La Sibérie est une vaste région géographique du Nord de l'Asie qui s'étend des montagnes de l'Oural à l'ouest du Pacifique, et de l'océan Arctique aux steppes Kazakhes et Mongoles. Elle est habitée par une petit nombre de populations indigènes dont le nombre d'individus varie de quelques centaines à quelques milliers. Ces peuples parlent une variété de langues appartenant aux familles Turque, Toungouse, Mongole, Ouralique, Yeniseïque, Tchouktches-Kamtchadales et Eskimo-Aléoute, ainsi que quelques isolats. Il y a aussi des variations dans les moyens de subsistance: les populations du sud sont des pasteurs qui élèvent des bovins et des chevaux; ceux de la région de la vallée de l'Amour vivent de pêche, de chasse et de cueillette; les peuples du Nord et du Centre élèvent des rennes et chassent du gibier; et ceux de l'Est chassent les mammifères marins.
Les preuves archéologiques attestent de la présence de l'homme moderne il y a 46.000 ans en Sibérie du Sud et de l'Ouest. Dans la région de l'Altai, il a coexisté avec l'homme de Néandertal et l'homme de Denisova. Les régions Arctique ont été occupées il y a 35.000 ans environ. Il y a un débat pour savoir si les hommes ont pu rester dans ces régions pendant le dernier maximum glaciaire, mais il est probable que la Sibérie a été dépeuplée à cette époque. Le génome complet d'un individu vieux de 24.000 ans sur le site de Mal'ta en Sibérie du sud montre qu'il n'y a pas d'affinité génétique entre cet individu et les Sibériens contemporains, indiquant ainsi un probable remplacement de la population après le dernier maximum glaciaire.
Irina Pugach vient de publier un papier intitulé: The complex admixture history and recent southern origins of Siberian populations. Elle a étudié 542 individus appartenant à 20 populations Sibériennes pour investiguer leurs relations génétiques. Ces populations ont été comparées à 9 populations de référence.
Une Analyse en Composantes Principales a ensuite été réalisée. Dans la figure ci-dessous, la couleur est relative à la famille linguistique des populations: les langues Mongoles sont en rouge, les langues Turques en bleu, les langues Toungouses du Nord en vert foncé, les langues Toungouses du Sud en vert clair, les langues Ougriques en marron, les langues Samoyèdes en orange, les langues Yénisséiques en noir, les langues Youkaghirs en bleu azur, les langues Tchouktches-Kamtchadales en Bordeaux, les langues Eskimo en rose, les lnagues Indo-Européennes en violet et les langues Sino-Tibétaines et Japonaises en gris:
La première composante sépare les Européens des Asiatiques, alors que la seconde composante sépare les Sibériens du Nord-Est et les Eskimos des autres populations. De manière intéressante, les populations se regroupent par familles linguistiques. Les populations parlant le Mongole se regroupent près des Chinois et des Japonais sauf les Buryats qui sont proche des populations parlant une langue Turque.
Ensuite une analyse avec le logiciel ADMIXTURE a été réalisée. Les résultats pour le paramètre K=6 sont donnés dans la figure ci-dessous:
Les six composantes obtenues correspondent à l'Europe (vert clair), l'Asie de l'Est (violet), la Sibérie de l'Ouest (jaune), les Eskimos (vert foncé), la Sibérie de l'Est (rouge) et la Sibérie du Centre (bleu). Cette analyse révèle une image compliquée de l'ascendance des Sibériens. En effet ces populations ont plus que 2 voir jusqu'à 6 composantes différentes impliquant d'importants flux de gènes entre ces populations, bien que des variations semblent suivre un gradient géographique. Ainsi la composante de Sibérie du Centre est observée à haute fréquence dans le Nord et décroit vers le Sud de la Sibérie. A l'inverse la composante Est Asiatique est importante dans le Sud de la Sibérie et décroit vers le Nord.
Pour démêler ce qui est lié à l'isolation par la distance et ce qui est dû à des flux de gènes issus de migrations, les auteurs ont ensuite fait une analyse de segments identiques par descendance (IBD). Ainsi les populations de l'Est de la Sibérie partagent plus de segments IBD avec des individus de la même population, que les autres populations, indiquant probablement un effet de goulot important. De manière générale le partage de segments IBD entre populations différentes s'explique davantage par la proximité géographique que par l'affinité linguistique. Il y a cependant des exceptions avec les Altaiens, les Touvains, les populations Mongoles et les Evens. Ces résultats indiquent des migrations récentes pour ces populations. Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales sur le nombres de segments IBD partagés entre populations:
On remarque une bonne corrélation avec la géographie, avec cependant quelques variations. Ainsi les populations du Taimyr (Nganassans, Dolgans, Koryaks) sont plus éloignés sur la figure ci-dessus alors qu'ils sont proches géographiquement. De même les Buryats se rapprochent des populations Turques, et non des autres populations Mongoles. Ces variations sont liés à des migrations sur de longues distances.
