La péninsule Ibérique située au sud-ouest de l'Europe représente un excellent contexte pour évaluer l'impact final des mouvements de population venant de l'est ainsi que les interactions avec l'Afrique du Nord.

Iñigo Olalde et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The genomic history of the Iberian Peninsula over the past 8000 years. Ils ont séquencé le génome de 271 nouveaux individus de la péninsule Ibérique dont 4 Mésolithiques, 44 Néolithiques, 47 Chalcolithiques, 53 de l'Âge du Bronze, 24 de l'Âge du Fer et 99 de la période historique:
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Ces données ont été comparées avec le génome de 1107 anciens individus préalablement publiés et celui de 2862 individus contemporains. Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales:
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Les connaissances précédentes de la structure génétique des Mésolithiques de la péninsule Ibérique venaient de trois individus du nord-ouest de la péninsule: LaBraña1, Canes1 et Chan. Cette étude rajoute les individus de LaBraña2 qui est un frère de LaBraña1, Cueva de la Carigüela (Car), Cingle del Mas Nou (CMN) et Cueva de la Cocina (CC). Ces trois derniers individus sont situés au sud-est de la péninsule. Les auteurs ont identifié une structure génétique dans le nord-ouest de la péninsule Ibérique. En effet l'individu Chan est plus proche de l'ancien individu de El Miron vieux de 19.000 ans alors que les frères de LaBraña et l'individu Canes1, sont plus proches d'un ancien chasseur-cueilleur de Hongrie KO1:
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Comme les frères de LaBraña sont plus récents que Chan de 1300 ans et Canes1 est plus récent que les frères de LaBraña de 700 ans, la figure ci-dessus indique un glissement de l'ascendance des Mésolithiques du nord-ouest de la péninsule Ibérique de El Miron vers KO1 au cours du temps. Ces résultats suggèrent un flux de gènes venant de l'est affectant davantage le nord-ouest que le sud-est de la péninsule Ibérique. A noter que tous les chasseurs-cueilleurs de la péninsule Ibérique sont de l'haplogroupe mitochondrial U5b, sauf celui de Los Canes qui est U5a.

Pour le Néolithique, les auteurs ont confirmé l'arrivée de fermiers d'Anatolie dans la péninsule Ibérique, suivi par un accroissement de l'ascendance des chasseurs-cueilleurs au Néolithique Moyen et au Chalcolithique. Cet ascendance chasseur-cueilleur est plus proche de celle de Canes1 que de celle de El Miron.

Les données incluent le génome d'un homme Campaniforme de Camino de las Yeseras daté entre 2473 et 2030 av. JC. (I4246). Cet individu se regroupe avec les nord Africains dans la PCA ci-dessus. Son haplogroupe du chromosome Y est E1b et son haplogroupe mitochondrial est M1a, tous deux typiques d'Afrique du Nord. Cet individu est donc un migrant de première génération amené d'Afrique du Nord dans le centre de la péninsule Ibérique par les Campaniformes. Ce résultat est à rapprocher de la présence d'ivoire Africain en Ibérie durant le Campaniforme, et est de plus supporté par l'individu de Loma del Puerco de l'Âge du Bronze (I7162) qui possède 25% d'ascendance d'Afrique du Nord et dont un des grands-parents était un nord Africain. Ces mouvements d'Afrique du Nord vers l'Ibérie restent cependant limités et seront beaucoup plus importants plus tard à partir de l'époque Romaine, puis de la période Islamique.

