Les études précédentes de paléo-génomique en Europe ont montré que les populations Néolithiques ressemblaient beaucoup génétiquement avec la population actuelle de Sardaigne. Les populations actuelles Européennes peuvent être modélisées principalement par trois ascendances majeures: les chasseurs-cueilleurs de l'ouest, les fermiers du Néolithique et les pasteurs des steppes. Dans ce schéma la population actuelle de Sardaigne est censée avoir reçu un influx majeure des fermiers du Néolithique et très peu des pasteurs des steppes.

Les plus vieux restes humains de Sardaigne sont datés d'environ 20.000 ans. Cela implique que les premiers habitants de l'île sont venus au Paléolithique. Les preuves archéologiques montrent de plus que l'île est restée peu peuplée durant le Mésolithique, et que l'expansion de cette population correspond à la diffusion du Néolithique. Notamment l'obsidienne de Sardaigne est retrouvée dans de nombreux sites du Néolithique Moyen dans la partie ouest du bassin Méditerranéen. Au Bronze Moyen, la culture Nuragique se diffuse sur l'île. Plus tard un certain nombre de populations se sont installées en Sardaigne comme les Phéniciens, les Carthaginois, les Romains, les Byzantins, les Nord Africains, ainsi que des individus venus du continent (Italie, France ou Espagne).

Joseph Marcus et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Population history from the Neolithic to present on the Mediterranean island of Sardinia: An ancient DNA perspective. Ils ont séquencé le génome de 43 squelettes de Sardaigne datés entre 4100 et 1000 av. JC. dont deux fermiers du Néolithique, deux individus du début du Chalcolithique entre 3300 et 3000 av. JC., cinq individus du Chalcolithique Final entre 2400 et 2200 av. JC., 19 individus du Bronze Ancien entre 2200 et 1600 av. JC., et 15 individus de la culture Nuragique entre 1600 et 1000 av. JC.:
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Les haplogroupes mitochondriaux des anciens Sardes sont H1 (20,9%), J1 (14%), J2 (14%), T2 (11,6%), K1 (11,6%), U5b (7%), H3 (7%), V (4,7%), K2 (2,3%), H4 (2,3%), H5 (2,3%) et X2 (2,3%) similaires aux populations Néolithiques Européennes.

Les 25 haplogroupes du chromosome Y se répartissent entre R1b-V88 (40%), I2a (32%), G2a (16%) et J2b (12%). Dans la population actuelle de Sardaigne, les haplogroupes du chromosome Y principaux sont I2a-M26 (35%), R1b-M269 (15%), E1b-M215 (10%). R1b-M269 apporté en Europe occidentale par les Campaniformes, est absent des anciens individus de Sardaigne. De même pour l'haplogroupe E1b prépondérant dans les populations actuelles d'Afrique du Nord:
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Le cas de l'haplogroupe R1b-V88 est intéressant. Cet haplogroupe est aujourd'hui principalement présent en Afrique Centrale et à faible fréquence en Sardaigne. Parmi les anciens squelettes Eurasiens, R1b-V88 est présent chez des chasseurs-cueilleurs Serbes vieux de 11.000 ans, et des fermiers Néolithiques d'Espagne (Els Trocs). Ces résultats suggèrent l'origine de cet haplogroupe au Mésolithique en Europe de l'est avant de se diffuser en Europe du sud-ouest au néolithique. La carte ci-dessous donne la répartition de l'haplogroupe R1b-V88 et de sa sous-clade R1b-V2197 dans les anciens squelettes d'Europe:
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La date de divergence entre la branche Sarde et la branche Africaine de R1b-V88 est située entre 7000 et 3000 ans av. JC. durant la période de Sahara vert. Ces résultats font écho à ceux publiés par D'Atanasio en 2018.