Les populations du Sud de la Sibérie (Altaiens, Touvains et Buryats) élèvent des bovins, des moutons, des chèvres et des chevaux. Leur composition génétique est similaire, bien que les Altaiens ont plus d'ascendance Européenne et moins d'ascendance de Sibérie Centrale. Une analyse par Graphe d'Ascendance Historique (AHG) donnent des résultats différents pour ces populations:
Les dates de mélanges génétiques sont cependant équivalentes avec un premier événement autour de 3000 à 3500 ans, et un dernier autour de 2000 ans.
Les Yakuts et les Dolgans parlent une langue Turque. Les Yakuts élèvent des bovins, des moutons, des chèvres et des chevaux, alors que les Dolgans élèvent des rennes et chassent comme leurs voisins géographiques. Ils ont une affinité génétique avec les populations du Sud de la Sibérie. L'analyse AHG donne les résultats suivants:
Les Yakuts sont probablement originaire du Sud de la Sibérie et partagent une ascendance avec les Buryats. Les Dolgans, bien que proche linguistiquement des Yakuts, sont plus proche des Evenks culturellement.
Les peuples parlant une langue Toungouse se sont diffusés de la rivière Ienisseï à l'ouest vers la péninsule de Kamchatka à l'est et de la péninsule de Taimyr au nord à la Chine au sud. Les Evenks et les Evens sont traditionnellement des chasseurs très mobiles et des éleveurs de rennes qui se sont dispersés sur de vastes territoires de la Sibérie. Les Oroqens du nord-est de la Chine sont des chasseurs et des éleveurs de chevaux. Les Hezhens sont des pêcheurs et des chasseurs. Enfin les Xibo sont des agriculteurs. Dans l'Analyse en Composantes Principales les Evens et les Evenks sont très proches les uns des autres. Les populations Toungouses prennent leurs ascendances dans trois sources distinctes: la Sibérie Centrale, l'Asie de l'est et la Sibérie de l'est. L'analyse AHG montre différents scénario de mélanges génétiques pour ces peuples.
Le mélange le plus ancien est observé chez les Oroqens et les Hezhens et date d'environ 3120 ans. Le mélange génétique Asiatique chez les Evens date de 1860 ans, ainsi leur migration vers le nord est plus récente que 1860 ans. Les populations Toungouses sont probablement originaire de la région de la rivière Amour.
Les populations Samoyèdes sont traditionnellement des éleveurs de rennes et des chasseurs. L'analyse AHG indique que chez les Selkups et les Nenets, le flux de gène Ouest Sibérien est le plus récent:
Le mélange génétique entre la composante Européenne (vert clair) et la composante de Sibérie Centrale (bleu) est estimé à 2700 ans chez les Selkups, et 2490 ans chez les Nenets Yamal. Toutes ces analyses montrent que les Nganasans sont très différents des autres populations Samoyèdes. Ils sont plus proches des populations Toungouses.
Les péninsules Tchouktche et Kamchatka faisaient partie autrefois de la Béringie. Les plus anciens restes humains dans cette région datent de 13.000 ans. Aujourd'hui les peuples de cette région en particulier les Tchouktches, les Koryaks et les Yupiks Naukan parlent des langues différentes. Les Tchouktches et les Koryaks parlent une langue de la famille Tchouktches-Kamtchadale. Ils élèvent des rennes et pratiquent la pêche et la chasse sur les côtes. Les Yupiks Naukan parlent une langue Eskimo et chassent les mammifères marins. L'analyse en Composantes Principales a montré que ces 3 peuples sont très proches génétiquement.
La figure ci-dessous résume les différents résultats de cette étude:
Toutes les populations Sibériennes ont vécu des mélanges génétiques importants et compliqués. Elles partagent une histoire relativement récente puisqu'aucun mélange génétique est plus ancien que 4500 ans. Cela rejoint d'autres résultats qui montraient que la Sibérie s'est dépeuplée pendant le dernier maximum glaciaire. Les populations actuelles de la Sibérie ne sont donc pas représentatives des populations qui ont colonisé l'Amérique dans les temps préhistoriques.
L'origine et l'histoire des populations Sibériennes
mardi 12 mai 2015. Lien permanent Génétique des populations