La structure génétique des Européens est le résultat de plusieurs migrations successives. Les chasseurs-cueilleurs ont colonisé le continent depuis le Paléolithique Supérieur, les premiers fermiers sont arrivés depuis l'Anatolie il y a environ 8000 ans, enfin les pasteurs des steppes se sont diffusés à la fin du Néolithique et au début de l'Âge du Bronze il y a environ 4500 ans. En conséquence, la plupart des Européens actuels peuvent être modélisés comme un mélange génétique de ces trois populations ancestrales. Cependant, ce modèle ne s'adapte pas aux populations actuelles du Nord-Est de l'Europe comme les Samis, les Russes, les Mordves, les Tchouvaches et les Finnois. Ils portent en effet une autre ascendance génétique d'origine Est Asiatique. On ignore quand elle est arrivée dans la région.

Thiseas Lamnidis ​et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient Fennoscandian genomes reveal origin and spread of Siberian ancestry​ ​ in​ ​ Europe. Ils ont séquencé le génome de 15 anciens individus de Finlande et de la péninsule de Kola située au Nord-Ouest de la Russie, vieux de 3500 à 200 ans. Ils ont aussi séquencé le génome d'un Sami actuel. Les 15 anciens génomes séquencés appartiennent à:

  • six individus du début de l'Âge des métaux du site archéologique de Bolshoy Oleni Ostrov situé dans la péninsule de Kola, daté entre 1610 et 1436 av. JC. La région est habitée aujourd'hui par les Samis.
  • il y a aussi sept individus du site de Levänluhta en Finlande, daté entre 400 et 800 de notre ère. La région est habitée aujourd'hui par des populations parlant le Finnois ou le Suèdois.
  • enfin deux individus viennent du cimetière de Chalmny Varre dans la péninsule de Kola, daté entre le 18ème et le 19ème siècle.

Sur ces 15 individus, seuls 11 ont donné des résultats avec une qualité suffisante. Les quatre génomes rejetés sont tous issus du site de Levänluhta:
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Ces anciens génomes ont ensuite été comparés avec ceux d'autres anciens individus et de 1320 individus actuels.

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. La première composante sépare les Est Asiatiques (à droite) des Ouest Eurasiens (à gauche). Sur la droite, les Est Asiatiques s'étendent entre les Nganasans et les Yukagirs (en haut) et les Amis et Atayals de Taïwan (en bas). Sur la gauche, les Ouest Eurasiens s'étendent entre les Bédouins d'Arabie Séoudite (en bas) et les Européens du Nord-Est (en haut). Entre ces deux extrêmes, on trouve deux ponts principaux: celui du haut inclut notamment les populations situées entre le Nord-Est de l'Europe et le Nord de la Sibérie, principalement de langue ouralienne, et représentés par des symboles violets. Les anciens chasseurs-cueilleurs d'Europe sont représentés par des symboles verts situés au-dessus du groupe des Ouest Eurasiens:
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Dix des onze anciens individus de cette étude représentés par des symboles noirs se retrouvent sur ce pont de populations ouraliennes. La seule exception est l'échantillon JK2065 qui se regroupe avec les populations actuelles du Nord de l'Europe (Lituaniens, Norvégiens, Islandais). De manière intéressante deux des trois individus du site de Levänluhta et les deux Samis historiques de Chalmny Varre se regroupent avec les Samis actuels, suggérant ainsi une continuité génétique avec le Nord depuis l'Âge du Fer. A l'inverse les six anciens individus de l'Âge des métaux se retrouvent plus vers les populations Sibériennes.

Les auteurs ont ensuite fait une analyse avec le logiciel ADMIXTURE. Les populations actuelles du Nord-Est de l'Europe (Samis, Finnois et Russes) incluent une composante Sibérienne en violet maximale chez les Nganasans actuels:
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L'ascendance chasseur-cueilleur Européenne est en bleu, alors que l'ascendance des premiers fermiers d'Anatolie est en orange. Les deux anciens individus de Chalmny Varre ont des ascendances en proportions voisines des Samis actuels. Contrairement aux deux autres échantillons du site de Levänluhta, JK2065 n'a pratiquement pas d'ascendance Sibérienne. Enfin les six individus de Bolshoy ont le plus d'ascendance Sibérienne (entre la moitié et les deux tiers de leur génome), alors que les anciens chasseurs-cueilleurs de Motala en Suède (SHG) n'en ont pas du tout.

Les marqueurs uni-parentaux montrent qu'une partie des anciens individus de Bolshoy ont une origine Sibérienne: haplogroupes mitochondriaux Z1, C4 et D4, haplogroupe du chromosome Y: N1c. Ce dernier est l'haplogroupe dominant dans le Nord-Est de l'Europe et en Russie actuellement, notamment dans les populations de langue ouralienne. C'est aussi la plus ancienne occurrence de N1c dans le Nord-Est de l'Europe. De plus, l'ancienne population de Bolshoy possède les gènes EDAR et FADS. Le gène EDAR est actuellement très fréquent en Asie de l'Est et chez les Amérindiens. Il est relié à une forme spécifique des dents et des cheveux. Certains chasseurs-cueilleurs du site de Motala en Suède possèdent également ce gène EDAR. Le gène FADS est observé aujourd'hui dans les populations du Groenland. Il est associé aux diètes riches en acide gras.

La statistique f3 montre que de nombreuses populations du Nord-Est de l'Europe peuvent être modélisées comme issues d'un mélange génétique entre deux sources: Sibérienne et Européenne. Le résultat le plus significatif est donné par les Samis issus d'un mélange entre Nganasans et Islandais. La statistique f4 confirme également que les anciens individus de cette étude et toutes les populations ouraliennes actuelles (sauf les Hongrois) possèdent une affinité génétique avec les Nganasans.

Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel ADLER pour estimer les dates de mélanges génétiques. En cas de plusieurs événements de mélange génétique successifs, ADLER estime une date moyenne. A partir des anciens individus de Bolshoy, les auteurs ont estimé une date de 4000 ans pour le mélange génétique et donc pour l'arrivée de l'ascendance Sibérienne dans la région. Cependant pour les autres anciens individus et les populations actuelles, le logiciel ADLER estime une date de mélange génétique plus récente, suggérant ainsi plusieurs vagues de migrations successives issues de Sibérie.

L'histoire de la Finlande est sujet à de nombreux débats pour savoir si les Samis sont arrivés dans la région avant les Finnois. De nombreux linguistes affirment que le Sami a été parlé dans la région avant le Finnois. Des sources historiques affirment que les Samis vivaient dans le centre de la Finlande vers 1500. La statistique f4 montre qu'un ancien individu de Levänluhta et ceux de Chalmny Varre se regroupent avec les Samis actuels, mais pas avec les Finnois, et un second individu de Levänluhta, bien que n'étant pas tout proche des Samis est cependant plus proche des Samis que des Finnois. Enfin, l'individu JK2065 de Levänluhta ne se regroupe ni avec les Samis ni avec les Finnois. Cela confirme qu'à l'Âge du Fer, les populations du centre de la Finlande étaient plus proches des Samis actuels que des Finnois. Ces résultats suggèrent que la population Sami s'étendait dans le passé sur une plus grande région vers le sud. Un changement génétique est donc intervenu depuis l'Âge du Fer en Finlande et a apporté la langue Finnoise.

Mise à jour

Ce papier a été définitivement publié en novembre 2018: Ancient Fennoscandian genomes reveal origin and spread of Siberian ancestry in Europe