Les nouvelles technologies de séquençage du génome à haut débit permettent maintenant d'étudier les variations du chromosome Y dans des anciennes populations à partir d'ADN extrait des restes humains. Il est ainsi possible de savoir quel haplogroupe était présent dans telle région à telle époque, dans la limite de la survie de l'ADN.

Toomas Kivisild vient de publier un papier intitulé: The study of human Y chromosome variation through ancient DNA. Il fait le point sur les différentes données publiées jusqu'ici, concernant les résultats d'analyses du chromosome Y sur des restes anciens d'homme moderne.

Connaissant l'âge des restes humains dont le génome a été séquencé, il est possible de les positionner sur l'arbre phylogénétique du chromosome Y et ainsi d'interroger la validité de cet arbre reconstruit à partir du génome de populations contemporaines.

Ainsi l'arbre ci-dessous incorpore les neufs plus anciennes séquences aujourd'hui reconstruites. Ces séquences appartiennent à l'un des trois haplogroupes basaux identifiés dans les populations Eurasiennes après leur sortie d'Afrique: C, F et K:
2017_Kivisild_Figure3.jpg

Le bon positionnement de ces anciennes séquences conforte la robustesse de l'arbre obtenu à partir des génomes de populations contemporaines, et aide à sa calibration dans le temps. Les deux plus anciennes séquences: Ust’Ishim (carré rouge) en Sibérie et Oase (étoile rouge) en Roumanie appartiennent à la racine de l'haplogroupe K. Ces deux séquences sont également positives pour le SNP M2308 qui définit la base du groupe NO. Ce groupe est aujourd'hui largement diffusé en Eurasie des populations Finno-ougriennes du Nord-Est de l'Europe aux populations d'Asie du Sud-Est. L'homme de Kostenki (triangle rouge) appartient à une population plus proche des Européens actuels que des Est Asiatiques actuels. Pourtant, il appartient à l'haplogroupe C qui est très rare aujourd'hui en Europe. Un autre individu du Mésolithique Espagnol appartient à la sous-clade C6-V20, de même que trois fermiers Néolithiques d'Anatolie et d'Europe Centrale:
2017_Kivisild_Figure4.jpg

Deux autres chasseurs-cueilleurs appartiennent soit à la base de l'haplogroupe C1 (Goyet), soit à l'haplogroupe C6-V20 (Dolni Vestonice). C6-V20 est un groupe spécifique Européen aujourd'hui, alors que les autres clades de l'haplogroupe C sont présentes dans l'Est de l'Eurasie.

La distribution géographique de l'haplogroupe G aujourd'hui a suggéré sa diffusion avec les fermiers du Néolithique. Les données de l'ADN ancien confirment cette hypothèse. Notamment l'homme de glace: Ötzi se regroupe avec les populations actuelles de Sardaigne et de Corse. Or le génome des populations Sardes actuelles est identifié comme le plus proche des premiers fermiers Européens:
2017_Kivisild_Figure5.jpg

A l'inverse, l'haplogroupe H est présent aujourd'hui essentiellement en Asie du Sud, bien que la sous-clade H4-L285 est retrouvée en Europe. Ce dernier haplogroupe a été effectivement retrouvé dans des fermiers d'Anatolie et d'Europe comme le montre la figure ci-dessus.

L'haplogroupe I est restreint aujourd'hui à l'Europe. Il a été identifié comme un marqueur des populations Paléolithiques d'Europe. L'ADN ancien a confirmé cette hypothèse. La sous-clade mineure I3-L596 a été retrouvée chez des fermiers d'Anatolie et des chasseurs-cueilleurs Scandinaves. I1-M253, qui est très fréquent aujourd'hui en Scandinavie, a été retrouvé chez trois individus du Néolithique Final et de l'Âge du Bronze dans cette région Nordique. De manière intéressante, un fermier du Néolithique Ancien de Hongrie est également positif pour le SNP M253. L'haplogroupe I2 est la clade la seconde en fréquence chez les fermiers d'Europe Centrale après l'haplogroupe G. Elle est aussi présente dans la population Mésolithique d'Europe:
2017_Kivisild_Figure6.jpg

