantillons appartiennent à des individus habitant trois vallées de l'Hindu Kush:
Les résultats ont été comparés avec différentes populations mondiales. Ainsi une Analyse en Composantes Principales a été effectuée avec les populations d'Eurasie et d'Asie du Sud:
Les Kalash représentés par les points verts se situent dans un groupe à part dans la partie supérieure centrale de la figure. Cette isolation génétique des Kalash est également confirmée par l'analyse à l'aide du logiciel ADMIXTURE comme le montre la figure ci-dessous obtenue avec un paramètre K=7:
Dans cette figure les Kalash sont caractérisés par une couleur unique vert foncé, bien que quelques échantillons partagent une proportion de leur ascendance avec leurs voisins du Pakistan (couleurs orange clair et bleu clair). Les calculs d'homozygotie et de déséquilibre de liaison des Kalash reflètent un haut niveau d'isolation pour cette population, ainsi qu'une faible taille effective. Les analyses de statistique f3, ADLER et TreeMix montrent également aucun flux de gènes récent dans cette population.
L'analyse PSMC appliquée au Kalash séquencé à haute couverture, à trois génomes Africains et six génomes non Africains, indique que le Kalash a subi un sévère effet de goulot il y a 50.000 à 70.000 ans. Ces résultats sont à rapprocher avec ceux présentés dans le papier de Monika Karmin. Les Kalash se sont un peu étendus par la suite mais sans jamais dépasser une taille effective de plus de 20.000 individus. Ils ont ensuite eu une taille effective inférieure à 10.000 depuis les 20.000 dernières années. Une analyse MSMC a permis d'estimer l'époque de divergence de la population Kalash. Cette valeur est ainsi d'environ 11.800 ans comme le montre la figure ci-dessous:
Les auteurs ont également évalué les relations génétiques entre trois anciens génomes et les populations contemporaines à l'aide de la statistique f3. Ces trois anciens génomes sont ceux d'un chasseur-cueilleur sibérien du site de Malt'a daté de 24.000 ans, un chasseur-cueilleur Ibérique du site de La Braña daté de 7000 ans et un fermier néolithique du chalcolithique Alpin: Ötzi daté de 5300 ans. Ainsi les Kalash partagent un haut niveau de dérive génétique avec l'échantillon de Malt'a, mais de plus bas niveau avec l'homme de La Braña ou Ötzi. Avec ces 2 derniers, le partage est de même niveau que des populations du Nord de l'Europe:
L'homme de Malt'a a été identifié comme le représentant d'une troisième ascendance pour les Européens (voir le papier de Lazaridis, 2014). Ce point est également conforté par le partage élevé de dérive génétique entre les Kalash et les populations Yamnaya des bords de la Volga qui partagent également une ascendance avec l'homme de Malt'a (voir le Papier de Haak, 2015). Ainsi on peut considérer les Kalash comme une ancienne population Nord Eurasienne et cette ancienne composante a probablement été attribuée à tord à un récent flux de gènes en provenance de Grèce.
Ce papier est intéressant notamment parce qu'il propose un lien génétique entre la population Yamnaya et la population Kalash sachant que cette dernière parle une langue Indo-Européenne. Par contre l'estimation de son âge de divergence est probablement trop élevée.
3 réactions
1 De Pierre - 12/05/2015, 08:15
Ce cluster spécifique est du à une forte consanquinité chez ces populations. Le même phénomène s'observe chez les Mozabites ou certains groupe berbères Tunisiens isolés qui forment aussi un cluster spécifique dans ce type d'analyse. Souvent interprété malheureusement de manière erronée et un peu vaque comme c'est le cas ici, généralement souvent en lien avec l'idéologie indo-européenne ... Rappelons du reste que le fait que des migrations massives en provenance des steppes pontiques ait eu lieu il y a 4500 ans vers l'Europe et soit à l'origine de R1b en Europe de l'ouest ne prouve absolument pas que ces migrants aient apporté aussi les langues indo-européennes... Il est important de le souligner.
