L'archipel des Canaries est situé à l'ouest du sud du Maroc. Ce sont les seules îles de la région qui étaient habitées par une population indigène, proche des populations berbères d'Afrique du Nord. Certains supposent que ces îles sont habitées depuis le premier millénaire av. JC., cependant les plus anciennes datations AMS effectuées sont situées entre 100 et 300 ap. JC. sur les îles Lanzarote et Fuerteventura situées à l'est de l'archipel.

Les premières analyses mitochondriales de la population actuelle des Îles Canaries ont montré la présence de l'haplogroupe U6 typique des populations berbères d'Afrique du Nord. Notamment la sous-clade U6b1a est présente uniquement dans l'archipel, cependant sa date d'émergence autour de 3600 ans indique qu'elle s'est formée avant la première colonisation de l'archipel. Les autres haplogroupes mitochondriaux identifiés sont Eurasiens (H, J, T, ...), sub-Sahariens (L1, L2, L3) ou Amérindiens (A2 et C1). Ces résultats caractérisent la nature multi-ethnique de cette population liée à des événements historiques comme la traite des esclaves pour les plantations de canne à sucre. Les différentes recherches indiquent l'existence d'au moins deux vagues de migrations responsables de la colonisation de l'archipel des Canaries à partir de l'Afrique du Nord. La seconde ayant probablement eu lieu autour du 10ème siècle ap. JC.

Une étude génétique précédente a présenté les premières séquences mitochondriales et les premiers génomes complets d'anciens squelettes de la population indigène des îles de Tenerife et Gran Canaria. Cependant il est important de tester également les anciennes populations de toutes les îles de l'archipel.

Rosa Fregel et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Mitogenomes illuminate the origin and migration patterns of the indigenous people of the Canary Islands. Ils ont séquencé l'ADN mitochondrial de 48 anciens individus appartenant à 25 sites archéologiques répartis sur les sept îles de l'archipel des Canaries:
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Ces individus sont datés entre 150 et 1700. Les échantillons les plus récents datent d'après la colonisation Espagnoles, mais sont cependant issus de populations isolées dans les montagnes. Les auteurs ont également séquencé l'ADN mitochondrial de 18 individus actuels de l'archipel.

Les haplogroupes obtenus sur les 48 anciens individus sont variés et d'origine Nord Africaine (U6), Eurasienne (H, J2, T2 et X) et sub-Saharienne (L1 et L3). Ainsi à la colonisation de l'archipel la population migrante est déjà mélangée et intègre notamment des sous-clades d'origine Méditerranéenne issues de différentes migrations préhistoriques et historiques. Certaines sous-clades sont présentes uniquement en Afrique du Nord et aux îles Canaries (H1cf, J2a2d et T2c1d3) alors que d'autres ont une distribution plus vaste notamment en Europe et au Proche-Orient: U6a1a1, U6a7a1, U6b, X3a et U6c1.

Les haplogroupes obtenus sur les 18 individus actuels sont pour plus de la moitié H (H1, H6a1, H3c2, H43), mais aussi J2a2d, U6b1a et X3a. Il y a également un haplogroupe sub-Saharien: L3d et un haplogroupe Amérindien: A2. Toutes ces données ont été combinées avec les résultats préalablement obtenus dans des études précédentes:
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La figure ci-dessus montre que la population indigène n'est pas homogène d'une île à l'autre. Ainsi les îles de Tenerife, La Palma et Gran Canaria montrent une composition diverse alors que les autres montrent un signe de dérive génétique avec une réduction de la diversité génétique. Notamment sur l'île de La Gomera il y a une forte fréquence de l'haplogroupe U6b1a, alors que sur El Hiero l'haplogroupe H1cf est prépondérant. Sur les îles de Lanzarote et Fuerteventura, l'haplogroupe H* est également prépondérant. Ces différences sont liées à la taille de la population indigène importante sur Tenerife, La Palma et Gran Canaria et plus faible sur les autres îles.

D'autre part les haplogroupes H4a1e, L3b1a, U5 et U6c sont présents uniquement dans les îles de l'est (Gran Canaria, Lanzarote et Fuerteventura). De plus les haplogroupes T2c1 et U6a quoique aussi présents à l'ouest, sont cependant plus fréquents à l'est.

A l'inverse les fréquences mitochondriales de la population actuelle de l'archipel sont plus homogènes, à l'exception de La Gomera. La haute fréquence de l'haplogroupe U6b1a dans la population indigène de La Gomera se retrouve également dans la population actuelle. Ce n'est pas vrai pour l'île de El Hiero puisque la prépondérance de l'haplogroupe H1cf autrefois, a complètement disparue aujourd'hui.

L'analyse de la contribution de la population indigène à la population actuelle varie de 0% à El Hiero à 55% à La Gomera. En effet il est connu que la population de El Hiero a été complètement déplacée ou décimée au moment de la colonisation, avant d'être repeuplée avec des individus des autres îles.

Les auteurs ont ensuite réalisé une analyse multi-échelle. Les populations indigènes de La Gomera et de El Hiero sont isolées à cause de la haute fréquence des haplogroupes H1cf et U6b1a. Les auteurs ont ensuite supprimé ces deux populations isolées et regroupé les autres populations indigènes des îles Canaries (CIP en bas à gauche ci-dessous):
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La première dimension sépare les populations sub-Sahariennes (SSA) à droite, des populations Eurasiennes et Nord Africaines. La seconde dimension sépare la population Canarienne en bas, des populations Eurasiennes en haut. Les populations Nord Africaines sont en position intermédiaire. La population la plus proche de la population indigène des Canaries est la population de l'ouest du Sahara. De manière intéressante les populations actuelles de Tenerife et Gran Canaria sont plus proches des populations Européennes. Cela s'explique par le fait que ces îles ont des capitales qui ont reçu plus de migration venue de l'Europe.

Si l'hypothèse de l'origine berbère de la population des Canaries, est l'hypothèse la plus largement acceptée, certains ont suggéré une influence Phénicienne dans les pratiques funéraires et les croyances religieuses. Ainsi la colonisation de l'archipel pourrait être le résultat de l'expansion Phénicienne.

Mise à jour

Ce papier a été définitivement publié en mars 2019: Mitogenomes illuminate the origin and migration patterns of the indigenous people of the Canary Islands