Les Amérindiens actuels descendent d'au moins quatre anciennes migrations venues d'Asie. Les premiers Américains sont entrés en Amérique il y a environ 14.500 ans. Une seconde migration reliée génétiquement à une population Australasienne, dénommée population Y, a contribué à certains groupes d'Amazonie. Une migration paléo-eskimo s'est diffusée dans la zone arctique de l'Amérique il y environ 5000 ans. Enfin une ascendance néo-eskimo s'est diffusée avec la culture de Thulé dans la région arctique également il y a environ 800 ans. Cette dernière ascendance est présente aujourd'hui dans les groupes Yupik et Inuit.

L'étendue de l'ascendance paléo-eskimo dans les populations anciennes et actuelles est mal connue. Si l'archéologie montre la présence de cultures paléo-eskimos entre 5000 et 700 ans, on ne sait pas si ces dernières ont contribué génétiquement aux groupes voisins comme les Tlingits d'Alaska et les Athabaskans qui parlent une langue Na-dené. On ne sait pas non plus s'il y a eu des mélanges génétiques entre paléo et néo-eskimos.

Pavel Flegontov et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Palaeo-Eskimo genetic ancestry and the peopling of Chukotka and North America. Ils ont séquencé le génome de 48 anciens individus de la région arctique de l'Amérique et de Sibérie. Il y a ainsi 11 anciens Aléoutes datés entre 2050 et 280 ans, trois anciens nord Athabascans datés entre 900 et 550 ans, 21 anciens individus des sites archéologiques de Ekven et de Ouelen en Tchoukotka datés entre 1770 et 620 ans, un paléo-eskimo de la culture de Dorset moyenne daté entre 1900 et 1610 ans et 12 individus du site archéologique de Ust’-Belaya près du lac Baïkal datés entre 7020 et 610 ans.

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales:
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Les anciens individus se situent sur un gradient qui s'étend entre les sud Américains (en orange) en haut et les Sibériens de l'est (Koryaks et Itelmènes) (en vert) en bas. Parmi les anciens individus de cette étude les paléo-eskimos (étoiles marron) se situent en bas et les nord Athabascans (étoiles marron clair) en haut. Les anciens Aléoutes (étoiles bleu) sont situés sous les Athabascans, les Ekven (étoiles bleu clair) et Uelen (étoiles gris foncé) sous les Aléoutes. Par contre les individus de Ust’-Belaya (étoiles grises) sont situés en dehors de ce gradient, avec les Sibériens de l'ouest ou à côté des Sibériens de l'est.

Le logiciel qpWave confirme que ce gradient correspond à un mélange génétique des deux ascendances: premiers Américains (en haut) et proto paléo-eskimos (PPE en bas). Ainsi les sud Américains ont 0% d'ascendance PPE, les nord Américains entre 0 et 18%, les Na-dené actuels entre 5 et 23%, les anciens nord Athabascans entre 32 et 43%, les anciens Aléoutes et les Inuits actuels entre 43 et 64%, les Yupiks entre 72 et 82% et les paléo-eskimos et les populations actuelles de Sibérie de l'est parlant une langue tchouktche-kamtchadale jusqu'à 100%:
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Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel chromoPainter. Ils ont ainsi montré que les Amérindiens qui ont le plus d'haplotypes partagés avec le paléo-eskimo Saqqaq, appartiennent aux groupes Na-dené. Le logiciel Globetrotter montre de plus que l'ascendance paléo-eskimo contribue entre 7 et 51% aux Na-denés et que ce flux de gènes remonte entre 2200 et 480 ans.

L'analyse des rares variants dans les populations Sibériennes et Américaines confirment ces résultats. Elle montre de plus que les mélanges génétiques avec les populations voisines nord Amérindiennes ont réduit la proportion d'ascendance PPE dans les groupes Na-denés au cours du temps. Cette analyse montre également que les Yupiks et Inuits actuels partagent plus d'allèles avec les populations Sibériennes parlant une langue tchouktche-kamtchadale.

Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel qpGraph pour construire un modèle démographique. Le meilleur modèle est le suivant:
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Dans la figure ci-dessus, les anciens Atabhascans reçoivent 23% d'ascendance PPE, les anciens Aléoutes reçoivent 40% d'ascendance PPE et 60% d'ascendance nord Amérindienne, les anciens Ekven et Uelen reçoivent 85% d'ascendance ancien Aléoute et 15% d'ascendance Sibérienne et les populations tchouktches-kamtchadales reçoivent 91% d'ascendance PPE et 9% d'ascendance ancien Aléoute. Un point important est le flux génétique bidrectionnel entre les populations tchouktches-kamtchadales et les Néo-eskimos, qui n'affecte pas les anciens Aléoutes qui peuvent être groupés entre paléo et néo-aléoutes, mais qui forment une seule population génétique homogène en contradiction avec l'hypothèse qui suggère l'arrivée d'une nouvelle population dans les îles Aléoutiennes il y a environ 1000 ans.

Le modèle démographique a ensuite été affiné avec le logiciel Rarecoal. Le résultat suggère que les lignées tchouktche-kamtchadale et Eskimo-aléoute ont divergé entre 6200 et 4900 ans au moment où l'ascendance PPE s'est propagée chez les ancêtres des Athabascans:
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La position de l'ancien Saqqaq est située juste après ce flux de gènes, mais juste avant le flux de gènes des ancêtres des nord Amérindiens vers les ancêtres des Eskimo-aléoutes (55 à 62%). Enfin le flux de gènes bidirectionnel entre les populations tchouktches-kamtchadales et les Eskimos est estimé entre 2300 et 1700 ans (de 6 à 12% vers les Eskimos et de 36 à 45% vers les tchouktches-kamtchadales). Le modèle propose également une contribution importante (entre 41 et 44%) des Européens vers les Aléoutes actuels probablement pendant la période coloniale, et vers les nord Amérindiens (entre 23 et 27%).

Le scénario le plus probable est que les flux de gènes vers les Eskimo-aléoutes et vers les populations Na-dené sont intervenus en Alaska, mais que le flux de gènes bidirectionnel entre populations tchouktches-kamtchadales et les Eskimos a eu lieu en Sibérie suite à une migration retour vers la Sibérie, avant la propagation des eskimos vers la zone arctique de l'Amérique du nord avec la culture de Thulé:
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