La péninsule Ibérique située dans le sud-ouest de l'Europe représente un cas important pour l'étude des mouvements de population durant les périodes préhistoriques. Pendant le dernier maximum glaciaire, la péninsule a servi de refuge aux populations de chasseurs-cueilleurs Européens, puis a servi de source potentielle pour le repeuplement du continent pendant le réchauffement qui a suivi. Les études génétiques précédentes ont mis en évidence un gradient ouest/est entre les chasseurs-cueilleurs de l'ouest et ceux de l'est. Les chasseurs-cueilleurs de l'ouest sont dominés par une ascendance associée à l'individu de Villabruna en Italie, vieux de 14.000 ans. Cette population a remplacé une ancienne population associée à la culture Magdalénienne datée entre 19.000 et 15.000 ans.

Vanessa Villalba-Mouco et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Survival of Late Pleistocene Hunter-Gatherer Ancestry in the Iberian Peninsula. Ils ont séquencé le génome de 11 individus dont 10 sont situés dans la péninsule Ibérique datés entre 13.000 et 6000 ans. Le onzième individu est un reséquençage de meilleure qualité d'un chasseur-cueilleur du Paléolithique de la Troisième Caverne de Goyet en Belgique de la culture Magdalénienne: GoyetQ-2 daté d'environ 15.000 ans. Les dix individus Ibériques sont 2 chasseurs-cueilleurs du Paléolithique Supérieur de Balma Guilanyà datés entre 13.400 et 11.000 ans, 1 chasseur-cueilleur du Mésolithique de Moita do Sebastião au Portugal daté entre 8200 et 7900 ans, 4 individus du Néolithique Ancien de Cueva de Chaves et de Fuente Celada datés entre 7250 et 6900 ans, et 3 individus du Néolithique Moyen de Cueva de Chaves et Cova de Els Trocs datés entre 6500 et 5700 ans:
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Parmi ces onze nouveaux individus, il y a 9 hommes et 2 femmes seulement (le chasseur-cueilleur du Mésolithique de Moita do Sebastião et un fermier de Cueva de Chaves). Les chasseurs-cueilleurs de Balma Guilanyà ont pour haplogroupe mitochondrial U5b et U, le Mésolithique de Moita do Sebastião U5b, les fermiers de Cueva de Chaves: HV0, K1a et U4, le fermier de Fuente Celada X2b et les fermiers de Cova de Els Trocs J1c et U3. Les chasseurs-cueilleurs de Balma Guilanyà ont pour haplogroupe du chromosome Y: I1 et C1a, quatre des fermiers sont de l'haplogroupe I2a, un est de l'haplogroupe R1b (probablement R1b-V88 qui est la branche de R1b présente en Europe avant l'arrivée des Campaniformes) et l'autre est G2a.

Les auteurs ont réalisé une analyse multi-échelle basée sur la distance génétique en ajoutant l'ensemble des génomes des anciens chasseurs-cueilleurs d'Eurasie de l'Ouest:
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La figure ci-dessus montre que les individus se regroupent dans différents clusters comme ceux identifiés dans le papier de Fu. On reconnait ainsi le cluster de Villabruna (en bleu) associé à la culture Mésoltihique situé en bas à droite, le cluster de Vestonice (en marron) associé à la culture Gravetienne à gauche, le cluster de Satsurblia (en rose) et Mal'ta (en orange) associé aux chasseurs-cueilleurs de Sibérie et du Caucase en bas à gauche (à noter que ce cluster se sépare en deux dans la PCA ci-dessous), et le cluster de GoyetQ-2 (en jaune) associé à la culture Magdalénienne situé en haut. On identifie également les chasseurs-cueilleurs de l'est (en orange) situés en bas, dans une position intermédiaire entre les chasseurs-cueilleurs de Sibérie et ceux de l'ouest, les chasseurs-cueilleurs Scandinaves (en bleu turquoise) situés aussi en bas entre les chasseurs-cueilleurs de l'ouest et ceux de l'est. Enfin il y a l'unique individu Aurignacien de Goyet (GoyetQ116-1) (triangle rouge) situé entre les Gravettiens et les Magdaléniens.

Les auteurs ont également réalisé une Analyse en Composantes Principales:
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Le groupe Magdalénien comprend les individus de Goyet en Belgique, de Hohle Fels, Brillenhohle et Burkhardtshöhle en Allemagne, de Rigney en France et de El Miron en Espagne. De manière intéressante, les chasseurs-cueilleurs de la péninsule Ibérique (en vert) forment un gradient entre les groupes Magdalénien et de Villabruna. Ce gradient inclut notamment l'individu de El Miron le plus proche du groupe Magdalénien, alors que les Mésolithiques de La Braña et de Los Canes sont plus proche du groupe de Villabruna. Ces résultats sont confirmés par les statistiques f3 et f4. Ils suggèrent que les chasseurs-cueilleurs de la péninsule Ibérique sont issus d'un mélange génétique entre le groupe Magdalénien et le groupe de Villabruna:
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Les individus Ibériques de Balma Guilanyà, La Braña et de Los Canes possèdent plus d'ascendance de Villbruna que de GoyetQ-2, mais cependant possèdent davantage d'ascendance Magdalénienne que tous les Mésolithiques situés en dehors de la péninsule Ibérique. D'autre part les chasseurs-cueilleurs de la région Cantabrique au nord-ouest de la péninsule possèdent davantage d'ascendance de Villbruna que les autres chasseurs-cueilleurs de la péninsule.

Durant la transition Néolthique, les fermiers d'Anatolie ont atteint rapidement la péninsule Ibérique. Il y a peu de variabilité génétique parmi les premiers fermiers Européens et il est difficile de différencier les fermiers d'Europe Centrale de ceux de la côte Méditerranéenne. Il est néanmoins possible de les différencier d'une région à l'autre de l'Europe en fonction de leur signature chasseur-cueilleur distincte d'une partie à l'autre du continent. Les auteurs ont ainsi étudié parmi les fermiers Ibériques la signature chasseur-cueilleur pour voir si elle se rapprochait davantage du groupe Magdalénien ou du groupe de Villabruna. Pour cela ils ont d'abord réalisé une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous les premiers fermiers Néolithiques d'Espagne sont représentés par les étoiles rouge et jaune, alors que les fermiers du Néolithique Moyen sont représentés par les étoiles noires:
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Les fermiers Ibériques se trouvent entre les fermiers Anatoliens (losanges jaunes) et les chasseurs-cueilleurs de l'ouest (hexagones bleus). Les fermiers du Néolithique Moyen sont plus proches des chasseurs-cueilleurs que ceux du Néolithique Ancien. L'analyse avec le logiciel qpAdm montre que les chasseurs-cueilleurs Ibériques (en rouge et vert ci-dessous) possèdent plus d'ascendance Magdalénienne que ceux situés en dehors de la péninsule (en rose et bleu):
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L'ascendance Magdalénienne est détectée parmi tous les fermiers Ibériques du Néolithique Moyen mais également parmi les fermiers de la même période en Écosse, Pays de Galle, Irlande et France, mais pas en Angleterre.

En conclusion il est possible que l'ascendance Magdalénienne était présente sans mélange dans la péninsule Ibérique pendant le dernier maximum glaciaire et qu'un flux de gènes en provenance de l'est ait amené l'ascendance de Villabruna durant le réchauffement climatique.