La recherche en archéo-génétique en Europe s'est jusqu'ici concentrée sur la démographie à l'échelle du continent en révélant des mouvements de populations majeurs durant la préhistoire. Elle n'a cependant pas pu mettre en évidence le rôle complexe des individus à l'intérieur de ces processus. Il est admis qu'au début de l'Âge du Bronze il y a eu une augmentation des inégalités sociales identifiées notamment par de riches tombes princières. De plus les analyses isotopiques suggèrent l'existence de réseaux de mariages exogames qui renforcent les contacts entre différentes régions.

Alissa Mittnik et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: kinship-based social inequality in Bronze Age Europe. Ils ont séquencé le génome de 118 individus issus d'une dizaine de petits cimetières situés dans la vallée de la Lech au sud de l'Allemagne. Chaque cimetière est associé à une ferme ou un petit groupe d'habitats:
2019_Mittnik_Figure1.JPG, oct. 2019

Ces données ont été associées à des analyses isotopiques réalisées sur ces mêmes individus. L'analyse du mobilier archéologique et des données anthropologiques complète le tableau. Parmi ces 118 échantillons, 104 ont été sélectionnées pour réaliser des analyses de parenté. Les résultats ont permis d'identifier 55 individus sans relation parentale qui ont servi ensuite à des analyses de génétique des populations. Ces 55 individus incluent deux personnes de la culture cordée (entre 2750 et 2460 av. JC.), dix de la culture campaniforme (entre 2480 et 2150 av. JC.), 34 du début de l'Âge du Bronze (entre 2150 et 1700 av. JC.) et neuf de l'Âge du Bronze Moyen (entre 1700 et 1300 av. JC.).

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. Les individus de la vallée de la Lech (triangles avec la pointe vers le haut ou le bas) s'étirent entre les pasteurs des steppes (carrés verts en haut) et les fermiers du Néolithique Moyen (triangles oranges avec la pointe à gauche en bas):
2019_Mittnik_FigureS5.jpg, déc. 2019

Ils ont effectué une analyse avec la statistique f4 pour étudier les proportions d'ascendance pasteurs des steppes et fermiers du Néolithique pour chaque échantillon. Le résultat montre que les individus possèdent différentes proportions de ces ascendances. Les auteurs ont mis en évidence une corrélation entre l'âge des individus et ces proportions. En effet la proportion d'ascendance fermiers augmente avec le temps. C'est notamment bien visible lorsque on regroupe les échantillons par période. Dans la figure ci-dessous plus un symbole est situé vers la droite, plus la proportion d'ascendance des fermiers du Néolithique est importante:
2019_Mittnik_FigureS8A.JPG, oct. 2019

Ces résultats suggèrent une migration initiale d'une population des steppes suivie par des mélanges génétiques avec la population locale, et non pas l'arrivée d'individus des steppes sur une longue période.

L'analyse avec le logiciel qpAdm/qpWave basée sur le mélange génétique entre trois populations sources: chasseurs-cueilleurs, fermiers et pasteurs confirme ce résultat:
2019_Mittnik_Figure2B.JPG, oct. 2019

D'autre part les individus de la culture cordée possèdent davantage d'ascendance des steppes sur les autosomes par rapport au chromosome X indiquant ainsi un biais sexuel masculin relié à l'ascendance des steppes en Europe Centrale. A l'inverse, les groupes plus récents ne possèdent pas ce biais. La grande majorité des hommes de la vallée de la Lech, analysés dans cette étude, possède l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-P312.

L'analyse isotopique du strontium et de l'oxygène montre qu'il y a beaucoup plus de femmes non locales que d'hommes ou d'enfants. Dans la figure ci-dessous les hommes sont représentés par des symboles bleus, les enfants par des symboles jaunes et les femmes par des symboles rouges. La zone locale est la zone grisée du bas, alors que la zone non locale est la zone grisée du haut:
2019_Mittnik_FigureS11.JPG, oct. 2019

Ces résultats suggèrent des règles sociales patrilocales et une exogamie féminine qui imposent aux femmes de se déplacer dans le foyer de son mari, au moment du mariage.

Si maintenant on compare pour chaque individu les analyses isotopiques du strontium sur plusieurs molaires qui ont poussé à différents âges de l'individu, on peut mettre en évidence des mouvements individuels entre l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte:
2019_Mittnik_FigureS12.JPG, oct. 2019

Ainsi trois des hommes (UNTA68 SK1, UNTA153 et AITI2) ont quitté la vallée de la Lech à leur adolescence avant d'y revenir à l'âge adulte. La même analyse sur les femmes non locales montre qu'elles sont arrivées dans la vallée de la Lech à leur adolescence ou après.

Les auteurs ont ensuite étudié les liens de parenté entre individus avec le logiciel lcMLkin. Ce logiciel permet de mettre en évidence les liens entre parents et enfants, entre frères et sœurs, au second degré (cousins, oncles, tantes, neveux, nièces, grands-parents, petits-enfants) ou entre le troisième et le cinquième degré. Toutes les relations au premier et au second degré correspondent à des individus situés dans le même cimetière, à une exception près qui donne deux demi-sœurs situées dans deux cimetières différents: Königsbrunn–Obere Kreuzstrasse (OBKR) et Haunstetten–Postillionstrasse (POST). Les auteurs ont reconstruit six arbres généalogiques dont trois s'étalent sur au moins quatre générations. Parmi les dix paires parent/enfant identifiées, six sont entre la mère et un enfant, et les dix enfants sont tous un fils. Neuf enfants sont décédés à l'âge adulte. Ces résultats suggèrent que ce sont les filles qui quittent le domicile familial en accord avec une société patrilocale et une exogamie féminine. Les résultats obtenus avec l'analyse isotopique sont donc confirmés par la paléo-génétique. Notamment cette patrilocalité est mise en évidence au cimetière de Haunstetten–Postillionstrasse (POST) où tous les hommes du même arbre généalogique appartiennent à l'haplogroupe R1b-P312:
2019_Mittnik_Figure3.JPG, oct. 2019

D'autre part tous les hommes qui n'appartiennent pas à l'haplogroupe R1b-P312, n'ont aucun lien de parenté avec les autres individus du même cimetière.

Certain type de mobilier archéologique découvert dans les sépultures, notamment les armes (poignards, haches, ciseaux et pointes de flèches) pour les hommes et la parure (anneaux pour les jambes, parure pour la chevelure), pour les femmes et épingles pour les deux sexes, sont probablement associé au statut social élevé du défunt. Les auteurs ont ainsi mis en évidence une corrélation entre la richesse des sépultures et le nombre de lien de parentés. Certains adolescents ont également de riches mobiliers. Ce résultat suggère que la richesse est héritée d'une génération à la suivante. Les membres d'une même famille sont souvent enterrés à proximité les uns des autres. De manière intéressante, les femmes non locales ont souvent un riche mobilier. Ainsi les femmes à leur mariage entrent dans la maison familiale de leur mari et héritent de leur statut social. D'autre part il y a des individus qui n'ont aucun lien de parenté avec les autres individus et ont un mobilier archéologique très pauvre. Il est ainsi probable que des gens de statut social différent et sans liens de parenté, vivaient ensemble dans le même foyer: les maîtres avec leurs serviteurs ou esclaves.

Les auteurs ont également utilisé les liens de parenté entre les individus pour diminuer l'incertitude sur la datation de ces individus. Ainsi, au cimetière de Haunstetten–Postillionstrasse (POST), la fourchette moyenne de 154 ans sur deux sigmas a été réduite à une valeur de 105 ans, et l'intervalle de datation pour la famille entière passe de 233 à 169 ans.