La diversité génétique des Africains n'est pas encore complètement comprise, et de vastes régions d'Afrique ne sont toujours pas documentées génétiquement. Ainsi, le Tchad s'étend sur une superficie égale à 5% du continent Africain et sa position centrale entre l'Afrique Sub-Saharienne, l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Est, a dû jouer un rôle important dans les migrations humaines. Cependant ce pays a été peu étudié au niveau du génome. Il inclue 200 groupes ethniques différents qui parlent plus de 120 langues et dialectes. Il a été suggéré que cette diversité culturelle peut être attribuée à la présence du lac Tchad qui a toujours attiré les groupes humains pour son environnement fertile depuis les temps préhistoriques, notamment pendant l'assèchement progressif du Sahara il y a environ 7000 ans.

Marc Haber et ses collègues viennent de publier un papier intitulé Chad Genetic Diversity Reveals an African History Marked by Multiple Holocene Eurasian Migrations. Ils ont génotypé 480 individus de quatre populations Tchadiennes, du Moyen-Orient (Liban et Yémen) et d'Europe (Grèce) sur 2,5 millions de SNPs autosomaux, et ils ont séquencé le génome de 19 individus parmi ces mêmes populations. Les quatre populations Tchadiennes sont les Toubous, une population nomade du Nord du Tchad parlant une langue Nilo-Saharienne, les Saras, une population sédentaire du Sud du Tchad parlant aussi une langue Nilo-Saharienne, les Laals, une population du Sud du Tchad, de seulement 750 individus qui parlent une langue non classifiée et la population urbaine de la ville de N’Djamena.
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Ces échantillons ont été comparés avec diverses populations mondiales issues du projet des 1000 génomes. Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales:
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Dans la figure B ci-dessus, la première composante permet de séparer les populations Africaines (à droite) et Eurasiennes (à gauche). Les populations du Moyen-Orient, d'Afrique du Nord et d'Afrique de l'Est se situent entre les Européens et les Africains Sub-Sahariens. Les groupes Sara (en rose dans la figure 1C ci-dessus) et Laal (en orange) du Tchad se situent proches des populations Sub-Sahariennes, alors que les Toubous (en vert) et les individus de N’Djamena (en rouge) se trouvent dans une position plus centrale.

Les auteurs ont ensuite étudié la taille de la population effective pour les différents groupes:
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Les Africains et les Eurasiens ont divergé entre 60.000 et 80.000 ans. Ils montrent ainsi une évolution différente de leur taille de la population effective. Notamment la décroissance des populations Eurasiennes est plus marquée que celle des populations Africaines. La population Égyptienne montre une décroissance intermédiaire. Les Toubous et les Éthiopiens montrent des évolutions de leur courbe de la taille de la population effective similaires. De même, les Saras, les Laals et les Africains Sub-Sahariens. Les auteurs suggèrent que la similarité des courbes pour les Toubous et les Éthiopiens est liée à une expérience identique de mélange génétique avec une population Eurasienne.

Ainsi une étude précédente avait montré que les Éthiopiens avaient reçu il y a environ 3000 ans un flux de gènes important en provenance d'Eurasie. Les auteurs ont utilisé la statistique f3 sous la forme: f3(X; Eurasian, Yoruba) pour estimer le degré de mélange génétique entre populations Africaine et Eurasienne, dans les populations Éthiopienne et Tchadienne. Ils ont ainsi montré que toutes les populations Éthiopiennes sont un mélange entre Africains et Eurasiens. De la même façon les Toubous montrent un degré important de mélange génétique entre Africains et Eurasiens, contrairement aux Saras et aux Laals. Cependant la statistique f3 n'est pas sensible aux faibles mélanges génétiques. Les auteurs ont donc ensuite fait une analyse avec les logiciels ALDER et MALDER qui permettent de déduire un faible mélange génétique dans une population à partir du déséquilibre de liaison. Ils ont ainsi mis en évidence un mélange génétique entre Africains et Eurasiens chez les Toubous, les Saras et les Laals:
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Dans la figure ci-dessus les résultats du logiciel ADLER sont donnés par les croix et ceux du logiciel MALDER sont donnés par les losanges. Le logiciel MALDER a également la possibilité de détecter plusieurs événements de mélange génétique ce qui est le cas pour les Toubous (losanges verts), il y a 200 ans et 3000 ans environ. Chez les Saras le mélange génétique a eu lieu entre 4800 et 3900 ans et chez les Laals, il a eu lieu entre 7200 et 4750 ans. Ces deux derniers événements sont estimés comme des signaux d'un même événement de mélange génétique. Cet événement est supposé différent de l'événement de mélange génétique chez les Toubous et chez les Éthiopiens autour de 3000 ans. En effet l'événement situé au Sud du Tchad précède l'autre d'environ 3000 ans, et d'autre part il y a au Tchad un lignage Eurasien du chromosome Y (R1b-V88) qui est absent dans les populations Éthiopiennes. De plus la date d'émergence de cet haplogroupe au Tchad est situé entre 7200 et 4750 ans et correspond à la date de mélange génétique dans la population Laal.

Les auteurs ont ensuite montré que la population Eurasienne la plus proche de la source du mélange génétique chez les Toubous est la population Sarde. En utilisant des échantillons d'ADN ancien, les auteurs ont ensuite montré que les premiers fermiers Néolithiques représentent également une population proche de la source Eurasienne du mélange génétique chez les Toubous et chez les Éthiopiens. En utilisant le logiciel ADMIXTURE avec un paramètre K=2, les auteurs ont ensuite estimé la proportion d'ascendance Eurasienne chez les Toubous (entre 26 et 30%), chez les Saras (entre 0,3 et 2%) et chez les Laals (entre 1,2 et 4,5%). Il est a noter également que la date de mélange génétique entre Africains et Eurasiens chez les Saras et les Laals se situe peu après l'explosion démographique consécutive à l'émergence du Néolithique au Proche-Orient.