Les études génétiques précédentes ont montré que deux migrations importantes ont eu lieu en Europe Centrale au début et à la fin du Néolithique coïncidant respectivement avec l'arrivée des premiers fermiers en provenance d'Anatolie et des pasteurs des steppes. Archéologiquement, le Néolithique en Suisse est dominé par les habitats en bord de lac. A la fin du Néolithique, les sépultures sont mégalithiques comme on peut le voir sur les sites de Oberbipp, Sion, Aesch et d'autres. En Suisse les sites de la culture Cordée sont trouvés exclusivement en bord de lac. Les sépultures de l'Âge du Bronze ancien se concentrent dans les régions Alpines sans habitat au bord des lacs. Jusqu'à aujourd'hui, seuls quatre anciens individus de Suisse ont été testés génétiquement: un chasseur-cueilleur du site de Bichon et trois Campaniformes du site du Petit-Chasseur à Sion.

Anja Furtwängler et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient genomes reveal social and genetic structure of Late Neolithic Switzerland. Ils ont séquencé le génome de 96 anciens individus datés entre le Néolithique et l'Âge du Bronze, issus de 13 site archéologiques de Suisse, du sud de l'Allemagne et d'Alsace en France. Le site de Lingolsheim en Alsace consiste en deux nécropoles voisines. La première est du Néolithique Moyen, datée entre 4786 et 4601 av. JC., alors que la seconde autrefois attribuée à la culture rubanée est datée entre 2463 et 2208 av. JC. en plein dans la culture Campaniforme:

2020_Furtwangler_Figure1.jpg, avr. 2020

Les individus appartiennent aux haplogroupes mitochondriaux: N1a, W, X, H, T2, J, U2, U3, U4, U5a, U5b, K et U8.

Les haplogroupes du chromosome Y sont les suivants:

2020_Furtwangler_TableS1.jpg, avr. 2020

Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales pour comparer ces génomes avec ceux préalablement obtenus dans des études précédentes. La figure ci-dessous montre que les échantillons de cette étude se regroupent en deux clusters différents. Les plus anciens individus (symboles circulaires) se positionnent à proximité des fermiers du Néolithique en bas de la figure alors que les plus récents (symboles carrés) sont déplacés en direction des pasteurs des steppes de la culture Yamnaya:

2020_Furtwangler_Figure1c.jpg, avr. 2020

Dans le groupe des fermiers du Néolithique, les plus anciens individus (Niederried et Lingolsheim) se situent plus proche des fermiers d'Anatolie, alors que les individus du Néolithique plus récent (Oberbipp et Aesch) sont déplacés vers les chasseurs-cueilleurs de l'ouest. Dans le groupe des individus qui possèdent de l'ascendance steppique, les plus anciens (comme Aesch25) sont plus proches des individus de la culture Yamnaya, alors que les plus récents sont déplacés vers les individus du Néolithique Européen. De manière intéressante, ces derniers individus se situent à proximité des individus actuels d'Europe, mais pas des Suisses contemporains suggérant ainsi des événements démographiques dans cette région après l'Âge du Bronze Moyen. Il est également important de souligner que les archéologues précisent que le dolmen de Aesch a été réutilisé par des Campaniformes (voir notamment l'article de J. Desideri et al. : The end of the Neolithic in Western Switzerland). Ainsi l'individu Aesch25 est probablement un de ces Campaniformes.

L'analyse avec le logiciel ADMIXTURE confirme ces résultats:

2020_Furtwangler_Figure2a.jpg, avr. 2020

Cette étude montre que l'ascendance des steppes apparait en Suisse à partir de 2700 av. JC. La figure ci-dessous compare les dates d'arrivée de l'ascendance steppique dans quatre régions d'Europe: la Suisse, la Grande Bretagne, la région Elbe/Saale en Allemagne et la péninsule Ibérique:

2020_Furtwangler_Figure2b.jpg, avr. 2020

Ainsi c'est en Suisse que l'ascendance steppique apparait en premier, mais ce résultat pourrait être le fruit d'un mauvais échantillonnage des individus dans les différentes régions. De plus, en Suisse, on trouve plusieurs femmes sans aucune ascendance steppique jusqu'à 1000 ans après l'apparition de cette ascendance, suggérant une forte structuration de la population dans la région à cette période. Les auteurs ont montré également en comparant le chromosome X aux autosomes, que l'ascendance steppique est portée beaucoup plus par les hommes que par les femmes, confirmant ainsi les résultats antérieurs. La faible décroissance d'ascendance steppique au cours du temps après son apparition suggère que le flux de gènes n'a pas été ponctuel au début, mais a probablement duré sur une longue période.

Les auteurs ont ensuite essayé de déterminer la source de l'ascendance Néolithique parmi les individus incorporant de l'ascendance steppique. Les résultats suggèrent qu'elle est soit locale en Suisse, soit issue des individus de la culture des amphores globulaires, située plus à l'est.

Dans cinq sites archéologiques, les auteurs ont identifié des relations familiales au premier degré entre individus. Quatre de ces sites possèdent plus de deux individus reliés ensemble. Parmi ces individus, il y a beaucoup plus d'hommes que de femmes suggérant une fois de plus un forme de patrilocalité et d'exogamie féminine. Ce motif se retrouve avant et après l'apparition de l'ascendance steppique dans la région.

Enfin les auteurs ont étudié les traits phénotypiques sur ces anciens individus. Ces derniers ont tous la peau clair. La tolérance au lactose a été identifiée chez un seul individu du site de Spreitenbach daté entre 2105 et 2036 av. JC.