Selon la plupart des scénarios l'Australie est vue comme un continent qui fut colonisé juste après l'expansion humaine en dehors de l'Afrique il y a entre 60 et 100.000 ans. Les preuves génétiques et archéologiques suggèrent que les ancêtres des aborigènes d'Australie sont arrivés il y a au moins 45.000 ans. Bien qu'il y ait un consensus sur la date d'arrivée des premiers hommes modernes dans le Sahul, il y a encore une controverse sur la route prise par cette première migration. Il y a également une controverse pour savoir si l'Australie et la Nouvelle Guinée ont été colonisées en même temps ou non et sur d'éventuelles migrations supplémentaires en Australie avant l'arrivée des Européens.

Les analyses d'ADN mitochondrial ont démontré une forte affinité entre les aborigènes d'Australie et les populations de Nouvelle-Guinée et ont suggéré également une affinité avec des populations d'Inde. Les analyses d'ADN autosomales supportent l'hypothèse que les aborigènes d'Australie représentent l'une des plus anciennes populations non Africaines, avec peu d'introgression de populations extérieures jusqu'aux époques historiques.

Nano Nagle vient de publier un papier intitulé: Antiquity and Diversity of Aboriginal Australian Y-Chromosomes. Il a étudié la diversité du chromosome Y sur un ensemble de 657 aborigènes d'Australie en testant 17 marqueurs STR et 47 marqueurs SNP.

Parmi l'ensemble de la population étudiée, 55,6% ont un ADN du chromosome Y qui n'est pas indigène à l'Australie. La grosse majorité d'entre eux sont d'origine Européenne:
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C'est la région Victoria qui à la plus grande proportion d'haplotypes non indigène, et les territoires du nord la plus faible. Il y a ainsi globalement 32,4% d'haplogroupe R et 8,2% d'haplogroupe I. On trouve également l'haplogroupe O d'origine Asiatique (5,8%).

292 individus possèdent un haplogroupe indigène à l'Australie: C-M347, K-M526*, S-P308 ou M-M186. Cinq d'entre eux sont de l'haplogroupe C-M130* et sont dispersés sur toute l'Australie: 1 en Queensland, 1 en Australie du sud et 3 dans les territoires du nord. Six sont de l'haplogroupe M-M186: 3 en Queensland, 2 en Australie du sud et 1 dans les territoires du nord.
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L'haplogroupe aborigène le plus fréquent est K-M526* et sa sous-clade S-P308 (54%):
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Tous les échantillons S-P308 de Victoria se regroupent à part (points verts).

L'haplogroupe C-M347 regroupe 122 échantillons, soit 41,8% des haplotypes indigènes à l'Australie. Sa plus haute fréquence se retrouve dans les territoires du nord et sa plus faible dans la région Victoria. 3 sous-clades de C-M347 ont été identifiées: C-DYS390.1 del, C-M210 et C-M347*:
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La diversité des haplotypes est très importante suggérant que ces haplogroupes sont très anciens. Il y a ainsi 210 haplotypes parmi les 278 échantillons indigènes complets. Parmi ceux-ci, 164 sont des singletons, 25 sont partagés à l'intérieur de la même région et seuls 21 haplotypes sont partagés dans plusieurs régions, essentiellement entre l'Australie du sud et les territoires du nord.

L'estimation de l'âge de l'ancêtre commun le plus récent (TMRCA) pour différents haplogroupes a été faite à l'aide de trois méthodes différentes: la statistique rho, la statistique ASD et l'algorithme BATWING. Sachant la différence d'un facteur 3 entre le taux de mutation généalogique (OMR) et le taux de mutation évolutionnaire (EMR), les résultats obtenus diffèrent d'un facteur équivalent:
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Ainsi, en utilisant le taux généalogique, le TMRCA de C* estimé varie entre 6.800 et 22.000 ans entre la statistique rho et la méthode BATWING. Si on suppose que la méthode BATWING donne la meilleure estimation, l'âge de C-M347 est de 14.000 ans, celui de C-M347* de 8.000 ans, celui de C-DYS390.1 del de 11.000 ans et celui de C-M210 de 5.000 ans. Enfin l'âge de K-M526* est de 16.000 ans et celui de S-P308 est de 11.000 ans. En utilisant le taux évolutionnaire, l'âge de C* est d'environ 76.000 ans, l'âge de C-M347 est de 49.000 ans, l'âge de C-M347* est de 27.000 ans, celui de C-DYS390.1 del de 40.000 ans, celui de C-M210 de 20.000 ans. L'âge de K-M526* est de 57.000 ans et celui de S-P308 de 37.000 ans.

