Les données génétiques suggèrent que l'ascendance des Européens actuels représente une mosaïque de contributions issues de multiples vagues migratoires préhistoriques. Notamment deux événements démographiques majeurs ont eu lieu: la diffusion du Néolithique à partir d'Anatolie il y a environ 9000 ans et la migration il y a environ 5000 ans à partir des Steppes Pontiques. Ces migrations sont à l'origine de changements sociaux, culturels et linguistiques qui ont conduit tous les deux au remplacement de plus de la moitié du pool génétique en Europe Centrale.
Durant ces événements, souvent les hommes et les femmes suivent des histoires démographiques différentes à cause de plusieurs facteurs culturels comme les normes concernant l'héritage ou la résidence des familles en fonction de la résidence des parents, la hiérarchie sociale, les préférences et évitements dans le choix du conjoint. Ces comportements laissent des traces dans les gènes qui sont hérités différemment chez les hommes et les femmes.
L'analyse de l'ADN mitochondrial hérité de mère en fille et de l'ADN du chromosome Y hérité de père en fils a suggéré que la diffusion du Néolithique s'est faite grâce à une large migration de populations à partir de l'Anatolie. En général ces études semblent montré que cette migration a été conduite davantage par les hommes que par les femmes. De la même façon il a été suggéré que la migration du début de l'Âge du Bronze à partir des Steppes Pontiques a été conduite principalement par des hommes.
Amy Goldberg et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Familial migration of the Neolithic contrasts massive male migration during Bronze Age in Europe inferred from ancient X chromosomes. Ils ont testé les hypothèses que les migrations Néolithique et du début de l'Âge du Bronze ont été conduite principalement par les hommes à partir de l'analyse des autosomes et du chromosome X sur des individus anciens de ces deux périodes en Europe Centrale:
Ils ont ainsi utilisé une statistique Q qui estime le rapport de la taille de la population effective mesurée à partir du chromosome X sur la taille de la population effective mesurée à partir des autosomes. Dans un modèle démographique conduit par autant d'hommes que de femmes, ce rapport doit être égal à 0,75. Il y a en effet deux chromosome X pour deux autosomes chez les femmes et un seul chromosome X pour deux autosomes chez les hommes. Un taux obtenu différent de 0,75 implique une migration biaisée sexuellement. Les résultats obtenus pour le Néolithique conduit à un taux de 0,75 impliquant ainsi une migration conduite autant par les femmes que par les hommes. Par contre les résultats obtenus pour le début de l'Âge du Bronze conduit à un taux de 0,237 impliquant ainsi une présence beaucoup plus nombreuse des hommes dans cette migration.
Les auteurs ont ensuite déterminé les proportions d'ascendance chez ces différents individus séparément à partir du chromosome X et à partir des autosomes. Dans la figure A ci-dessous, l'ascendance issue des fermiers d'Anatolie est en vert alors que l'ascendance issue des chasseurs-cueilleurs du Mésolithique est en violet. Dans la figure B l'ascendance issue des Steppes Pontiques est en rouge alors que celle issues de fermiers Européens est en bleu:
Dans un modèle démographique impliquant autant de femmes que d'hommes ces proportions doivent être identiques. La figure A ci-dessus montre que c'est le cas pour la transition Néolithique, alors que ce n'est pas le cas pour la transition de l'Âge du Bronze (figure B). Il y a effectivement moins d'ascendance issue des Steppes Pontiques sur le chromosome X que sur les autosomes. Le rapport des proportions d'ascendance des Steppes Pontiques mesuré sur le chromosome X (36,6%) et sur les autosomes (61,8%) est de 0,592. Pour expliquer ce rapport les auteurs ont invoqué deux modèles démographiques différents:
- un seul événement de mélange génétique ponctuel
- une arrivée constante dans le temps de populations des Steppes Pontiques en Europe Centrale sur une période donnée
Le premier modèle ne permet pas d'expliquer les données obtenues. Le second modèle permet d'expliquer les données mais varie dans ces résultats en fonction des paramètres choisis. Selon le cas le rapport du nombre d'hommes issus des Steppes Pontiques sur le nombre de femmes issues des Steppes Pontiques varie de 5 à 14.
Ainsi la migration de l'Âge du Bronze des Steppes Pontiques vers l'Europe Centrale a été une migration massive et rapide fortement conduite par les hommes qui ont pris pour conjoint des femmes d'Europe Centrale issues de la culture Néolithique locale. Cette migration n'a pas été ponctuelle mais s'est déroulée continument sur plusieurs générations. A l'inverse la migration Néolithique a été une migration à une large échelle conduite par une population entière composée peut-être de familles. Elle s'est probablement déroulée à une vitesse beaucoup plus lente que la migration de l'Âge du Bronze.
