L'histoire du peuplement de l'Asie du Sud-Est a alterné des périodes d'isolement et des périodes de connexion. Les hommes modernes ont d'abord colonisé l'Asie du Sud-Est il y a au-moins 70.000 ans. A la fin du pléistocène ou au début de l'holocène, une culture archéologique définie par des outils lithiques spécifiques se répand dans la région: le Hoabinhien. Les chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens sont supposés être les ancêtres des chasseurs-cueilleurs contemporains de la région, appelés également Négritos à cause de la couleur foncée de leur peau et de leur petite taille. Cependant, aujourd'hui, la majorité de la population du Sud-Est Asiatique est supposée être les descendants des premiers fermiers qui ont cultivé le riz ou le millet au Néolithique. Il y a cependant une controverse au sujet du modèle démographique de la région. Le modèle de continuité régionale suppose que les fermiers du Néolithique étaient les descendants des chasseurs-cueilleurs locaux, sans apport notable de flux de gènes extérieur. A l'inverse le modèle des deux vagues migratoires supposent que les premiers fermiers du Sud-Est Asiatique venaient d'une région située plus au Nord en Chine il y a environ 4000 ans. Seules certaines populations des îles Andaman, de la péninsule de Thaïlande et de Malaisie et des Philippines seraient les descendants des chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens. Selon ce modèle il y aurait eu deux vagues migratoires agricoles. La première continentale est associée à la diffusion des langues Austro-asiatiques. La seconde maritime est associée à la diffusion des langues Austronésiennes.

Hugh McColl et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient Genomics Reveals Four Prehistoric Migration Waves into Southeast Asia. Ils ont séquencé le génome de 25 anciens individus datés entre 8000 et 200 ans de la péninsule Est-Asiatique: Malaisie, Thaïlande, Philippines, Vietnam, Indonésie et Laos. Ils ont également obtenu l'ADN mitochondrial et un peu d'ADN nucléaire de 16 autres individus de la même région:
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Les auteurs ont comparé ces anciens génomes avec celui des populations contemporaines. Ils ont réalisé une Analyse en Composantes Principales et une analyse avec le logiciel ADMIXTURE. Dans la figure ci-dessous, les Africains sont en bas à droite, les Européens en haut et les Est-Asiatiques à gauche. Les anciens individus sont représentés par des points noirs:
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L'analyse avec le logiciel ADMIXTURE permet de regrouper les anciens individus en six clusters. Le groupe 1 inclut les deux chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens du Laos et de Malaisie. Dans la PCA ils se situent à proximité des Onges des îles Andaman. Ils possèdent des composantes ADMIXTURE communes avec les Onges (en gris), les Pahari et Spiti d'Inde (en bleu), Papous (en noir) et Jehai de Malaisie (en violet foncé):
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Les autre anciens individus (groupes 2 à 6) sont composés principalement par des composantes communes dans l'Asie de l'Est et du Sud-Est. Il y a notamment deux composante (en vert clair et vert jaune) qui sont maximales chez les populations Austro-asiatiques (Mlabri et Htin), une composante (en rose) maximale chez les populations Austronésiennes, et une composante (en violet) qui est maximale chez les Hmong des régions montagneuses de Chine, Viet-Nam, Laos et Thaïlande.

Les auteurs ont ensuite utilisé la statistique f3. Ainsi les chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens ont le plus d'affinité génétique avec les anciens fermiers des groupes 2, 3 et 4 et avec les Onges et Négritos actuels. Ils ont également utilisé la statistique D pour étudier si les individus anciens et contemporains sont plus proches des Papous actuels ou de l'ancien chasseur-cueilleur de Tianyuan du Nord-Est de la Chine vieux de 40.000 ans. La figure ci-dessous montre que la plupart de ces individus sont plus proche du squelette de Tianyuan que des Papous, sauf les anciens chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens, les Onges et les Jarawa des îles Andaman et les Jehai de Malaisie qui sont à égale distance des Papou et de l'individu de Tianyuan:
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De manière intéressante, les Onges actuels et les anciens chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens sont de l'haplogroupe mitochondrial M supposé avoir appartenu à la première migration côtière qui a atteint l'Australie.

