Les études d'ADN ancien de chasseurs-cueilleurs Européens ont révélé une forte homogénéité de leurs haplogroupes que ce soit en Scandinavie, en Europe Centrale ou dans la Péninsule Ibérique. L'analyse de l'ADN ancien des premiers fermiers Néolithiques d'Europe Centrale suggère une discontinuité génétique et favorise un processus Néolithique basé sur des migrations humaines. Ces premiers fermiers d'Europe étaient proche génétiquement des habitants actuels du Proche-Orient. Une étude a mis en évidence quatre flux génétiques importants en Europe durant le Néolithique avec un rôle clef de la fin du Néolithique dans la formation génétique des Européens actuels. Une autre étude a montré que les Européens contemporains dérivent génétiquement principalement de trois populations distinctes.
Cependant, deux aspects cruciaux n'ont pas été pris en compte dans ces études précédentes:
- les données archéologiques montrent que la néolithisation de l'Europe s'est faite en plusieurs vagues successives
- il n'y a aucune donnée génétique ancienne en Europe du sud-est
Montserrat Hervella vient de publier un nouveau papier intitulé: Ancient DNA from South-East Europe Reveals Different Events during Early and Middle Neolithic Influencing the European Genetic Heritage. Dans cette étude, 63 individus issus de 10 sites archéologiques de Roumanie s'étendant du début du Néolithique à l'Âge du Bronze récent ont été analysés (entre 6300 et 1100 av. JC.):
Cette région est stratégique car elle correspond à un lieu de passage entre le Proche-Orient et l'Europe. Ces sites regroupent des cultures archéologiques importantes comme la culture de Starčevo-Criş du Néolithique Ancien, les cultures de Boian, Zau et Gumelniţa du Néolithique Moyen ou Récent en provenance d'Anatolie, le complexe Enéolithique de Decea Mureşului et les cultures de l'Âge du Bronze de Floreşti-Polus influencées par les cultures des Steppes Pontiques.
Les régions HVR1 et HVR2 de l'ADN mitochondrial ont été séquencées. Les haplogroupes ont ensuite été confirmés par l'analyse de SNPs de la région codante par PCR-RFLPs. 59 séquences mitochondriales ont ainsi été obtenues.
Les 5 séquences du Néolithique Ancien montrent 5 haplotypes différents appartenant aux quatre haplogroupes suivants: H, HV, J et T1a. H est l'haplogroupe le plus fréquent chez les populations Européennes actuelles. Les haplogroupes J et T1 sont supposés être des marqueurs de la diffusion Néolithique en provenance du Proche-Orient.
Les 41 séquences du Néolithique Moyen et Récent appartiennent à 8 haplogroupes différents: H, HV, R, J, K, T, U et W. Le plus fréquent est H (58,5%) suivi par U (12,2%), J (12,2%) et T1 (4,8%). Les séquences H montrent une forte diversité avec 13 haplotypes différents. Les séquences U montrent 5 haplotypes différents dont 4 appartiennent aux haplogroupes U4 et U5 fréquents chez les chasseurs-cueilleurs d'Europe. Les haplogroupes J et T1 sont des marqueurs néolithiques typiques du Proche-Orient. Leurs fréquences est équivalente à celles des populations contemporaines, de même pour les autres haplogroupes K, W, HV et R.
Il n'y a que 2 séquences correspondant à l'Enéolithique. La culture de Decea Mureşului est supposée correspondre à l'arrivée de migrants en provenance des Steppes Pontiques. Les 2 séquences obtenues appartiennent à l'haplogroupe K et correspondent à 2 haplotypes différents jamais encore trouvés dans des séquences d'ADN ancien en Europe.
Deux séquences ont été obtenues pour l'Âge du Bronze Ancien et sont toutes les deux de l'haplogroupe K. Les séquences obtenues pour l'Âge du Bronze Récent correspondent à 8 haplotypes différents appartenant à 4 haplogroupes: H, HV, U5 et W.
Les séquences obtenues pour le Néolithique Ancien de Roumanie sont relativement proches des séquences obtenues pour la culture LBK indiquant probablement une origine commune pour ces deux cultures.
Les séquences obtenues pour le Néolithique Moyen et Récent de Roumanie sont assez proches de celles obtenues pour la même période en Europe Centrale. Cependant il y a une forte différence correpondant aux fréquences de l'haplogroupe H: 58,5% en Roumanie et seulement 22% en Europe Centrale, de l'haplogroupe K: 4,8% en Roumanie et 17% en Europe Centrale, et de l'haplogroupe T: 4,8% en Roumanie et 14,8% en Europe Centrale. De plus les haplogroupes N1a et X sont absents en Roumanie.
Les auteurs ont comparé les résultats obtenus pour l'Âge du Bronze Récent avec une population de la même période en Ukraine. Ces 2 populations partagent les haplogroupes H, U et W, mais avec une plus forte différence correspondant à la fréquence de W.