2 De Rainetto - 03/06/2015, 22:10
@Pierre
Non, ce cluster spécifique est génétiquement situé très approximativement entre les européens actuels et les populations plus moyen-orientales-sud asiatiques situées aux alentours. Ce mélange spécifique des Kalash n'existe plus que partiellement dans les populations alentours, car les Kalash ont simplement subit de façon plus modérée les vagues les plus récentes de migrations dans cette région ce qui cause une certaine distance génétique par rapport aux populations alentours.
De plus leurs haplogroupes ne laissent aucun doute sur une origine partielle relativement récente (plusieurs millénaires, pas plus) similaire avec les Européens surtout de l'Est et les Indiens du Nord et Iraniens.
Leurs traits physiques partiellement europoïdes (avec les même allèles codant les mêmes caractères) va dans le même sens, ont les trouvent d'ailleurs aussi, mais à des taux plus faibles dans toutes les populations du Moyen Orient. Cependant cette origine européenne partielle semble génétiquement incomplète, car en fait ils ont surtout la part "steppique" (culture de Yamna) de l'ascendance européenne actuelle, mais peu la part néolithique (les EEF) et paléolithique occidentale (WHG), d'où le fait que les auteurs de cette étude passent à coté d'une influence génétique européenne récente car ils n'ont pas prit en compte ce facteur.
L’hypothèse de très loin la plus parcimonieuse pour expliquer ces donnés est donc que les Kalash, comme toutes les populations alentours, ont reçu une très forte part d'ascendance des indo-européens des steppes à l'age du Bronze, en mélange avec un substrat local préexistant, puis plus tardivement cette région du monde a connue à large échelle d'autres bouleversements génétiques par l’arrivé et le mélange d'autres populations génétiquement très distantes et d'origine plus sud-asiatiques, les Kalash ont reçu une part plus faible (mais tout de même conséquente) de ces nouveaux arrivants par rapport aux populations voisines, d'où une distance génétique qui s'est creusée avec ces dernières, tout simplement.
l'interprétation principale de cette étude (isolation des Kalash depuis 12000ans) est aujourd'hui fortement contesté et critiqué par de nombreux chercheurs comme étant irrationnelle est particulièrement simpliste (pouvant s’expliquer par l'idéologie des auteurs de cette étude), faisant quelques omissions graves, les 12 000 ans d'isolation calculé l'ont été seulement sur la base de la distance génétique autosomale actuelle, sans prendre en compte d’éventuels événements de mélange plus récents entre des populations génétiquement plus distantes à l'origine.
C'est comme si on prenait un créole antillais, mettons (j'invente) avec 50% d'ascendance européenne et 50% d'ascendance africaine, selon un événement de mélange encore historiquement récent mais déjà homogène entre deux populations séparées depuis plus de 100 000 ans, on obtiendrait avec cette méthode de calcul interprétée de façon aussi brute et simpliste que les créoles sont isolés génétiquement des africains et des européens depuis 50 000 ans sur la seule base des distances génétiques autosomales, lol !!!
3 De liganol - 28/07/2015, 01:10
Si j'ai bien compris ce papier, on dit que les Kalash ont déjà représenté une population de 20000 personnes il y a plus de 20000 ans, ce qui était énorme à cette époque, et que par la suite ils n'ont jamais dépassé une population de 10000 personnes. J'ai toujours trouvé ce genre de choses incompréhensible : ils ont connu l'agriculture comme leurs voisins, alors pourquoi leur population n'a jamais augmenté ? et c'est fou de penser que leur population était plus élevé au Paléolithique qu'au Néolithique et les époques postérieures, alors que ça devrait être le contraire. Comment cela est-il possible ? problème de fertilité ? volonté de ne pas augmenter leur population et de là s’ensuivant un contrôle de naissance ? Je n'ai jamais compris qu'une population puisse rester réduite, surtout pendant les dernières dix décennies, alors que c'est plutôt la tendance contraire qu'on observe la plupart du temps.