L'Afrique abrite plus de diversité génétique que d'autres régions du monde. Aujourd'hui les lignages Africains les plus anciens, sont présents dans quelques populations peu nombreuses dont les Khoïsans d'Afrique du Sud, les pygmées d'Afrique Centrale et les Hadzas de Tanzanie. Cependant la structure de la population Africaine avant l'arrivée des fermiers et pasteurs du Néolithique, reste inconnue. Les pasteurs originaires du Proche-Orient ont apporté leur mode de vie en Afrique de l'Est il y a environ 4000 ans et en Afrique du Sud il y a environ 2000 ans. Les agriculteurs parlant une langue Bantoue, sont originaires d'Afrique de l'Ouest et ont apporté leur mode de vie en Afrique de l'Est il y a environ 2000 ans, puis en Afrique du Sud il y a environ 1500 ans.

Pontus Skoglund et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Reconstructing Prehistoric African Population Structure. Ils ont séquencé le génome de 15 anciens Africains Sub-Sahariens dont trois individus d'Afrique du Sud vieux de 2300 à 1300 ans, sept individus du Malawi vieux de 8100 à 2500 ans, quatre individus des régions côtières du Kenya et de Tanzanie vieux de 1400 à 400 ans, et un individu de l'intérieur de la Tanzanie vieux de 3100 ans. Ces données ont été fusionnées avec le génome d'un ancien Éthiopien vieux de 4500 ans et avec le génome de 584 Africains actuels appartenant à 59 populations. Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales pour comparer les anciens individus avec les populations contemporaines:
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Les deux chasseurs-cueilleurs d'Afrique du Sud vieux de 2000 ans (ronds jaunes ci-dessus) se regroupent avec les Khoïsans actuels. Onze des douze individus de l'Est de l'Afrique s'étirent sur une ligne droite située entre les Khoïsans (en bas) et les Hadzas (en haut). Ce gradient est corrélé avec la géographie. Les anciens individus du Malawi (en orange) se regroupent fortement ensemble indiquant ainsi une forte continuité génétique dans la région pendant plus de 5000 ans. Cette ancienne population n'existe cependant plus aujourd'hui.

Les auteurs ont également fait une analyse avec le logiciel ADMIXTURE. La figure ci-dessous montre le résultat obtenu pour K=7:
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Les auteurs ont ensuite construit un modèle dans lequel les populations anciennes et actuelles tracent leur ascendance génétique dans trois populations anciennes du Proche-Orient et six populations anciennes Africaines (figure A ci-dessous). Les Mendes de Sierra Léone forment une de ces composantes qui se retrouve avec de fortes proportions dans les populations actuelles d'Afrique de l'Ouest (figure D ci-dessous). Les anciens génomes d'Afrique du Sud vieux de 2000 ans, représentent l'ascendance Sud Africaine avant l'arrivée des pasteurs et des fermiers. L'ancien Éthiopien vieux de 4500 ans représente l'ascendance Est Africaine avant l'arrivée des pasteurs et des fermiers (figure C ci-dessous). Les pygmées Mbuti forment une composante Centre Africaine. Un ancien individu de Tanzanie vieux de 3100 ans représente un ancien pasteur Est Africain (figure E ci-dessous). Les Dinka du Soudan représentent une composante retrouvée chez les populations actuelles parlant une langue nilotique. Enfin les trois anciennes populations du Proche-Orient sont les premiers fermiers d'Anatolie, du Levant et d'Iran. Les résultats de ce modèle montre que l'ascendance des anciens individus d'Afrique du Sud était davantage présente autrefois plus au Nord et à l'Est de l'Afrique. En effet cette composante se retrouve à 91% chez les Khoïsans actuels, à 31% chez un ancien individu de Tanzanie et entre 60 et 65% chez les anciens individus du Malawi (figure B ci-dessous).
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Les résultats montrent également que les Hadzas de Tanzanie dérivent d'un ancien lignage que l'on retrouve chez un ancien individu d’Éthiopie vieux de 4500 ans. Cependant ce lignage a peu contribué à l'ascendance des populations Bantoues d'Afrique de l'Est qui dérivent davantage des Africains de l'Ouest, mais aussi un peu d'une population nilotique et d'un ancien pasteur de Tanzanie. Parmi les anciens individus, un seul de Tanzanie vieux de 600 ans a un profil génétique similaire aux populations Bantoues actuelles. Cet ancien individu a même davantage d'ascendance Ouest Africaine que les populations actuelles de la région indiquant ainsi que la population d'agriculteurs d'Afrique de l'Ouest est restée isolée de la population locale de chasseurs-cueilleurs au moins au début. Le mélange génétique entre ces deux populations est estimé entre 800 et 400 ans.

