La mobilité humaine allant du changement de résidence individuel au déplacement à grande échelle de populations, était crucial pour les transformations des sociétés préhistoriques. Les développements récents d'analyse des restes humains ont révélé à ce sujet des preuves directes. Ainsi l'analyse des isotopes du strontium et de l'oxygène contenus dans les dents a identifié des individus qui ont bougé durant leur jeunesse et l'analyse de l'ADN a révélé des continuités ou des changements importants de populations.

Au sud du Danube, trois cultures archéologiques sont reconnues durant la transition entre la fin du Néolithique et l'Âge du Bronze: la culture Cordée, la culture Campaniforme et l'Âge du Bronze Ancien. Les dernières études génétiques ont montré que les individus de la culture Cordée ont reçu 75% de leur ascendance de populations reliées à celles des steppes Pontiques comme la culture Yamnaya. Les raisons de ces mouvements de populations ne sont pas connues bien qu'une étude récente a avancé l'idée qu'une épidémie de peste ait pu déclencher ces mouvements.

Corina Knipper et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Female exogamy and gene pool diversification at the transition from the Final Neolithic to the Early Bronze Age in central Europe. Ils se sont focalisés sur la transition entre le Campaniforme et l'Âge du Bronze dans la vallée de la rivière Lech au sud d'Augsburg en Bavière. Ils ont analysé les restes de 84 individus issus de sept sites archéologiques différents de la vallée de la Lech, pour déterminer leur sexe, leur ADN mitochondrial, ainsi que les isotopes du strontium et de l'oxygène:
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Parmi ces individus, 19 sont du Campaniforme et 65 de l'Âge du Bronze.

Les résultats montrent qu'il y a 34 hommes et 36 femmes. Les autres individus n'ont pas pu être déterminés. Ces déterminations génétiques sont conformes aux déterminations archéologiques et anthropologiques faites préalablement dans 62 cas, et diffèrent pour seulement deux cas. Pour six individus, la détermination du sexe n'a été possible que génétiquement.

Les auteurs ont obtenu la séquence complète mitochondriale pour 80 individus. Dans la figure ci-dessous, les individus du Campaniforme sont dans le camembert de gauche et ceux de l'Âge du Bronze Ancien dans le camembert de droite:
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Il y a 13 cas d'haplotypes partagés entre plusieurs individus qui indiquent des ancêtres maternels communs. La plupart de ces cas arrivent dans le même site archéologique, mais trois cas arrivent pour deux sites différents. Notamment dans un cas, il y a partage d'haplotype entre un individu du Campaniforme et un individu du Bronze Ancien, ce qui suggère une continuité génétique entre les deux périodes.

En tout il y a 61 haplotypes uniques pour 80 individus ce qui fait une diversité génétique considérable dans les lignages maternels. Ce résultat peut être expliqué par une organisation sociale exogame dans laquelle les femmes viennent de l'extérieur rejoindre leur mari. Nous voyons également une augmentation de la diversité à l'Âge du Bronze, bien que ce résultat peut être dû au plus faible nombre d'individus testés du Campaniforme.

Les isotopes du strontium dépendent en général des conditions géologiques locales. Dans cette étude, ils varient de 0,70820 à 0,71505 pour l'ensemble des individus. Il n'y a pas de différence significative d'un site archéologique à l'autre. Par contre il y a de fortes différences dans les résultats obtenus pour les femmes d'un côté (figure ci-dessous à droite) et pour les hommes et les enfants de l'autre (figure ci-dessous à gauche):
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Les valeurs vont de 0,70832 à 0,71025 pour les enfants à l'exclusion d'un individu, de 0,70820 à 0,71046 pour les hommes à l'exclusion d'un individu, et de 0,70854 à 0,71381 pour les femmes. Il n'y a pas de différence statistique entre les hommes et les enfants, par contre les différences sont importantes avec les femmes. La différence vient qu'un grand nombre de femmes ont une valeur supérieure à 0.71050. Cette valeur de 0.71050 permet de déterminer les individus non locaux. Elle a été déterminée par les valeurs d'isotopes du strontium de la faune locale: loirs et écureuils pour la faune sauvage et cochons, chèvres, moutons et bœufs pour la faune domestique. Ces valeurs plus élevées des isotopes du strontium se retrouvent dans les régions voisines: Nördlinger Ries, la forêt Bavaroise et les Alpes.

La détermination des valeurs des isotopes du strontium pour la seconde et la troisième molaire d'un même individu, permet de savoir s'il a bougé entre le début de l'enfance et la fin de l'adolescence. Pour 11 femmes sur 14, ces valeurs sont quasi identiques, impliquant que ces femmes sont arrivées dans la vallée de la Lech seulement à l'âge adulte (après 16 ans). Dans la figure ci-dessous, chaque individu est caractérisé par deux valeurs d'isotopes du strontium correspondant à deux dents différentes. Le trait pointillé horizontal correspond à la valeur limite pour les individus non locaux:
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Ainsi la femme OBKR26 est arrivée dans la vallée de la Lech durant son enfance. L'homme UNTA153 est probablement né dans la vallée de la Lech, puis a bougé durant son enfance avant de revenir dans la vallée de la Lech.

Les isotopes de l'oxygène dépendent en général de la température, l'altitude et la distance à la mer. Dans cette étude, ils varient de 14,3 à 18,2. Là non plus il n'y a pas de différence significative d'un site archéologique à l'autre, ni entre les hommes, les femmes et les enfants. Les valeurs locales pour la vallée de la Lech sont estimées entre 14,7 et 17,4 (traits pointillés verticaux dans la figure ci-dessus). Seuls sept individus ont des valeurs en dehors des estimations locales.

La forte proportion de femmes non locales ainsi que la forte diversité mitochondriale sont consistants avec une société patrilocale et une exogamie féminine. Ce résultat a été également obtenu dans d'autres sites Campaniformes en Bavière, Autriche, Hongrie, République Tchèque et dans les îles Britanniques, ainsi que dans des sites Cordés et de l'Âge du Bronze en Allemagne. Ce type de société devait être donc généralisé à l'échelle continentale, à cette époque.

Dans la vallée de la Lech, les valeurs des isotopes du strontium des femmes non locales peuvent être séparées en deux groupes: entre 0,7105 et 0,7110 d'un côté et entre 0,71233 et 0,71381 de l'autre, impliquant ainsi probablement deux régions différentes d'origine pour les femmes de la vallée de la Lech. Les femmes non locales ne sont pas visibles archéologiquement. Elles ont la même position et le même mobilier archéologique que les femmes locales. Leur arrivée à la fin de leur adolescence ou plus tard suggère une arrivée liée à leur mariage dans la vallée de la Lech.