La communauté Bene Israel dans l'ouest de l'Inde est un groupe unique dont l'histoire avant le 18ème siècle est largement inconnue en dehors de leur tradition orale. Le philosophe juif Maïmonide mentionne, dans une lettre écrite il y a 800 ans, une communauté juive vivant en Inde. Au 18ème siècle les membres de la communauté Bene Israel vivaient dans des villages le long de la côte Indienne occidentale du Konkan. Ils étaient appelés Shanivar Teli: terme Marathi pour désigner des presseurs d'olives du samedi car ils ne travaillaient pas ce jour là. Après 1948 la plupart de ces membres émigrèrent en Israël. Au début du 21ème siècle, 50.000 de ces membres vivaient en Israël et seulement 5000 en Inde, principalement dans la ville de Bombay. La tradition orale dit que les Bene Israel sont les descendants de juifs dont le bateau a fait naufrage au large de la côte du Konkan. Seuls sept hommes et sept femmes auraient survécus. La date exacte de cet événement aussi bien que l'origine de ce bateau ne font pas partie de cette tradition orale. Certains parlent de deux mille ans au début de notre ère, d'autres de l'année 175 av. JC date à laquelle des Juifs du nord d'Israël ont quitté leurs maisons pour fuir les persécutions d'Antiochus Epiphanes. Pour ajouter au manque de précision de cette histoire, une tradition similaire de sept couples survivants existe également dans la tradition orale d'autres populations Indiennes. D'autres affirment que les ancêtres des Bene Israel sont arrivés plus tôt en Inde dès le 8ème siècle av. JC ou plus tard aux 5ème ou 6ème siècle de notre ère en provenance du Yemen, d'Arabie Saoudite ou de Perse. Cependant, à part ces vagues traditions orales il n'y a aucun élément qui permet de supporter l'une ou l'autre de ces suggestions au sujet de l'origine de cette communauté qui reste perdue dans la légende.

Durant ces dernières années quelques études génétiques ont montré que les lignées mitochondriales des Bene Israel sont principalement d'origine Indienne, bien que quelques haplogroupes sont inexistants en Inde mais présents dans d'autres populations Juives. De plus un haplogroupe du chromosome Y commun en Inde est absent des Bene Israel alors que l'haplotype modal des Cohen est commun parmi eux. Ces résultats suggèrent que les lignées fondatrices masculines de la communauté Bene Israel sont originaire du Moyen-Orient, alors que les lignées féminines sont plutôt Indiennes. De plus, les études génétiques précédentes des populations Indiennes ont montré que la plupart d'entre elles sont issues de deux populations ancestrales: Ancestral North Indians (ANI) reliée aux Eurasiens occidentaux et Ancestral South Indians (ASI) reliée aux populations des îles Andaman.

Yedael Y. Waldman et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The Genetics of Bene Israel from India Reveals Both Substantial Jewish and Indian Ancestry. Ils ont étudié le génome de 18 individus issus de la population des Bene Israel qu'ils ont comparé au génome de 486 individus de 41 populations Juives, Indiennes ou Pakistanaises ainsi qu'à d'autres populations.

Une Analyse en Composantes Principales a été réalisée. Dans la figure A ci-dessous, la première composante sépare les populations Africaines des autres populations, et la seconde composante sépare les populations Européennes et Moyen-Orientales des populations Est Asiatiques. Les individus Juifs se regroupent avec les populations Européennes et du Moyen-Orient, alors que les populations Indiennes et Pakistanaises se regroupent entre les deux extrêmes. Les Bene Israel se regroupent avec les populations Indiennes et Pakistanaises, bien que plus proche des populations Juives, Européennes et Moyen-Orientales:
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La figure B ci-dessus se focalise uniquement sur les populations Juives, Moyen-Orientales, Pakistanaises et Indiennes. La première composante sépare les populations Indiennes et Pakistanaises des populations Juives et Moyen-Orientales, alors que la seconde composante sépare les différentes populations Juives. Les populations Indiennes se positionnent en fonction de leurs proportions ANI-ASI. Les Bene Israel sont proche des autres populations Indiennes, mais parmi ces dernières, ils sont plus proches des populations Juives. La figure C montre uniquement les populations Indiennes, Pakistanaises et les Bene Israel. Ces derniers se séparent nettement des autres, tout en étant plus proche des populations avec une forte proportion d'ANI. Enfin la figure D montre uniquement les populations Juives, Moyen-Orientales, Pakistanaises et les Bene Israel. Ces derniers sont nettement séparés des autres populations juives. De plus certaines populations Pakistanaises sont plus proche des populations juives que les Bene Israel.

Les auteurs ont également utilisé la statistique Fst qui mesure la dérive génétique entre les populations à partir des fréquences des allèles. Cette analyse montre une forte dérive génétique de la communauté Bene Israel et donc leur forte isolation durant leur histoire en Inde.

