Le désert du Sahara est le plus grand désert sur Terre. Il couvre environ un tiers de la superficie du continent Africain entre l'Atlantique et la mer Rouge. Durant les derniers millénaires, le Sahara a subi de fortes fluctuations climatiques, alternant des phases arides et humides. Durant les phases humides, le Sahara est caractérisé par la présence de savanes, de forêts et tout un système hydraulique de rivières et de lacs qui ont permis une occupation de la région par la faune et les hommes. La plus récente phase humide a eu lieu durant l'holocène entre 12.000 et 5000 ans. La présence humaine pendant cette phase est prouvée par la présence de roches gravées, des outils de pierre et d'os et des poteries. Après cette phase humide, les conditions climatiques ont conduit à une phase hyper aride qui a transformé le Sahara en désert qui est devenu une barrière aux mouvements humains entre le Nord de l'Afrique et les régions Sub-Sahariennes.
Une des conséquences est qu'il y a une forte différentiation des haplogroupes du chromosome Y entre les populations d'Afrique du Nord et des régions Sub-Sahariennes. Au nord, il y a une prédominances des lignages J-M267 et E-M81, alors que le sud est caractérisé par la présence des haplogroupes E-M2 et B. Dans la plupart des régions Sub-Sahariennes, la distribution des sous-clades de E-M2 est reliée à la récente diffusion des populations Bantoues il y a environ 3000 ans, alors que l'haplogroupes B semble avoir une origine plus ancienne. Cependant, malgré cette différentiation génétique, les régions Sud et Nord partagent au moins quatre haplogroupes à des fréquences diverses selon les régions: A3-M13, E-M2, E-M78 et R1b-V88.
A3-M13 est typique de l'Afrique de l'Est, notamment dans les populations Nilo-Sahariennes. On le trouve également à plus faible fréquence en Afrique Centrale et du Nord et à très faible fréquence au Moyen-Orient et en Sardaigne.
E-M2 est typique de l'Afrique Sub-Saharienne, mais se trouve également à faibles fréquences en Afrique du Nord.
E-M78 est largement répandu avec des fréquences significatives en Afrique, Europe et Moyen-Orient. Parmi les différentes sous-clades, E-V22 est fréquent en Afrique de l'Est, mais présent également en Afrique du Nord. E-V12 est fréquent en Afrique de l'Est et du Nord.
R1b-V88 est observé à hautes fréquences dans le centre du Sahel: Cameroun, Nigeria, Tchad et Niger. mais il est présent également à fables fréquences en Europe du Sud, notamment en Sardaigne et au Proche-Orient. R1b-V88 a été relié à la diffusion des langues Tchadiques.
Ces quatres haplogroupes peuvent représenter les restes d'une population occupant le Sahara durant sa phase humide.
Eugenia D’Atanasio et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The peopling of the last Green Sahara revealed by high-coverage resequencing of trans-Saharan patrilineages. Ils ont séquencé le chromosome Y de 104 individus appartenant à ces quatre haplogroupes. Ils ont également testé 142 SNPs du chromosome Y, sur 8000 individus appartenant à 145 populations différentes.
Ces résultats ont été ensuite comparé à 46 séquences du chromosome Y préalablement publiées et à quatre anciens individus pour calibrer l'horloge génétique: Ust'Ishim de Sibérie vieux de 45.000 ans, Bichon de Suisse vieux de 13.700 ans, Kotias de Georgie vieux de 9700 ans et Loschbour du Luxembourg vieux de 8000 ans.
A partir des 150 séquences du chromosome Y, les auteurs ont construit un arbre phylogénétique:
Les auteurs se sont ensuite essentiellement intéressé aux quatre haplogroupes précédemment présentés et ont estimé la date des différentes sous-clades de ces quatre haplogroupes:
Ainsi A3-M13 est caractérisé par une ancienne bifurcation des branches 19 et 37 datée d'environ 10.750 ans. De manière intéressante la branche 19 a une large distribution dans et hors d'Afrique suggérant un rôle de la phase humide du Sahara dans sa dispersion.
E-M82 est caractérisé par une branche principale 71 datée de 10.530 ans, avec de multiples bifurcations. Ces différentes sous-clades se retrouve en Afrique du Nord et Sub-Saharienne suggérant là encore le rôle de la phase humide dans leur diffusion.