Les auteurs ont ensuite comparé les populations anciennes de Roumanie avec d'autres populations anciennes Européennes et avec des populations contemporaines. Ils ont réalisé une Analyse en Composantes Principales et une Analyse Multidimensionnelle. Les deux premières composantes de l'Analyse en Composantes Principales correspondent à 47% de la variance. La première composante est reliée aux haplogroupes D, C, M et N, et la seconde à l'haplogroupe H:
Les populations du Néolithique Ancien de Roumanie et d'Europe Centrale se regroupent ensemble, alors que la population du Néolithique Moyen et Récent de Roumanie ne se regroupe pas avec les populations de la même période d'Europe Centrale, mais plutôt avec les populations contemporaines.
L'Analyse Multidimensionnelle est indiquée dans la figure ci-dessous:
Les populations de chasseurs-cueilleurs se regroupent sur la gauche de ce graphique. Les populations du Néolithique Ancien de Roumanie et d'Europe Centrale se regroupent en haut à droite. Par contre, les populations du Néolithique Moyen et Récent de Roumanie et d'Europe Centrale sont séparées. La population de Roumanie se regroupe avec les populations contemporaines, alors que la population d'Europe Centrale se regroupe avec les populations du Néolithique Ancien. Enfin les populations de l'Âge du Bronze Récent de Roumanie se regroupent avec la population de la même période d'Ukraine.
Les données de cette étude confirment l'origine commune des cultures LBK et Starčevo-Criş du Néolithique Ancien probablement à partir des cultures Néolithiques Egéennes du Nord de la Grèce et de Théssalie (Proto-Sesklo).
Le Néolithique Moyen et Récent de Roumanie est proche génétiquement des populations contemporaines de l'est et du centre de l'Europe. Il est possible de supposer que cette population ancienne de Roumanie soit due à une seconde vague de migrants Néolithiques en provenance du Proche-Orient et qu'elle a eu un impact plus important que la première vague du Néolithique Ancien sur la composition génétique des populations contemporaines. Cette hypothèse est supportée par le plus grand nombre de sites archéologiques du Néolithique Moyen et Récent que du Néolithique Ancien, dans le sud-est de l'Europe. Ces populations du Néolithique Moyen et Récent de Roumanie ont pu influencer par la suite les populations de la fin du Néolithique d'Europe Centrale.
Enfin, la population de l'Âge du Bronze de Roumanie se regroupe avec la population de la même période d'Ukraine et semble avoir un faible impact génétique sur les populations contemporaines.
une réaction
1 De Rainetto - 15/06/2015, 15:10
Cette étude se base seulement sur les ADN mitochondriaux, une part infime de l'ADN sujet à dérives. Mais bon il y a de nombreux labos pas encore équipés ou formés pour travailler sur le séquençage de l'ADN autosomal, et il faut bien qui continuent à travailler et publier...
""Ces premiers fermiers d'Europe étaient proche génétiquement des habitants actuels du Proche-Orient.""
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Euh non ! On ne peut vraiment pas dire cela. Des études bien plus importantes (dont ce blog fait part, la plus notoire est ici http://secher.bernard.free.fr/blog/... ) montrent clairement la distance nette et forte entre les populations actuelles du Proche Orient et les anciens néolithiques européens (EEF), et de plus les haplogroupes Y sont bien différents. Ca se voit très bien sur les analyses en composante principale (ADN autosomal): la distance génétique entre Proche orientaux actuels et EEF est aussi forte, sinon plus forte encore, que entre les Européens actuels et les Proche-orientaux actuels. Donc on ne peut certainement pas dire que les EEF sont proches des Proche-orientaux actuels, c'est un très gros et grave raccourci fondé sur l’hypothèse de l'origine ancienne des EEF.
De plus les actuels européens du sud-est (Balkans, Italie de sud) sont aujourd'hui bien plus rapprochés des Proches-orientaux actuels que ne l'étaient les EEF (ce qui peut s'expliquer par un certain flux récent en provenance du Proche Orient sous l'empire Ottoman ou déjà les Romains et les Byzantins).
Bien sûr l’hypothèse de base de l'origine des EEF comme provenant du Proche Orient néolithique, au moins partiellement, tiens très bien la route, mais dans ce cas il est forcé que les Proche-orientaux actuels n'en sont plus que très partiellement les descendants, leur parenté avec les EEF est désormais bien lointaine. Car d'autres populations plus méridionales ou plus orientales, auquel il faut ajouter les Indo-européens dans le nord de la zone, ont profondément changé le profil génétique du Proche-Orient depuis le néolithique. On a pas encore le moindre ADN ancien de la zone pour le moment (ce qui est aberrant, les réserves des musées occidentaux ont en quantité des restes humains du Proche Orient ancien, il n'y a pas d'obstacle) pour comparer, mais il parait qu'il y a quelques échantillons en cours d'étude, je les attend avec impatience, c'est vraiment une pièce manquante majeure pour commencer à comprendre le grand tout...