9 réactions
1 De rainetto - 04/10/2016, 05:34
Ah, je suis contant que vous faites un billet sur cette étude, car elle m'a fait réagir.
Je trouve leur interprétation d'une migration masculine parfaitement simpliste, leurs donnés peuvent s'expliquer autrement.
L'information n'est pas nouvelle, et les haplogroupes R1b très dominants dans toute l'Europe de l'Ouest, même dans les régions à dominante autosomal EEF qui ont un apport génétique autosomal de la steppe qui est minoritaire, m'avait déjà conduit à réfléchir à la question (et pas que moi).
Il n'y a probablement pas eu de "migration masculine", mais simplement une polarisation sexuelle dans le mélange progressif des deux populations, après que les IE des steppes aient migré en Europe de l'Ouest (avec hommes et femmes). Le fait qu'ici les auteurs ont pu déterminer que ce mélange a été long et progressif va d’ailleurs bien dans ce sens, et pas dans le sens d'un "migration masculine".
Les Indo-européens étaient une population à forte hiérarchie sociale héréditaire (avec une importante caste dominante, une noblesse transmettant ses privilèges de façon héréditaire), et lorsque les indo-européens faisaient la conquête de nouveaux territoires et de leurs populations autochtones, les IE reproduisaient leur système social et formaient les castes supérieures, tandis que les peuples autochtones formaient la caste inférieure. De plus tout indique que les IE avaient un système fortement patriarcal, le pouvoir et les privilèges de caste se transmettaient donc en lignée héréditaire masculine essentiellement.
Avec un tel système social (largement reconnu par la plupart des spécialistes du sujet depuis longtemps) il est aisé d'imaginer que les hommes de la caste dominante d'origine steppique avaient le droit d'épouser une femme autochtone (donc issue d'une caste inférieure, cette femme connaissait alors une ascension sociale) mais que les femmes de la caste dominante n'avaient pas ce droit, avant tout parce que les hommes de caste inférieure n'avaient pas le droit d'épouser ou de toucher une femme de caste supérieure, ces dernières étaient une chasse gardée de la caste supérieure.
Ainsi à chaque génération les haplogroupes Y de la caste dominante se répandent bien plus vite dans la population que son ADN autosomal, et plus encore que l'ADN du chromosome X et l'ADN mitochondrial. Au bout d'un certain nombre de générations, mathématiquement, les haplogroupes Y de la caste dominante sont devenus les plus répandus dans toute la population, c'est inéluctable avec le temps.
Cet effet est encore considérablement renforcé en cas de polygamie (avec des concubines issues de castes inférieures, en plus de l'épouse officielle issue de la caste supérieure) ou d'accouplement informels exogames autorisés pour les hommes de la caste supérieure mais pas pour les femme de cette caste supérieure (De toute façon à ces époques il n'étaient pas possible de contrôler ce que les hommes faisaient de leur pinceau lorsqu'ils étaient en vadrouille, beaucoup moins facilement que les femmes), un simple système de prostitution généralisée des femmes de la caste inférieure vis à vis des hommes plus riches de la caste supérieure pourrait aussi l'expliquer. Les IE semblent avoir été plutôt des peuples monogames, mais rien interdit que cela a évolué localement et dans le temps. Mais ces deux conditions ne sont pas mathématiquement nécessaires, elles sont juste un accélérateur du processus décrit plus haut.
Ainsi je ne pense absolument pas qu'il y a eu des migrations masculines, cette idée est parfaitement simpliste et peu réfléchie. Les migrations IE étaient celles de peuples de pasteurs qui migraient familles entières. Mais c'est la polarisation sexuelle progressive des mélanges de population, durant un grand nombre de générations sur plusieurs siècles après la migration et la prise de pouvoir des IE, qui explique le processus de domination des haplogroupes issus de la steppe sur ceux des populations autochtones conquises, alors que l'ADN autosomal lui s'est mélangé. Ensuite une population fille majoritairement R1b, culturellement IE mais déjà mélangée sur l'ADN autosomal, peut reproduire le même processus un peu plus loin, et répandre toujours plus ces R1b alors que l'ADN autosomal sera de moins en moins steppique et de plus en plus EEF: ainsi je pense que les populations IE à dominante R1b qui sont arrivées dans le sud-ouest de l'Europe étaient déjà une population fortement mélangé avec les EEF auparavant.