A l'intérieur de E-M78, la sous-clade E-V12 est définie par la branche 125 datée de 8980 ans et la sous-clade E-V-32 est définie par la branche 131 qui se divise en trois branches: 132, 138 et 143. Les branches 132 et 138 se retrouvent en Afrique de l'Est, la branche 143 inclut des individus du Sahel Central.
Enfin l'haplogroupe R1b-V88 est daté de 7850 ans et sa branche principale (233) est en forme d'étoile suggérant une expansion démographique. Cette dernière branche est datée de 5730 ans durant la phase humide du Sahara et inclut des individus d'Afrique du Nord et du Sahel Central.
L'étude des 142 SNPs du chromosome Y sur 8000 individus a permis aux auteurs de dessiner la carte de distribution des quatre haplogroupes et de leurs principales sous-clades:
Ainsi cette étude révèle la présence de deux rares sous-clades Européennes de R1b-V88: M18 et V35:
Ces sous-clades se trouvent à la base de l'arbre phylogénétique de R1b-V88 et indiquent donc une origine probable de R1b-V88 en Europe il y a environ 12.300 ans, puis une diffusion vers le Sahel Central à travers le Sahara durant la phase humide. La distribution géographique de R1b-V1589 et sa topologie en forme d'étoile indique que cette diffusion vers le Sahel Central a été très rapide entre 5730 et 5250 ans. Un mouvement ultérieur vers l'Afrique du Nord-Est a eu lieu ensuite comme le montre la distribution géographique de R1b-V4759, sous-clade de R1b-V1589. L'arrivée de R1b-V88 en Afrique est supposée entre 8670 et 7850 ans durant le Mésolithique.
Les auteurs considèrent que le commerce des esclaves par les Arabes a principalement contribué aux lignages mitochondriaux, alors que la structure des lignages du chromosome Y a été formée à une date plus ancienne, notamment pendant la dernière phase humide du Sahara.
Le peuplement du Sahara durant sa dernière phase humide révélé par quelques lignages paternels
mercredi 14 février 2018. Lien permanent ADN du chromosome Y
7 réactions
1 De Abrine - 27/02/2018, 12:40
Bonjour. Les chercheurs ont fait un énorme travail, bravo à eux. Mais je reste sur ma faim car j'attendais des données sur les actuelles populations du Sahara (Touaregs, Toubous, Arabes, Peuls, etc.) ? Partagent-elles des origines communes ou différentes ? Depuis quand sont-elles présentes, depuis le Paléolithique, le Néolithique, les temps historiques ? Je n'ai pas eu de réponse.
2 De FWA - 15/04/2019, 09:43
Concernant l’haplogroupe E-M2, les auteurs ont estimé la coalescence des sous-clades qui sont présentes à la fois en Afrique Sub-Saharienne et du Nord, entre 11030 et 4490 ans. Après cette periode, les formations des sous-clades de E-M2 sont restreintes au nord ou au sud du Sahara. En effet, les auteurs ont identifié 2 sous-clades de E-M2 qui sont spécifiques à l’Afrique du Nord, E-V5001 en Égypte et E-V4990 au Maroc. E-V4261 a aussi été reporté en Égypte.
S’agissant précisément des sous-clades de E-M2, les auteurs ont indiqué qu’il y avait une « corrélation » entre les groupes qui sont issus des communautés d’Afro-descendants, en Amérique, et les populations de l’Afrique Sub-Saharienne. En revanche, les populations d’Afrique du Nord sont distribuées dans des sous-clades différentes de celles des groupes qui sont issus du sud du Sahara, au sein de E-M2.
« (Touaregs, Toubous, Arabes, Peuls, etc.) ? »
Henn et ses collègues avaient publié une étude sur les populations d’Afrique du Nord, Henn et al.(2012) où des échantillons « Peuls » (Fulani samples) avaient été intégrés pour l’analyse de l’ADN autosomal, à l’aide du logiciel ADMIXTURE. Les communautés Peuls du Nord du Nigeria qui ont été observées, à l’aide d’ADMIXTURE, ont reçu une contribution ancestrale qui est similaire à celle des Berbères d’Afrique du Nord. En poursuivant les exercises d’ADMIXTURE, Les Peuls forment une composante qui leur ait unique. Probablement le résultat d’une forte endogamie, sur une periode assez prolongée.
