Les populations d'Afrique du Nord sont le résultat d'un mélange de différentes migrations car elles sont situées à la croisée de trois continents. Cette région est limitée au sud par le désert du Sahara qui a agi comme une barrière perméable avec le reste du continent Africain, au nord par le bassin Méditerranéen qui a permis le transit des civilisations maritimes à partir de l'Europe, et à l'est par le Moyen-Orient. La présence de l'homme en Afrique du Nord est attestée depuis 130.000 à 190.000 ans. Différentes cultures archéologiques sont attestées comme la culture Atérienne suivie par la culture Ibéromaurusienne durant l'holocène et la culture Caspienne qui a émergé avant le Néolithique. La continuité ou non des populations de ces anciennes cultures est largement débattue.

Les écrits historiques affirment que l'Afrique du Nord a été peuplée par différents groupes supposés être les ancêtres des populations actuelles Berbères. Ces peuples ont vu l'arrivée des Phéniciens au second millénaire av. JC, puis des Romains jusqu'au 5ème siècle de notre ère. L'expansion Arabe a démarré dans la péninsule Arabique au 7ème siècle et s'est poursuivie vers l'Ouest à travers l’Égypte jusqu’à la côte Atlantique. Cette influence a décliné au 16ème siècle lorsque l'empire Ottoman a pris le contrôle de la région, puis avec la colonisation Européenne des 18 et 19ème siècles. La complexité de toutes ces influences a laissé des traces dans le génome des populations d'Afrique du Nord.

De plus, la diversité culturelle de la région est caractérisée par la présence de deux branches principales de langues appartenant à la famille Afro-Asiatique: l'Arabe introduit par l'expansion de l'Islam et le Berbère composé de nombreux langues et dialectes distincts. Aujourd'hui les populations Berbères identifiées par leur langue sont considérées comme les populations ancestrales d'Afrique du Nord.

Les premières études génétiques basées sur les marqueurs uni-parentaux ont montré une forte hétérogénéité parmi les populations Berbères, quelques lignages autochtones comme les haplogroupes mitochondriaux U6 et M1 ou les haplogroupes du chromosome Y E-M78 et E-M81, et un manque de différentiation entre les groupes Arabes et Berbères.

Lara R. Arauna et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Recent historical migrations have shaped the gene pool of Arabs and Berbers in North Africa. Ils ont génotypé environ 900.000 SNPs autosomaux de quatre groupes Berbères du Maroc, d'Algérie et de Tunisie. Ils ont ensuite comparé les résultats avec celui de différentes populations d'Afrique du Nord, d'Afrique Sub-Saharienne, du Moyen-Orient et d'Europe.

Ils ont ainsi effectué une Analyse en Composantes Principales et une analyse avec le logiciel ADMIXTURE:
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Dans la figure ci-dessus en haut, les populations Sub-Sahariennes sont représentées par des carrés noirs à gauche, les populations Européennes par des ronds noirs en bas à droite et les populations du Moyen-Orient par des triangles noirs. Les populations Nord Africaines sont représentées par des ronds de couleur. Les populations Égyptiennes (en bleu clair) et Libyennes (en vert) sont proches des populations du Moyen-Orient et les Berbères de Timimoun (en rouge) se rapprochent des populations Sub-Sahariennes.

Dans la figure ci-dessus en bas, le paramètre K=4 permet de différentier une composante Sub-Saharienne en noir, une composante Européenne en vert, une composante Moyen-Orientale en bleu et une composante Nord Africaine en orange. Pour K=5 on voit apparaitre une composante spécifique pour les Berbères Chenini de Tunisie. Cette population est située en haut à droite dans la figure de la PCA.

Dans la PCA, les populations Berbères se mélangent avec les autres populations Nord Africaines sans constituer un groupe spécifique. Les deux populations Berbères du Maroc se situent dans une position intermédiaire proches des populations non Berbères du Maroc, la population Berbère Sened de Tunisie est proche des populations non Berbères de Libye et d'Algérie. La population Berbère de Timimoun est fortement différenciée et se rapproche des populations Sub-Sahariennes. Enfin la population Berbère de Chenini en Tunisie forme un groupe à part.

Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel fineSTRUCTURE afin d'analyser la structure génétique des populations Nord Africaines. Les auteurs ont ainsi mis en évidence 14 groupes parmi les échantillons Nord Africains qui peuvent être reliés ensemble sous la forme d'un arbre d'affinité génétique visible en haut dans la figure ci-dessous:
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Ci-dessus, la figure du bas indique pour chacune des populations d'Afrique du Nord, la composition à partir des 14 groupes génétiques identifiés. Ces populations ne sont pas homogènes à l'exception des Berbères Chenini de Tunisie formée uniquement par le groupe C, à l'inverse des populations Européennes, Moyen-Orientales et Sub-Sahariennes. Cependant une certaine structure peut-être identifiée. Ainsi le regroupement des clusters R et S proche des populations Sub-Sahariennes. Les groupes B, J et K se situent principalement le long de la côte Nord, et le groupe L se situe à l'Est. Le groupe D se situe dans le Sahara Occidental, et les groupes G et I chez les Berbères Sened de Tunisie. De manière générale, la distribution des différents groupes n'est pas corrélée avec la langue parlée par les individus.

Pour analyser le degré d'endogamie dans les populations d'Afrique du Nord, les auteurs ont fait une analyse des segments d'homozygotie:
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Ainsi le cluster C spécifique des Berbères Chenini de Tunisie et les clusters G et I spécifiques des Berbères Sened de Tunisie présentent le plus de segments d'homozygotie quel que soit la longueur de ceux-ci. Ces résultats indiquent une forte endogamie récente dans ces populations. Cependant les autres populations Berbères montrent une degré d'endogamie équivalent à celui des populations non Berbères contredisant ainsi l'hypothèse selon laquelle les populations Berbères sont plus isolées que les populations non Berbères. De la même façon l'estimation de la taille effective des populations Nord Africaines montre que les Berbères Chenini et Sened de Tunisie présentent une taille effective inférieure aux autres populations.

Enfin, la date des événements de mélange génétique a été estimée avec le logiciel GLOBETROTTER. Les résultats montrent une histoire de flux de gènes continue depuis au moins le premier siècle de notre ère. Les sources principales de ces flux de gènes sont Sub-Sahariennes et Moyen-Orientales. Cette dernière étant la plus importante notamment entre les 7ème et 13ème siècles de notre ère. L'influence Sub-Saharienne est encore plus récente et reliée au commerce des esclaves à partir du 16ème siècle.

En conclusion cette étude montre la forte hétérogénéité génétique des populations d'Afrique du Nord et la complexité de l'histoire démographique de cette région. S'il est courant de différentier les groupes Berbères et Arabes selon leurs pratiques culturelles, notamment leur langue, il n'est pas possible de les différencier génétiquement. Les différentes populations Berbères sont en effet très différentes génétiquement l'une de l'autre et présentent une histoire complexe de mélanges génétiques de la même façon que les autres populations non Berbères d'Afrique du Nord. Cependant certaines populations Berbères comme les Chenini de Tunisie sont plus homogènes et spécifiques génétiquement.