Pour caractériser les anciens individus plus récents que ceux du groupe 1, les auteurs ont réalisé une nouvelle Analyse en Composantes Principales incluant uniquement les populations Est et Sud-Est Asiatiques qui n'ont pas ou peu de composante Papoue ou Onge. Ces anciens individus se regroupent en cinq nouveaux clusters:
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Le groupe 2 qui contient des échantillons du Vietnam, du Laos et de la Malaisie sont les plus anciens après les chasseurs-cueilleurs du groupe 1. Ce sont des fermiers datés entre 4200 et 2200 ans. Dans l'analyse ADMIXTURE pour K=6, ces individus du groupe 2 sont les seuls avec les populations actuelles Mlabri et Htin, à ne pas avoir la composante NordEst-Asiatique vert foncé. A K=7, la composante vert clair est maximale pour ces individus. Les deux anciens individus du groupe 5 d'Indonésie datés de 2200 et 1900 ans sont composés d'un mélange d'ascendance Austro-asiatique et Austronésienne comme la population actuelle d'Indonésie. Les populations actuelles les plus proche génétiquement des anciens individus du groupe 2 sont les Indonésiens de Java et Bali. Cela suggère que ces individus du groupe 2 sont les descendants d'une population Austro-asiatique qui a migré vers le sud il y a environ 4000 ans. De plus, la figure ci-dessus montre un gradient dans les ascendances Austro-asiatique (en vert clair) et Austronésienne (en rose) le long de la deuxième composante.

Les individus du groupe 6 sont récents entre 1800 et 200 ans. Ils sont de Malaisie et des Philippines. Ils se regroupent avec les populations actuelles Austronésiennes. Les individus du continent des groupes 3 et 4 sont datés entre 2600 et 200 ans. Ils sont proche des populations actuelles continentales du Sud-Est Asiatique. Le groupe inclut essentiellement des échantillons du Viet-Nam. Ils se regroupent avec les Dai de Chine, les Tai-Kadai de Thaïlande et les Austro-asiatique du Viet-Nam. A l'inverse les individus du groupe 4 viennent essentiellement de Thaïlande. Ils sont proche des populations actuelles Austro-asiatiques et Sino-tibétaines de Thaïlande et de Chine. Cela suggère une migration vers le sud à partir de la Chine. Le groupe 6 possède également les individus qui possèdent le plus d'ascendance Denisovienne.

L'analyse avec le logiciel TreeMix confirme que les chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens (La368 et Ma911) sont proches des Onges des îles Andaman (figure A ci-dessous). Elle montre également que les fermiers du groupe 2 (Ma912 et La364) sont issus d'un mélange génétique entre les ancêtres des Est Asiatiques actuels (Han, Ami) et les ancêtres des chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens (figure B ci-dessous):
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Les Jehai de Malaisie sont mieux représentés par un mélange génétique entre les fermiers du groupe 2 et une population proche des ancêtres des Onges et des chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens. Les anciens individus d'Indonésie (groupe 5) et de Bornéo (groupe 6) sont mieux modélisés par un mélange génétique proche de celui des fermiers du groupe 2.

En conclusions les auteurs montrent que les populations actuelles du Sud-Est Asiatique sont issus d'au moins quatre vagues migratoires: les chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens (en rouge ci-dessous), les fermiers Austro-asiatiques (en vert), les fermiers Austronésiens (en rose) et une migration issue de l'Est Asiatique vers le Sud (en bleu clair). L'absence d'ascendance Denisovienne significative chez les chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens, les Onges et les Jehai, suggèrent que les Papous ont récupéré l'ascendance Denisovienne après leur séparation génétique avec ces premières populations. Les auteurs ont de plus observé un changement radical il y a environ 4000 ans dans le Sud-Est Asiatique correspondant à l'arrivée des premiers fermiers Austro-asiatiques dans la région. Ensuite, il y a environ 2000 ans, tous les anciens individus du continent du Sud-Est Asiatique possèdent une nouvelle composante ancestrale absente chez les premiers fermiers du groupe 2. Enfin les anciens individus des Philippines datés de 1800 ans et d'Indonésie de 2100 ans portent une composante Austronésienne:
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Cette étude supporte donc le modèle des deux vagues migratoires dans lequel une vague de fermiers succède à la première vague de chasseurs-cueilleurs. Cependant il n'y a pas de remplacement total de population puisque certaines populations actuelles sont issues d'un mélange génétique entre chasseurs-cueilleurs et fermiers, notamment dans le nord du Laos et en Malaisie. De plus les Hoabinhiens ont également contribué génétiquement aux populations agricoles venues d'Asie de l'Est.

Mise à jour:

Ce papier a été définitivement publié en juillet 2018 dans la revue Science: The prehistoric peopling of Southeast Asia. Les auteurs ont ajouté un ancien génome supplémentaire issue de la culture Jōmon. Ils ont notamment mis en évidence un lien génétique entre ce génome Jōmon et celui des anciens chasseurs-cueilleurs Hoabinhiens. L'ancien Jōmon peut ainsi être modélisé comme issu d'un mélange génétique entre les Hoabinhiens et une population actuelle de l'Asie du sud-est comme les Amis de Taïwan.