Le même processus de polarisation sexuelle durant un mélange long et progressif s'est produit en Inde et en Iran avec R1a. Le même processus s'est aussi produit dans certains pays d'Amérique latine où les populations espagnoles et amérindiennes sont mélangées depuis longtemps.
2 De liganol - 05/10/2016, 00:24
''Le même processus de polarisation sexuelle durant un mélange long et progressif s'est produit en Inde et en Iran avec R1a. Le même processus s'est aussi produit dans certains pays d'Amérique latine où les populations espagnoles et amérindiennes sont mélangées depuis longtemps.''
En effet, on peut aussi dire que la même chose s'est quelque peu produit aux Antilles, aux États-Unis avec les noirs américains, et aussi en Australie.
3 De James - 15/12/2016, 20:56
Les ADNs anciens Yamnaya des steppes nont pas les mêmes haplogroupes R1b que ceux de l'Age de Bronze en Europe. Donc a priori ils n'ont pas de lignée paternelle commune donc on ne voit pas l'immigration masculine. Si elle était massive on devrait retrouver les mêmes R1b ou R1a. C'est pas le cas. En revanche on trouve des ADNS anciens des 2 populations ayant le même ADN mt, donc ils partagent des lignées maternelles communes.
Par ailleurs, certes le doc permet de prédire qu'il y avait un déficit de femmes chez les Européens de l'Age de Bronze mais de là à en déduire que l'excès d'homme venait des Steppes, c'est un peu tiré par les cheveux.
4 De Bernard - 16/12/2016, 09:04
James, les Yamnayas sont R1b-Z2103 alors que les Européens sont R1b-L51. Ces deux haplogroupes sont des haplogroupes frères. Ces deux populations ont donc un ancêtre commun qui les précède de peu dans le chalcolithique des Steppes, puisque R1b est absent au Néolithique en Europe Occidentale.
5 De James - 16/12/2016, 13:01
Pour moi, y a un bug à la base de l'article, la contribution mâle femelle n'est pas 1/3, 2/3 mais 1/4,3/4.
6 De James - 17/12/2016, 13:06
"les Yamnayas sont R1b-Z2103 alors que les Européens sont R1b-L51." oui! et c'est le problème: l'âge de la mutation R1b-L51 a été estimé à 6200 ans (Yfull) donc bien antérieure à la migration IE des steppes. On devrait donc les retrouver dans les steppes parmi les Yamnaya or il n'en est rien. Si il y a eu migration ce devait être avant l'apparition de la mutation L51 il y a 6200 ans.
7 De Bernard - 17/12/2016, 16:51
Le complexe Suvorovo-Novodanilovka correspond aux premières migrations des populations des Steppes dans la vieille Europe daté entre 4.300 et 4.000 avant JC. Ce complexe est connu par ses tombes en forme de kourgane. Les tombes Novodanilovka apparaissent sur les bords de la Dnieper alors que les tombes Suvorovo apparaissent au nord du delta du Danube. Ces tombes contiennent notamment des masses de pierre en forme de tête de cheval. Ces populations représentent probablement l'élite de la culture de Sredni Stog. Les habitations de la vieille Europe Néolithique sont alors brûlées et abandonnées dans le delta du Danube. L'origine de cette migration est probablement climatique faisant suite à un refroidissement. Les marais du delta du Danube devaient servir de refuge hivernal pour les troupeaux des populations des Steppes. Peut être étaient elles également attirées par l'abondance de cuivre dans la vieille Europe. Un autre flux migratoire atteint l'est de la Hongrie caractérisé par ses tombes avec des masses de pierre datées de 4.000 ou 3.900 avant JC. On n'a pas encore de résultats de tests ADN sur les premiers kourganes de la basse vallée du Danube, mais peut-être que ces individus étaient les premiers R1b-L51...
8 De James - 17/12/2016, 17:11
Le premier R1b-L51 en Europe a été trouvé à Osterhofen-Altenmarkt en Allemagne [RISE564], culture Bell Beaker âgé de 5600 ans.
http://www.ancestraljourneys.org/co...
genetic data on google drive
https://drive.google.com/drive/fold...
9 De Bernard - 18/12/2016, 08:46
Oui, les campaniformes sont les plus anciens R1b-L51 actuellement découverts. Ils ne sont pas âgés de 5600 ans mais entre 4500 et 4000 ans. C'est effectivement probablement cette culture campaniforme qui diffuse R1b en Europe Occidentale au 3ème millénaire av. JC. Un papier devrait bientôt sortir (d'ici quelques mois) donnant le génome ancien de plus de 200 squelettes campaniformes. A suivre donc...