Les études archéologiques ont documenté une présence humaine sur le plateau Tibétain depuis environ 30.000 ans. Les études linguistiques suggèrent que les populations Tibétaines et Chinoises ont divergé il y a environ 6000 ans. Les analyses du chromosome Y et mitochondriales montrent la co-existence de lignées Paléolithiques et Néolithiques chez les Tibétains contemporains. Une étude récente a montré que cinq SNP du gène EPAS1 qui permet l'adaptation aux hautes altitudes, sont hérités des hommes de Denisova.

Dongsheng Lu et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancestral Origins and Genetic History of Tibetan Highlanders. Ils ont analysé le génome de 33 Tibétains, 5 Sherpas et 39 Chinois Han. Ces données ont été comparées ensuite aux génomes d'un grand nombre de populations:
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L'étude des distances génétiques montre que les Tibétains sont plus proche génétiquement des populations Est Asiatiques (en rouge ci-dessous), suivies ensuite par les populations d'Asie Centrale et de Sibérie (en jaune orangé):
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Dans la figure ci-dessus, la longueur des segments est proportionnelle à la distance génétique (dont la valeur est indiquée sur les cercles gris) entre les Tibétains et la population considérée.

Les auteurs ont également réalisé une Analyse en Composantes Principales:
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Ci-dessus, la figure A compare les Tibétains avec toutes les populations mondiales et la figure B avec seulement les populations les plus proches génétiquement. Les Tibétains sont en bleu et les Est Asiatiques en rouge. La figure C distingue les Tibétains (ronds bleus) des Sherpas (triangles bleus) et de certaines populations Est-Asiatiques (en rouge). Enfin la figure D compare les Tibétains (ronds bleus), les Sherpas (triangles bleus) et les populations Est Asiatiques les plus proches génétiquement: les Tu, les Naxi et les Yizu (en rouge) qui vivent sur le plateau. Cette dernière figure permet de différencier les Tibétains et les Sherpas montrant ainsi qu'ils constituent deux groupes génétiques distincts.

Parmi les populations qui ne vivent pas sur le plateau, les Chinois Han sont les plus proches génétiquement des Tibétains, bien que les résultats du chromosome Y et de l'ADN mitochondrial montrent des différences significatives. Ainsi l'haplogroupe D du chromosome Y est absent chez les Chinois, mais très fréquent (66%) chez les Tibétains. De tels écarts ne sont pas observés dans l'ADN mitochondrial bien que certains haplogroupes montrent des différences significatives. Ainsi l'haplogroupe B5 est absent chez les Tibétains alors qu'il est de 10% chez les Chinois. De manière générale, les Tibétains montrent une plus faible diversité génétique que les Chinois, un plus faible niveau d'hétérozigosité, un plus haut niveau de segments d'homozigosité et une plus faible taille de la population effective sur les 15.000 dernières années, probablement liée à une plus forte isolation de la population Tibétaine. Le temps de divergence entre les populations Tibétaine et Chinoise est estimé entre 15.000 et 9.000 ans. Cette divergence est probablement reliée à des migrations récentes qui ont suivi le Dernier Maximum Glaciaire.

Les auteurs ont ensuite fait une analyse avec le logiciel ADMIXTURE. La figure ci-dessous donne le résultat pour K=7. Les Tibétains sont ainsi principalement composés d'une ascendance Est-Asiatique en rouge (82%), d'Asie Centrale et de Sibérie en orange (11%) et d'Asie du Sud en vert (6%):
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Les Chinois Han sont composés principalement d'une ascendance Est Asiatique (92%) et d'Asie Centrale et de Sibérie (7%). Leur composante d'Asie du Sud est inférieure à 0,5%.

Les auteurs ont ensuite utilisé les statistiques f3 et f4 pour étudier l'influence d'ascendances anciennes (Néandertal, Denisova, Ust'Ishim) sur les Tibétains et les Chinois. Ils ont ainsi montré que les Tibétains possédaient plus d'ascendance ancienne que les autres populations, sauf les Océaniens (qui en possèdent un peu plus) et certaines populations Est-Asiatiques du plateau Tibétains comme les Tu, les Naxi et les Yizu (qui en possèdent autant). Ainsi le taux d'ascendance archaïque est de l'ordre de 6,17% chez les Tibétains contre 5,86% chez les Chinois Han.

