Pendant des millénaires, les steppes Eurasiennes furent peuplées par différents groupes nomades qui ont eu un impact significatif sur l'histoire culturelle du continent. Parmi ces populations, les Scythes de l'Âge du Fer sont connus des textes anciens et des fouilles archéologiques de leurs anciennes tombes parfois spectaculaires. D'un point de vue archéologique, les Scythes sont caractérisés par trois types d'artefacts: des armes, des harnachements pour chevaux et un art animalier. Ce monde Scythe comprend à la fois les Scythes classiques des steppes Pontiques et des populations du sud de la Sibérie dont les Sakas du Kazakhstan, la population Tagar du bassin de Minusinsk, la population Aldy-Bel de la république de Touva en Russie ainsi que les cultures Pazyryk et Sagly des montagnes de l'Altaï.

Malgré le large éventail de restes archéologiques, l'origine des Scythes est débattue. La première hypothèse suggère que les Scythes sont originaires des steppes Pontiques et se sont ensuite dispersés en Asie vers l'est, la seconde hypothèse est basée sur les textes antiques notamment d'Hérodote qui suppose une origine en Asie Centrale. Notamment les plus anciens kourganes de la culture Scythes sont identifiés en Asie Centrale. La troisième hypothèse suppose plusieurs origines différentes pour le peuple Scythe qui serait formé de populations différentes. Cette dernière hypothèse est supportée par les dernières études de paléo-génétique.

Laura Mary et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Genetic kinship and admixture in Iron Age Scytho-Siberians. Ils ont étudié les relations familiales entre 29 individus des cultures Aldy-Bel et Sagly issus de cinq sites archéologiques situés dans la vallée de la rivière Eerbek dans la république de Touva en Russie:
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Afin d'étudier les relations familiales entre ces individus, les auteurs ont testé 21 marqueurs STR autosomaux, 27 marqueurs STR du chromosome Y et quelques SNP du chromosome Y pour discriminer les principaux haplogroupes. Ils ont également effectué le séquençage complet de l'ADN mitochondrial.

Les auteurs ont obtenu des résultats sur les marqueurs autosomaux pour 28 des 29 échantillons. Sur ces 28 individus, il y a 17 hommes et 11 femmes. Deux échantillons ont rigoureusement le même haplotype autosomal suggérant qu'ils appartiennent au même individu. Les résultats montrent qu'il y a des relations familiales entre plusieurs individus sur quatre des cinq sites archéologiques:
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Il y a ainsi sept paires (parent,enfant) dont un homme avec ses deux parents (T20, T17, T19), ainsi qu'une mère avec ses deux filles (T5,T3,T26). De plus, un frère (T18) est identifié pour T19. Ainsi T18 est l'oncle paternel de T20 et également le beau-frère de T17. De plus il semble que l'homme T21 soit relié au second degré avec T20 et ses parents (T17 et T19). L'explication la plus probable est que T17 et T19 soient les grand-parents de T21, et donc que T20 soit l'oncle de T21.

Les auteurs ont ensuite obtenu 16 haplotypes du chromosome Y sur les 17 hommes. Trois de ces haplotypes ne sont pas uniques, mais partagés entre plusieurs individus. Dans deux cas, il y a un conflit entre les résultats autosomaux et ceux du chromosome Y. En effet T2 et T6 sont supposés être frères d'après les marqueurs autosomaux, mais ils n'ont pas le même haplotype du chromosome Y. Cependant ces haplotypes diffèrent que pour un seul marqueur. Soit T2 et T6 sont seulement des demi-frères, soit une mutation est arrivée chez leur père entre leur deux conceptions. Si cette dernière hypothèse est la bonne alors les individus: T2, T6, T7, T12 et T24 partagent le même haplotype. Le deuxième cas concerne la paire T2, T12 supposés être père et fils. Ils diffèrent sur un marqueur STR du chromosome Y. Cependant, vu la dégradation de l'ADN ces haplotypes pourraient être réellement identiques. Neuf des hommes appartiennent à l'haplogroupe R1a-M513, dont deux à la sous-clade R1a-Z93. Six hommes appartiennent à l'haplogroupe Q1b-L54 dont cinq appartiennent à la sous-clade Q1b-L330. Enfin un homme appartient à l'haplogroupe N-M231. Il n'a pas été possible de déterminer l'haplogroupe pour T16 en raison de la faible qualité de l'ADN. Les cinq hommes d'haplogroupe Q1b-L330 sont situés sur le même site archéologique. Les neuf hommes d'haplogroupe R1a-M513 sont également enterrés dans le même kourgane sur le même site archéologique.

Les auteurs ont obtenu la séquence complète mitochondriale pour 26 des individus testés. La diversité mitochondriale est supérieure à celle du chromosome Y. Il y a ainsi 16 haplotypes différents appartenant à 14 haplogroupes. Toutes les relations au premier degré (mère,enfant) ou (frères) identifiées avec les marqueurs autosomaux sont confirmées par un haplotype mitochondrial identique. Contrairement aux résultats du chromosome Y, il n'y a pas de corrélation entre lignage maternel et site archéologique. Les haplogroupes sont H (15,4%), HV (11,5%), U5 (7,7%), U4 (7,7%), T2 (7,7%), C4 (30,8%), D4 (11,5%), F1 (3,8%) et G2 (3,8%). Il y a ainsi environ autant de lignages maternels occidentaux que d'orientaux:
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Les résultats obtenus dans cette étude sont typiques d'une société patrilocales dans laquelle les femmes quittent leur famille pour aller dans la famille de leur mari. Ainsi les lignages paternels sont regroupés sur le même site archéologique alors que les lignages maternels sont dispersés. Ces sociétés sont typiques des clans. Ainsi l'exemple des trois femmes T5, T26 et T3 est caractéristique puisque T5 est enterrée avec sa fille T3 encore adolescente alors que son autre fille T26, adulte, est enterrée sur un autre site archéologique, probablement avec son mari.

D'autre part si l'on compare la distribution des haplogroupes mitochondriaux de cette étude avec celle obtenue sur des sites Scythes occidentaux d'Ukraine et de Moldavie pour lesquels environ les deux tiers des lignages maternels sont occidentaux et un tiers seulement sont orientaux, on remarque une différence importante. Sur ces mêmes sites Scythes occidentaux la majorité des haplogroupes du chromosome Y sont R1b-M269 totalement différents des haplogroupes obtenus dans cette étude. Tous ces résultats suggèrent que l'origine des Scythes occidentaux et orientaux est différente, supportant ainsi la troisième hypothèse sur l'origine des Scythes, formulée au début de cet article.