Pour l'Âge du Bronze (entre 2200 et 900 av. JC.) les auteurs ont fait passer le nombre de génomes de 7 à 60. Les résultats montrent que l'ascendance issue des steppes apparaît dans la péninsule, quoiqu'avec moins d'impact dans le sud. Sa première apparition date de la période entre 2500 et 2000 av. JC. pendant le Campaniforme. Ainsi 14 individus avec de l'ascendance des steppes coexistent avec d'autres individus sans ascendance des steppes:
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A partir de 2000 av. JC., le mélange génétique se stabilise autour de 40% d'ascendance des steppes et 60% d'ascendance Ibérique. Cependant les haplogroupes du chromosome Y qui sont variés au Néolithique et au Chalcolithique pré-campaniforme (I2, G2, H) sont remplacés par un unique lignage R1b-M269 durant l'Âge du Bronze. Ces résultats suggèrent une forte contribution d'hommes venant de l'est qui ont pris des femmes locales. Ce point est caractérisé par l'exemple de la tombe 4 double de Castillejo del Bonete datée entre 2270 et 1980 av. JC. et contenant un homme d'ascendance steppique associé à une femme dont l'ascendance est 100% du chalcolithique pré-campaniforme Ibérique.

Durant l'Âge de Fer, les auteurs ont enregistré une tendance importante à l'augmentation d'une ascendance liée à l'Europe du Nord et du Centre, par rapport à la population de l'Âge du Bronze. Cette augmentation varie de 10 à 19% pour la population de l'Âge du Fer de la côte Méditerranéenne où une langue non Indo-Européenne était parlée, de 11 à 31% dans deux individus Tartéssiens du site de La Angorrilla dans le sud-ouest de la péninsule dont la langue était incertaine, et de 28 à 43% dans trois individus de La Hoya dans le nord de la péninsule où la langue était Celtibère. Ainsi contrairement à d'autres régions d'Europe où l'arrivée de l’ascendance steppique a été accompagnée par l'arrivée de langues Indo-Européennes, ce n'est pas toujours le cas dans la péninsule Ibérique. Cela est notamment le cas pour les Basques qui parlent aujourd'hui une langue non Indo-Européenne mais correspondent génétiquement à une population typique de l'Âge du Fer dans la péninsule Ibérique.

Durant la période historique, cette étude comprend 24 individus datés entre le 5ème siècle av. JC. et le 6ème siècle ap. JC. sur le site de Empúries d'origine Phocéenne, puis occupé par les Romains, dans le nord-est de la péninsule Ibérique. Ces individus se regroupent dans deux clusters différents dont l'un est proche de la population de l'Âge du Bronze située autour de la mer Égée, et l'autre similaire aux populations de l'Âge du Fer de la péninsule Ibérique. D'autre part, 10 individus du site de L'Esquerda dans le nord-est, datés entre les 7ème et 8ème siècles ap. JC. se rapprochent génétiquement des populations actuelles de Grèce et d'Italie (composante bleu foncé ci-dessous). Les individus Visigoths du site de Pla de l'Horta dans le nord-est montrent en plus un flux de gènes issus d'Europe du Nord ou Centrale (composante orange). De manière intéressante un de ces individus a l'haplogroupe mitochondrial asiatique C4a1a préalablement trouvé dans une population Bavaroise du début du Moyen-Âge.

Dans le sud-est de la péninsule Ibérique, le génome de 45 individus a été analysé entre le 3ème et le 16ème siècle ap. JC. Tous ces individus diffèrent des populations de l'Âge du Fer et arborent une ascendance Nord Africaine (composante verte), ainsi qu'une ascendance Levantine (composante bleu clair) qui pourrait refléter une origine Juive. Ces résultats montrent qu'à partir de l'époque Romaine ou même depuis la période Phénicienne, le sud de la péninsule Ibérique a reçu un flux de gènes important nord Africain. Ce flux de gène a continué pendant la période Islamique comme on peut le voir pour la population de Sant Julià de Ramis datée entre les 8ème et 12ème siècles:
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La population actuelle du sud de la péninsule Ibérique comporte moins d'ascendance Africaine probablement à cause de la repopulation de la région après La Reconquista.
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Les études génétiques préalables ont montré que la tolérance au lactose qui est courante aujourd'hui en Europe était encore très rare durant l'Âge du Bronze. Cette étude montre qu'elle est encore rare durant l'Âge du Fer dans la péninsule Ibérique et augmente de façon appréciable seulement durant les 2000 dernières années suggérant une récente forte sélection.