Les précédentes études d'ADN ancien ont identifié les ancêtres des premiers fermiers Néolithiques d’Europe en Grèce et dans l'ouest de l'Anatolie. Cependant, l'histoire plus récente de ces régions jusqu'à l'Âge du Bronze est moins claire. Il y a des preuves génétiques limitées suggérant des migrations venues de l'Est (Iran et Caucase) atteignant l'Anatolie à partir d'au moins 3800 av. JC. et venues du Nord (Europe du Nord et Sibérie) atteignant l'Europe et contribuant à l'ascendance ANE (Ancient North Eurasian) chez tous les Européens. Cependant l'impact de ces migrations dans la région de la mer Égée reste encore inconnu.

Durant l'Âge du Bronze, deux cultures archéologiques émergent dans la mer Égée. Les Minoens en Crète ont formé la première grande culture Européenne. Cependant leur alphabet Linéaire A n'a jamais été déchiffré obscurcissant ainsi l'origine de cette civilisation. La culture Mycénienne en Grèce continentale écrivait avec l'alphabet Linéaire B identifié comme une forme ancienne du Grec, qui est une langue Indo-Européenne. Les influence Crétoises en Grèce continentale, puis l'occupation de la Crète par les Mycéniens ont relié ces deux cultures archéologiques, cependant le degré d'affinité génétique entre ces deux populations reste inconnu.

Iosif Lazaridis et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Genetic origins of the Minoans and Mycenaeans. Ils ont séquencé le génome de 19 anciens individus dont 10 Minoens de Crète (carrés et ronds verts ci-dessous) datés entre 2900 et 1700 av. JC., quatre Mycéniens de Grèce continentale (carrés bleus) datés entre 1700 et 1200 av. JC., un individu de l'ouest de la Crète (carré violet) daté de 1350 av. JC correspondant à la période d'occupation Mycénienne de l'île, un fermier Néolithique du sud du Péloponnèse (triangle orange) daté de 5400 av. JC, et trois individus d'Anatolie du sud-ouest (étoiles rouges) datés de l'Âge du Bronze entre 2800 et 1800 av. JC. et donc contemporains de la civilisation Minoenne:
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Ces anciens génomes ont été comparés à 332 autres anciens génomes préalablement publiés et 2614 génomes d'individus actuels. Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous, les populations actuelles de l'ouest de l'Eurasie (points gris) forment deux lignes parallèles correspondant aux Européens à gauche et au Proche-Orientaux à droite. Les populations Grecques actuelles (cercles bleu clair, bleu foncé, roses) et de Chypre (cercles verts) forment un pont entre ces deux lignes parallèles :
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Les anciens Minoens et Mycéniens se situent entre les populations Grecques actuelles et les anciens fermiers Néolithiques d'Anatolie et de Grèce (triangles rouges et oranges). Les Anatoliens de l'Âge du Bronze se situent entre les anciens individus d'Anatolie et du Levant d'un côté et les anciens individus d'Arménie, d'Iran et du Caucase de l'autre.

Les auteurs ont également réalisé une analyse avec le logiciel ADMIXTURE:
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La figure ci-dessus montre que pour K=8 ou plus, les Minoens et les Mycéniens possèdent la composante rose qu'ils partagent avec les individus de l'Âge du Bronze d'Anatolie du sud-ouest, les individus du Néolithique d'Anatolie Centrale, un individu du Chalcolithique d'Anatolie du nord-ouest et les individus de la fin du Néolithique d'Anatolie de l'ouest de Kumtepe. Cette composante rose est maximale chez les anciens individus du Mésolithique et du Néolithique d'Iran et les chasseurs-cueilleurs du Caucase. Cette composante rose n'apparait pas chez les premiers fermiers d'Anatolie et d'Europe. Elle apparait en Europe uniquement à la fin du Néolithique et à l'Âge du Bronze, suite aux migrations issues des Steppes.