Lien: Genomic Ancestry of North Africans Supports Back-to-Africa Migrations. PLoS Genet 8(1): e1002397. https://doi.org/10.1371/journal.pge...
Ces résultats ont également été corroborés par d’autres études contenant des échantillons de la communauté Peul du Soudan, en Afrique de L’Est.
Lien :« The genetics of East African populations: a Nilo-Saharan component in the African genetic landscape » https://www.nature.com/articles/sre...
Concernant les Toubous, ils auraient reçu une ancienne contribution ancestrale qui serait génétiquement proche des premiers fermiers Néolithiques, d’après l’étude Haber et al (2016).
Lien :« Chad Genetic Diversity Reveals an African History Marked by Multiple Holocene Eurasian Migrations » https://doi.org/10.1016/j.ajhg.2016...
3 De FWA - 09/12/2019, 22:39
Bonjour,
Autre élément intéressant, l’haplogroupe E1b-Z15939 est fortement représenté chez les Peuls / Fulanis du Nord du Nigeria. Historiquement, leur présence dans cette zone est due, en grande partie, aux « djihads » Peuls du 18e et 19e siècle dans cette région.
Voir https://en.wikipedia.org/wiki/Fula_...
Le premier état ancien, documenté, où ce groupe est clairement mentionné, se situe entre le Sud de la Mauritanie et le Nord du Sénégal, et aurait existé entre 800 et 1285.
Voir https://en.wikipedia.org/wiki/Takru...
La dispersion rapide de ce groupe vers l’Est fait suite à leurs implantations progressives dans la région du Fouta Djallon entre le 13e et le 16e siècles.
Les documents annexes du papier (D’Atanasio, 2018) révèlent les fréquences du sous-clade E1b-Z15939 chez les populations suivantes :
5,56 % des Asni Berbères (n=54)
50 % des Peuls / Fulanis du Nord du Nigeria (n=32)
3,33 % des Burkinabé (n=30)
22,73 % des Touaregs du Niger (n=22)
15,19 % des Peuls / Fulanis du Nord du Cameroun (n=79)
1,22 % des Mandara du Cameroun (n=82)
36,36 % des Gambiens Mandenka (n=55)
14,29 % des Mende de Sierra Leone (n=42)
Le « Yfull tree » montre que les échantillons d’ADN Gambiens et Mende (Poznick et al. 2016) en question appartiennent à des sous-clades plus récentes (mutations « downstream ») de E1b-Z15939. Idem pour E1b-V4990, qui est un sous-clade de E1b-Z15939 et distribué uniquement chez des individus d’origine Marocaine. CTS9883 est équivalent à Z15939, sur ISOGG et YFull.
Voir https://www.yfull.com/tree/E-CTS988...
Par conséquent, le clade terminal E1b-Z15939* est, pour le moment, majoritairement représenté par des Peuls / Fulanis et des Touaregs. Toutes les analyses autosomiques des Peuls / Fulanis qui ont été effectuées dans le cadre d’études génétiques ou à titre privé (plusieurs centaines de résultats, collectés et reportés dans des blogs divers), indiquent très clairement et systématiquement une composante d’Afrique du Nord-Ouest (Berbère). Cette partie ancestrale se situe, en générale, entre 1/3 et 1/5 de la totalité des contributions ancestrales, en fonction des individus. Elle est stable et largement distribuée. La partie sub-saharienne correspond, en générale, à une composante Sénégambienne (entre 60 % - 75 %). Il s’agit vraisemblablement d’événements génétiques anciens.