La très forte proportion d'haplogroupes Européens chez les aborigènes d'Australie montre qu'il y a eu une perte considérable de la diversité du chromosome Y dans cette population depuis le 18ème siècle. On a ainsi estimé qu'au moins 50% de la population indigène est décédée peu après la colonisation Européenne suite à l'introduction de maladies étrangères comme la variole. De plus les lois mises en place par les Européens ont créé des réserves pour les aborigènes et ont interdit aux métisses de rendre visite aux personnes de leur famille mais non métissées. De plus souvent les hommes et les femmes étaient mis dans des réserves séparées. Du coup beaucoup d'indigènes ont perdu la trace de leurs grands-parents et ont une connaissance limitée de leur ascendance aborigène.

L'haplogroupe K* avait déjà été rapporté en Australie, mais aussi en Nouvelle Guinée, Mélanésie et Micronésie. La découverte de nouveaux marqueurs a permis de raffiner la phylogénie de cet haplogroupe et a mis en évidence notamment la sous-clade S-P308. La présente étude confirme que S-P308 est commun parmi les aborigènes d'Australie. Sachant la large distribution et l'ancienneté de cet haplogroupe, il est difficile de dire si l'arrivée de cette population dans le Sahul représente une seule migration suivie d'une divergence de cet haplogroupe, ou plusieurs événements démographiques à différentes périodes.

L'haplogroupe C-M347* est également largement distribué en Australie et très ancien. La sous-clade C-DYS390.1 del est la plus discutée car certain ont avancé l'idée qu'elle est arrivée en Australie durant l'holocène en provenance d'Inde, en introduisant le dingo et de nouveaux outils à base de microlithes sur ce continent. Cependant l'absence de lignées C-M356, L-M20 ou R-M207 sud-asiatiques dans cette étude indique qu'il n'y a pas de preuve pour un flux de gènes masculins en provenance d'Inde. De plus des études récentes ont montré que le dingo était originaire davantage de Chine du sud que d'Inde. Il est donc probable que la sous-clade C-DYS390.1 del ait évolué sur place à partir d'un vieil ancêtre Australien.

Le fait que l'haplogroupe C-M347 et ses sous-clades soit limité aux aborigènes Australiens a des implications sur les routes de migration de leurs ancêtres il y a environ 50.000 ans. S'ils sont arrivés via la Nouvelle Guinée, il faut expliquer son absence dans cette région aujourd'hui. Il n'y avait pas de barrière géographique entre l'Australie et la Nouvelle Guinée avant l'holocène, cependant il y a pu avoir une barrière culturelle ou linguistique. Il est possible que les fondateurs qui portaient l'haplogroupe C-M130 ont suivi une route le long de la chaîne actuelle Indonésienne et se sont séparés en deux groupes avant d'entrer dans le Sahul. Un groupe est ensuite arrivé dans le nord de l'Australie avant l'émergence de C-M347, alors que l'autre est entré en Nouvelle Guinée avant l'émergence de C-M38 et autres sous-clades de C. Une alternative possible est qu'il y ait eu une seule migration qui soit entré d'abord en Nouvelle Guinée. Une partie des premiers colons auraient ensuite migré vers le sud et l'actuelle Australie. Cette colonisation initiale a pu être suivie d'une longue période d'isolation.

L'haplogroupe K-M526* est présent aujourd'hui en Nouvelle Guinée, Mélanésie et Australie. Il est donc possible que le porteur initial de K-M526 a colonisé d'abord la Nouvelle Guinée avant d'entrer en Australie, comme pour C-M130. Ainsi la sous-clade S-P308 aurait émergé ensuite uniquement en Australie.