La statistique f4 montre de plus que les anciennes populations d'Iran, du Caucase et d'Europe de l'Est partagent plus d'allèles avec les Minoens et les Mycéniens qu'avec les anciens fermiers Néolithique de Grèce. Les Mycéniens diffèrent des Minoens car ils partagent moins d'allèles avec les anciens Néolithiques du Levant, d'Anatolie, de Grèce et d'Europe.

La statistique f3 montre que les Mycéniens sont issus d'un mélange génétique entre une population d'anciens fermiers Néolithiques du Levant, d'Anatolie, de Grèce ou d'Europe, et une ancienne population reliée à celle des Steppes. Ce n'est pas le cas pour les Minoens ou les anciens individus d'Anatolie de l'Âge du Bronze.

Une analyse avec les méthodes qpAdm/qpWave montre que tous les individus de l'Âge du Bronze d'Anatolie ou de la région Égéenne sont composés d'une ascendance fermiers Néolithique d'Anatolie (entre 62 et 86%) et d'une ascendance Orientale issue d'Iran ou du Caucase (entre 9 et 32%). Les études précédentes avaient proposé que cette ascendance Orientale avait été introduite en Europe par les pasteurs des Steppes de l'Âge du Bronze qui sont modélisés comme issus d'un mélange entre chasseurs-cueilleurs de l'Est et chasseurs-cueilleurs du Caucase. Les résultats de cette étude montrent cependant que cette composante est arrivée, au moins chez les Minoens par une autre voie sans aucune ascendance issue des chasseurs-cueilleurs de l'Est. Les Minoens n'ont donc pas d'ascendance issue des Steppes contrairement aux Mycéniens. Cette composante Orientale a pu arriver chez les Minoens depuis l'Anatolie puisqu'elle est déjà présente en Anatolie Centrale au Néolithique.

Cette influence d'Iran et du Caucase dans l'Âge du Bronze de Grèce et d'Anatolie du Sud-Ouest se révèle également dans les haplogroupes du chromosome Y. En effet, quatre des cinq hommes de cette étude sont de l'haplogroupe J qui est inconnu auparavant en Grèce, mais est dominant en Iran et au Caucase au Mésolithique et au Néolithique:
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En conclusion, les Minoens peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre des fermiers d'Anatolie et une population issue de l'Est (Iran ou Caucase). Les Mycéniens possèdent en plus une composante issue du Nord (4 à 16%) alors que les individus de l'Âge du Bronze d'Anatolie du sud-ouet possèdent eux en plus une composante issue des fermiers du Levant (6%). La composante issue du Nord chez les Mycéniens peut venir d'une ancienne population Arménienne ou des populations des Steppes (13 à 18%). Les deux ascendances issues de l'Est et du Nord peuvent être arrivées en Grèce à n'importe quelle période située entre le quatrième et le second millénaire av. JC.

Les données de cette étude montrent d'autre part qu'il n'y a pas d'influence Égyptienne ou Phénicienne chez les Minoens et les Mycéniens contrairement à certaines théories avancées.

Cette étude montre également que les phénotypes des anciens Minoens et Mycéniens sont conformes avec les ancienne représentations retrouvées: ils ont les cheveux et les yeux foncés.

Les Grecs actuels sont situés à côtés des anciens Mycéniens dans l'analyse PCA. Ils possèdent moins d'allèles issus des fermiers Néolithiques que les populations de l'Âge du Bronze, suggérant des mélanges génétiques supplémentaires à une période plus récente, en provenance probablement du Proche-Orient. Cependant, les Grecs actuels descendent pour une grande part de leur génome, des anciens Mycéniens.

Deux questions restent en suspend à l'issue de cette étude:

  • Quand la composante Orientale est elle arrivée dans la région Égéenne ?
  • La composante issue du Nord chez les Mycéniens est elle arrivée progressivement de manière sporadique ou rapidement comme en Europe Centrale ?

Cette dernière question est liée à l'origine de la langue proto-Grecque.