En 2012, Razib Khan, un généticien, avait aussi brièvement investigué cette origine des Peuls / Fulanis. Il avait conclu que la partie eurasienne (composante Berbère) des Peuls est difficilement observable dans sa forme « pure » chez les autres populations contemporaines Maghrébines Berbères. Et donc, probablement, cette origine eurasienne des Peuls est survenue récemment dans l’histoire, il y a environ 2000 ans, approximativement. En effet, les analyses des populations d’Afrique du Nord ont systématiquement une composante mineure qui croit de plus en plus, à mesure que l’on s’approche du Proche-Orient. Or les analyses des Peuls ne montrent pas cette composante. Il attribut l’apparition de cette composante du Proche-Orient en Afrique du Nord, aux développements historiques entre la période de l’Antiquité classique et la période Islamique. Il finit par évoquer l’hypothèse selon laquelle les Touaregs (ou une population proche) seraient la source eurasienne des Peuls / Fulanis, car selon toute vraisemblance, leur profil génétique correspondrait mieux à cet ancienne composante Maghrébine.
Voir l’article : "The Fulani have an old “Berber” (?) element"
http://www.razib.com/wordpress/2012...
L’expansion rapide et très récente de E1b-M81 en Afrique du Nord corrobore l’hypothèse de Razib Khan car, en effet, l’haplogroupe E1b-M81 est assez rare chez les Peuls, voire inexistant. Un tel effet fondateur au sein d’une population aurait des répercussions sur le Y-DNA et / ou le mtDNA. Or, le papier de D’Atanasio nous révèle que les lignages dont les Peuls sont porteurs sont plus anciens que la récente diffusion de E1b-M81, et semblent converger vers des populations contemporaines du Sahara et non vers celles des côtes Méditerranéennes.
De plus, une étude (Vicente et al, 2019) sur la tolérance au lactose, suggère que l’ADN d’individus Peuls / Fulanis, issus du Burkina, du Niger et du Tchad sont porteurs de l’allèle Européenne T-13910 permettant la digestion des produits laitiers. Les informations suggèrent un processus de sélection pour ce trait chez les Peuls suite à des contacts avec une population européenne de l’Ouest (R1b et / ou I) ou autre, elle-même porteuse de ce marqueur.
Voir l’article: "Population history and genetic adaptation of the Fulani nomads: Inferences from genome-wide data and the lactase persistence trait"
https://www.biorxiv.org/content/10....
Si on considère tous ces éléments, et la distribution de E1b-Z15939/CTS9883* comme clade terminal, son ancienneté (entre 6000 et 9000 ans) chez les populations Peuls et Touaregs, ainsi que leurs ADN autosomal respectifs, il est possible que ce lignage soit originaire d’Afrique du Nord, et donc à l’origine de la contribution eurasienne chez les Peuls / Fulanis.
4 De FWA - 10/12/2019, 05:48
P.S. Rapidement, parmi les populations, positives pour la mutation Z15939, il y a aussi certains Mandingues du Sénégal (HGDP panel), pour un total de 4 individus, mais confondus comme venant de la Gambie. Dans tous les cas, tout comme les Gambiens et les Mendé, ils appartiennent à des sous-clades de E1b-Z15939.
Voir https://www.yfull.com/tree/E-CTS988...
5 De Rahim oumarou sultan - 15/07/2020, 11:09
Qu'en est il des populations songhay du nord Mali et Niger qui semble être aussi issus d'un mixage nord africain et subsahariens leur classement linguistique étant floue d'autant suggère nilo saharien d'autres afro asiatique sans oublier l'influence mande
6 De FWA - 27/03/2021, 14:51
@Rahim oumarou sultan. Bonjour, vous pouvez consulter les documents complémentaires du papier de cet article. La liste de toutes les populations (y compris Songhai) se trouve dans Additional file: table S5.
Apparemment, tous les échantillons n'ont pas été séquencés par la méthode NGS. De nombreuses sous-branches n'ont donc pas été identifiées. Concernant E-Z15939, les auteurs favorisent l’hypothèse d'une origine, il y a entre 10.000 et 5.000 ans, dans la région du Sahara (aujourd'hui un désert) durant sa phase humide.
7 De Amadou - 16/11/2023, 12:14
Bonjour,
En réponse aux commentaires de FWA, pensez-vous que ce très récent papier vienne en appui des hypothèses mentionnées sur les Peuls:
https://www.cell.com/current-biology/fulltext/S0960-9822(23)01315-5
Diverse African genomes reveal selection on ancient modern human introgressions in Neanderthals (Current Biology)