Les auteurs ont ensuite séparé les ascendances Néandertalienne et Denisovienne chez les Tibétains et les Chinois. La figure A en haut ci-dessous montre en bleu à gauche l'ascendance archaïque totale chez les Tibétains et en orange à droite chez les Hans.
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La figure B ci-dessus montre que l'ascendance Néandertalienne est équivalente chez les Tibétains et les Hans. Enfin la figure C montre que l'ascendance Denisovienne est seulement un peu plus élevée chez les Tibétains que chez les Hans. La majorité de la différence d'ascendance archaïque entre Tibétains et Chinois Han vient donc d'une population archaïque inconnue. De manière intéressante, les auteurs ont montré que le niveau d'ascendance archaïque inconnue chez les Tibétains était corrélé avec l'altitude: plus les Tibétains vivent à une altitude élevée, plus ils possèdent d'ascendance archaïque inconnue.

La date d'introgression de cette ascendance archaïque est estimée supérieure à 40.000 ans. De manière générale les Tibétains et les Chinois Han montrent une distribution d'ascendance archaïque équivalente sur l'ensemble du génome, sauf sur une région spécifique de 300 kb localisée sur le chromosome 2. Cette région inclue huit gènes: EPAS1, LOC101805491, TMEM247, ATP6V1E2, RHOQ, LOC100506142, PIGF et CRIPT. Elle diffère énormément entre les Tibétains et les Chinois Han:
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Dans la figure ci-dessus, on a représenté cette région pour les Tibétains (TIB), les Chinois Han (HAN), les Chinois de Pékin (CHB), les Chinois du Sud (CHS), les Japonais (JPT), les Papous (PAP), les Sibériens (SIB), les Indiens de Singapour (SSIP) et les Malais de Singapour (SSMP). L'ascendance de Denisova est en bleu. On remarque ainsi qu'elle est prépondérante pour le gène EPAS1 qui permet l'adaptation à l'altitude chez les Tibétains. L'ascendance de Neandertal est en rouge et l'ascendance de Ust'Ishim est en orange.

Ces différences entre les Tibétains et les autres populations ne peuvent pas être expliquées par des flux de gènes récents. Elles sont importantes pour l'origine et la pré-histoire des Tibétains. Elles remontent à une date située entre 62.000 et 38.000 ans, antérieure au Dernier Maximum Glaciaire. Cela indique que la colonisation du plateau Tibétain est beaucoup plus ancienne que ce que l'on croyait précédemment. Les auteurs de ce papier suggèrent d'appeler SUNDer, le groupe ancien d'origines ancestrales diverses qui a introduit cet haplotype chez les Tibétains d'aujourd'hui.

Les auteurs proposent un modèle d'ascendance en deux vagues successives pour expliquer la composition génétique des Tibétains et des Sherpas:
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Une ancienne vague plus vieille que le Dernier Maximum Glaciaire aurait résulté dans un motif d'ascendances Paléolithiques diverses présent dans un groupe ancestral: les SUNDer. Ces ascendances sont archaïques (Neandertal, Denisova et inconnue), mais aussi liées à des hommes modernes proche de l'individu de Ust'Ishim en Sibérie, vieux de 45.000 ans. Ce groupe SUNDer aurait pu vivre déjà sur le plateau Tibétain, ou dans une région moins élevée avant d'arriver sur le plateau Tibétain il y a au moins 40.000 ans. Après le Dernier Maximum Glaciaire, plusieurs migrations humaines arrivèrent sur le plateau, dont notamment une migration Néolithique composée d'une population qui a divergé des ancêtres communs aux Tibétains et aux Chinois Han. Par la suite a eu probablement lieu sur le plateau, la divergence entre les Tibétains et les Sherpas.