Une analyse avec le logiciel ADMIXTURE a également été réalisée. Dans la figure ci-dessous, les Bene Israel sont en violet, les populations Juives sont en rouge, les populations Pakistanaises en noir, les populations Indiennes en bleu et les populations du Moyen-Orient en vert:
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Le paramètre K=3 identifie trois ascendances: Africaine (en rouge), Est Asiatique (en orange) et Européenne/Moyen-Orientale (en vert-jaune). Les populations Indiennes et Pakistanaises sont composées de différentes proportions des ascendances Est-Asiatique et Européenne/Moyen-Orientale largement corrélées à leurs composantes ANI-ASI. Pour K=4, une ascendance Indienne (en vert) émerge qui reflète la composante ASI. Pour K=5 les composantes Européenne (en vert-jaune) et Moyen-Orientale (en bleu clair) se séparent. Le groupe Bene Israel se sépare des autres populations Indiennes en montrant une plus forte proportion de la composante Moyen-Orientale alors que la composante ANI des populations Indiennes s'identifie dans la composante Européenne. Cependant certaines populations Pakistanaises montrent la même proportion d'ascendance du Moyen-Orient que les Bene Israel. Pour K=6 une ascendance spécifique des Juifs d'Afrique du Nord (en bleu) émerge. Pour K=7 une ascendance spécifique des Juifs Iraniens (en violet) émerge qui apparait également dans de nombreuses populations du Moyen-Orient ainsi que chez les Bene Israel. Enfin pour K=8 une ascendance spécifique des Bene Israel (en rose) émerge indiquant ainsi la spécificité de cette population. Cette composante apparait à très faible proportion dans certaines populations Indiennes et Pakistanaises mais aussi dans des populations du Moyen-Orient (Juives ou pas).

Les auteurs ont ensuite comparé les relations entre les différentes populations basées sur le partage de segments IBD (Identity-by-descent). Les segments IBD partagés par deux individus représentent un héritage issu d'un ancêtre commun. Plus ces segments sont longs, plus l'ancêtre commun vivait récemment. Le partage de segments IBD entre deux populations est mesuré par la moyenne de la longueur des segments IBD partagés entre deux individus de ces deux populations. Ainsi les populations Juives partagent plus de segments IBD avec les autres populations Juives qu'avec les populations Indiennes et les populations Indiennes partagent plus de segments IBD avec les autres populations Indiennes qu'avec les populations Juives (voir la figure A ci-dessous):
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Comparé aux autres populations Juives, les Bene Israel partagent le plus de segments IBD avec les populations Indiennes et comparé aux autres populations Indiennes, les Bene Israel partagent le plus de segments IBD avec les populations Juives. La figure B ci-dessus montre que les populations qui partagent le plus de segments IBD avec les Bene Israel sont les Velama, Lodi et Bhil. De manière intéressante ces populations ne sont pas les populations Indiennes avec la plus forte proportion d'ANI. De plus, les populations Juives qui partagent le plus de segments IBD avec les Bene Israel sont les Juifs du Moyen-Orient: Georgie, Irak, Syrie et Iran. La figure C montre qu'aucune population Pakistanaise ne partagent autant de segments IBD avec les populations Juives que les Bene Israel. De plus les Bene Israel partagent plus de segments IBD avec les populations Juives du Moyen-Orient qu'avec les populations non Juives du Moyen-Orient (Druzes, Bédouins, Palestiniens). Ceci est d'autant plus vrai si on prend en compte uniquement les plus long segments IBD relatifs à des ancêtres communs plus récents.

Motivés par ces premiers résultats, les auteurs ont ensuite regardé si les Bene Israel pouvait être une population résultant d'un mélange génétique entre deux populations ancestrales Juive et Indienne à l'aide du logiciel ALDER. Ce dernier confirme cette hypothèse et montre ainsi que les Bene Israel ne suivent pas un modèle basé sur des proportions ANI-ASI comme les autres populations Indiennes. Notamment la date estimée de mélange génétique entre les deux populations ancestrales des Bene Israel se situe entre 19 et 33 générations (650 à 1050 ans). Elle est beaucoup plus récente que le mélange génétique ANI-ASI estimé entre 64 et 144 générations. Les proportions d'ascendance Indienne varient de 20,2% à 44% et d'ascendance Juive de 15,5 à 23%. Si on remplace les Bene Israel par une population Pakistanaise il n'est pas possible de la voir comme un mélange génétique équivalent entre une population Indienne et une population Juive. Les auteurs ont également utilisé la statistique f4 pour montrer que les Bene Israel sont plus proche des populations Juives du Moyen-Orient que des populations non Juives du Moyen-Orient. Le logiciel GLOBETROTTER confirme les résultats obtenus avec le logiciel ALDER. Il estime ainsi que les Bene Israel sont une population issue d'un mélange génétique formé par 55% d'une population Indienne à forte proportion d'ascendance ASI et 45% d'une population Juive.

De manière générale les populations Juives et les populations Indiennes montrent un haut niveau d'endogamie. Les Bene Israel montrent un plus haut niveau d'endogamie encore que ces populations. Ils montrent notamment les segments homozygotes les plus longs. Ceci est révélateur d'une effet de goulot génétique ou d'un événement fondateur à partir d'une très faible population daté entre 26 et 30 générations compatible avec les résultats précédents.

Pour une population constituée d'autant d'hommes que de femmes, il y a trois copies du chromosome X pour quatre copies des autosomes (car l'homme ne possède qu'un seul chromosome X contre deux pour la femme). Ce rapport théoriquement de 3/4, est cependant plus faible entre les Bene Israel et les populations Juives qu'entre les Bene Israel et les populations Indiennes:
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Ceci indique que la contribution Juive aux Bene Israel est plus faible que prévue concernant le chromosome X, et donc que la population Juive a apporté plus de lignées masculines que féminines. Ces résultats sont compatibles avec ceux obtenus dans les études précédentes d'ADN mitochondrial ou du chromosome Y.

En conclusion, cette étude a montré que même si les Bene Israel sont comme les populations Pakistanaises issus d'un mélange génétique entre une population du Moyen-Orient et une population Asiatique, ils diffèrent néanmoins des Pakistanais car à l'inverse de ceux-ci ils sont issus d'un mélange génétique entre une population Juive et une population Indienne.