L'haplogroupe J a été associé à la diffusion du Néolithique en Europe. Cependant il n'a pas été détecté dans le génome de fermiers Européens. Ses premières traces apparaissent chez des chasseurs-cueilleurs du Caucase (étoiles rouges ci-dessus) et de Carélie, dans le Nord-Ouest de la Russie. On le retrouve également chez des fermiers d'Iran et d'Anatolie. En Europe, il apparait pour la première fois à l'Âge du Bronze.

L'haplogroupe R1b-M343 est aujourd'hui le plus fréquent en Europe Occidentale, avec un pic de 90% dans la population Basque. Il a été suggéré que cet haplogroupe était celui des populations Paléolithiques d'Europe. Nous savons maintenant que l'âge de la sous-clade Occidentale R1b-M269 est récent: entre 7000 et 5000 ans seulement. De plus l'ADN ancien nous montre que les plus anciennes séquences R1b d'Europe n'appartiennent pas à la sous-clade R1b-M269, notamment l'individu de Villabruna vieux de 14.000 ans. En fait la clade R1b-M269 apparait en Europe uniquement au Néolithique Final et à l'Âge du bronze. Nous savons également que la population actuelle Basque a le plus d'affinité génétique avec les premiers fermiers d'Espagne. Leurs chromosomes Y reflètent donc probablement une diffusion démographique plus récente issue de l'Est dans l'aire de distribution de la culture Yamnaya:
2017_Kivisild_Figure7b.jpg

La clade spécifique de la population Yamnaya: R1b-Z2105 est aujourd'hui fréquente dans le Caucase et la région Volga-Oural. De manière intéressante la clade-R1b-V88, aujourd'hui fréquente en Afrique, a des relations au Néolithique Ancien en Espagne, Allemagne et dans la région de la Volga. De plus des anciennes lignées R1b-P297 se retrouvent chez les chasseurs-cueilleurs de Russie et de Lettonie et pourraient indiquer une certaine continuité génétique dans cette région au nord des Steppes.

De manière identique, l'haplogroupe R1a fait son apparition en Europe seulement à la fin du Néolithique et à l'Âge du Bronze à la suite des migrations des Steppes. Il apparait également peu après dans différentes cultures des Steppes. Les sous-clades Européennes R1a-Z283 et R1a-M417(xZ645) sont différentes de la sous-clade Asiatique: R1a-Z93:
2017_Kivisild_Figure7a.jpg

Des chasseurs-cueilleurs appartenant à d'anciens lignages R1a sont présents chez les chasseurs-cueilleurs au Nord des Steppes. Ils pourraient être le témoin d'une continuité génétique dans cette région.

La population Amérindienne a pour haplogroupes du chromosome Y, principalement Q, mais aussi une faible proportion de C3-M217. Ces lignages se retrouvent également en différents endroits d'Eurasie. De manière intéressante, la population Amérindienne hérite de l'ADN d'une population dont fait partie le garçon de Mal'ta de Sibérie vieux de 24.000 ans. Ce garçon se situe à la base de l'haplogroupe R, peu après sa divergence avec l'haplogroupe Q. L'haplogroupe Q a deux lignées anciennes: Q1a-M3 et Q1b-M971, qui ont émergé quelque part en Sibérie avant de se disperser aux Amériques:
2017_Kivisild_Figure8.jpg

Le plus vieux squelette des Amériques dont le génome a été séquencé, se trouve à Anzick (carré rouge). Il appartient à la clade: Q1b-M971. L'individu de la grotte "On your knees" (losange rouge) appartient à l'autre lignée: Q1a-M3, de même que l'homme de Kennewick (disque rouge). Enfin l'individu Saqqaq (étoile rouge) vieux de seulement 4000 ans, appartient à la clade Q2b-B143, que l'on retrouve aujourd'hui dans une population Koriak du Nord-Est de Sibérie.