L'ascendance Ouest Eurasienne est présente en Afrique de l'Est. Son arrivée a été estimée à une date voisine de 3000 ans. Ainsi l'ancien individu de Tanzanie vieux de 3100 ans peut-être modélisé comme ayant environ 38% de son ascendance issue des anciens fermiers du Levant. Il n'a aucune ascendance issue des anciennes populations d'Anatolie et d'Iran. Le reste de son ascendance vient d'une population voisine de l'ancien Éthiopien vieux de 4500 ans.

Les populations actuelles de Somalie parlant une langue couchitique, ont une ascendance plus compliquée qui contient une composante liée à l'ancien individu de Tanzanie vieux de 3100 ans, une composante reliée à la population Dinka actuelle et environ 16% d'ascendance issue de l'ancienne population d'Iran. Ainsi cette composante Iranienne est arrivée en Afrique de l'Est probablement après la composante du Levant, un peu de manière similaire à ce que l'on retrouve au Levant à l'Âge du Bronze, et en Égypte à l'Âge du Fer.

L'ancien individu d'Afrique du Sud vieux de 1200 ans (carré jaune ci-dessus), issu d'un contexte pastoraliste, a une certaine similarité génétique avec la population actuelle Nama parlant une langue Khoe-Khoe. Il a ainsi une affinité génétique avec trois groupes différents: les Khoïsans, les Ouest Eurasiens et les Est Africains. Cela supporte l'hypothèse qu'une population non Bantoue portant une ascendance Est Africaine et Ouest Eurasienne, est arrivée en Afrique du Sud il y a au moins 1200 ans. Cet individu peut être modélisé comme ayant 40 à 54% d'ascendance issue de l'ancien individu de Tanzanie vieux de 3100 ans et le reste d'ascendance Sud Africaine. Le groupe actuel San: Ju|’hoan qui possède le moins d'ascendance Est Africaine parmi les Khoïsans, possède environ 9% d'ascendance issue de l'ancien individu de Tanzanie vieux de 3100 ans.

Les études précédentes ont montré que la population San d'Afrique du Sud est issue d'un lignage qui s'est séparé des autres lignages d'hommes modernes en premier. Cependant la population d'Afrique du Sud d'il y a 2000 ans était significativement plus proche des populations Est Africaines de la même époque (voir ci-dessus), que des populations actuelles d'Afrique de l'Ouest, suggérant ainsi une plus ancienne divergence de ces dernières. D'autre part, parmi les populations actuelles Ouest Africaines, les différences génétiques entre Yorubas et Mendes, sont inconsistantes avec l'hypothèse que ces deux populations descendent d'une population ancestrale homogène isolée d'une population Sud Africaine. Les auteurs ont réalisé deux modèles qui permettent d'expliquer les données. Le premier modèle suppose que les actuels Ouest Africains descendent d'un ancien lignage "basal West African" qui a plus contribué aux Mendes qu'aux Yorubas. Le second modèle suppose qu'un flux de gènes continu a connecté les Africains du Sud et de l'Est à certains groupes d'Afrique de l'Ouest plus qu'à d'autres. Ce lignage "basal West African" représenterait la plus ancienne divergence chez les hommes modernes. Ce lignage serait également à rapprocher de l'haplogroupe A00 du chromosome Y découvert au Cameroun.