Les auteurs ont ensuite comparé les génomes des anciens Sardes à celui d'autres anciens individus et à des populations actuelles d'Europe. Notamment les Sardes actuels ont été divisés en 8 groupes correspondant à 8 régions géographiques de Sardaigne. Ils ont réalisé une Analyse en Composantes Principales:

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De manière intéressante, les anciens Sardes se regroupent entres les premiers fermiers et les Chalcolithiques de la péninsule Ibérique, grossièrement sur un axe qui rejoint les chasseurs-cueilleurs de l'ouest (WHG) des premiers fermiers d'Europe (EEF). Ils se situent à proximité des fermiers de l'ouest de l'Europe: péninsule Ibérique, France et îles Britanniques. L'utilisation du logiciel qpAdm suggère que les fermiers de France pourrait être à l'origine de la population du Néolithique Sarde. Ces résultats doivent cependant être pris avec précaution sachant que plusieurs régions de la côte Méditerranéenne comme l'Italie ou le sud de la France ont donné trop peu de génomes anciens de la période Cardiale.

En moyenne les anciens Sardes hébergent environ 17% d'ascendance chasseurs-cueilleurs de l'ouest ce qui est un taux supérieur à ce que l'on trouve dans les anciennes populations du continent (8%). C'est cependant plus faible que la fréquence dans les chalcolithiques de la péninsule Ibérique (25%) et proche de la fréquence des fermiers de France du Néolithique Moyen (21%).

Les données de cette étude suggèrent une forte continuité génétique en Sardaigne entre le Néolithique et la fin de la culture Nuragique. Ces individus forment un groupe homogène dans la PCA ci-dessus. Il n'y a donc pas eu de flux génétique venu des steppes durant l'Âge du Bronze en Sardaigne, contrairement à ce qui s'est passé en Europe continentale.

Les anciens individus de Sardaigne sont également le plus proche génétiquement de la population Sarde actuelle que de toute autre population Européenne. Néanmoins les auteurs ont mis en évidence un certaine nombre de flux de gènes venus de l'extérieur après la période Nuragique. Notamment, dans la PCA, les Sardes actuels sont légèrement décalés vers les populations de l'est de la Méditerranée. Ces résultats sont confirmés par les statistiques f3 et f4, ainsi que par l'analyse avec le logiciel ADMIXTURE. Ce dernier montre la présence d'une faible proportion de la composante steppique (en vert) dans la population Sarde actuelle qui est absente chez les anciens Sardes, ainsi qu'une forte proportion de la composante Est Méditerranéenne (en bleu):
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Le logiciel qpAdm indique qu'une source externe de flux de gènes pour expliquer ces différences pourrait être une population Maltaise, Turque ou Grecque. Les meilleures approximations sont données par l'influx de deux sources externes différentes venant du nord et de l'est de la Méditerranée, par exemple les Toscans et les Libanais. Ces flux de gènes ont du notamment apporter les haplogroupes R1b-M269 et E1b-M215 sur l'île. D'autre part les provinces du nord (Olbia et Sassari) de la Sardaigne ont reçu plus de flux génétique venu du nord de la Méditerranée. Ces résultats peuvent être expliquer par les influences successives en Sardaigne notamment de la part des Phéniciens et des Romains.

Mise à jour

Ce papier a été définitivement publié en février 2020: Genetic history from the Middle Neolithic to present on the Mediterranean island of Sardinia.

Cette nouvelle version comprend 70 anciens échantillons de Sardaigne, soit 27 de plus que la version originale. Ces 27 échantillons supplémentaires correspondent à 4 néolithiques, 1 chalcolithique, 3 du Bronze Ancien, 1 de la culture Nuragique et 18 post-Nuragiques dont 2 Phéniciens, 7 Puniques, 3 Romains et 6 du Moyen-Âge. Comme vu au-dessus les individus de la culture Nuragique se regroupent avec ceux des périodes précédentes à partir du Néolithique. A l'inverse, il y a une forte discontinuité après la culture Nuragique comme le montre la figure ci-dessous avec des flux de gènes en provenance du nord et de l'est de la Méditerranée dans des proportions variables selon l'individu. Les individus Puniques ont de plus une ascendance nord Africaine non négligeable.

2020_Marcus_Figure2b.jpg, fév. 2020