Le peuplement de la région Andine d'Amérique du Sud débute avec l'arrivée des premiers chasseurs-cueilleurs il y a environ 14.500 ans. Dans les régions des Andes Centrales et des Andes du Centre Sud (actuel Pérou, Bolivie et nord du Chili), les premiers habitats côtiers et d'altitude sont suivis par des structures sédentaires, des sociétés plus complexes et éventuellement des cultures archéologiques à large sphère d'influence comme les Huari (1400 à 950 ans) au nord, les Tiwanaku (1400 à 950 ans) au sud et les Incas (510 à 420 ans).

Nathan Nakatsuka et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: A Paleogenomic Reconstruction of the Deep Population History of the Andes. Ils ont séquencé le génome de 65 nouveaux individus de la région Andine qu'ils ont ajouté aux génomes préalablement publiés de squelettes de la région, pour obtenir un ensemble de 89 échantillons âgés entre 9000 et 500 ans. Dans la figure ci-dessous, les échantillons de la région Andine Centrale située au nord sont en bleu, alors que les échantillons de la région des Andes du Centre Sud située au sud, sont en rouge. Il y a deux individus de plus de 8000 ans. Le premier est situé sur le site de Lauricocha (4) au nord et le second sur le site de Cuncaicha (12) au sud. A noter également sur la carte ci-dessous la région de Cuzco, la capitale Inca et le bassin du lac Titicaca situé au sud-est:

2020_Nakatsuka_Figure1.jpg, mai 2020

Ci-dessus, les sites d'altitude sont représentés par des triangles et les sites côtiers par des cercles.

Les individus de cette étude appartiennent aux haplogroupes mitochondriaux A2, B2a, B2b, C1b, C1c, D1 et D4h3a, et à l'haplogroupe du chromosome Y: Q1-M346.

Les auteurs ont réalisé une analyse avec le logiciel ADMIXTURE:

2020_Nakatsuka_FigureS3.jpg, mai 2020

et une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous les populations actuelles sont représentées par des disques gris. Les résultats montrent que la structure génétique est fortement corrélée à la géographie puisque la première composante correspond à une gradient nord-sud et que la seconde sépare les populations actuelles d'Amazonie du nord-ouest:

2020_Nakatsuka_Figure2.jpg, mai 2020

Les plus anciens individus de cette étude, n'ont pas été représentés ci-dessus car leur position sur la PCA n'est pas corrélée à leur position géographique.

Les auteurs ont ensuite utilisé la statistique f4 en regroupant les échantillons plus jeunes que 2000 ans, en six régions géographiques: Pérou Nord Altitude, Pérou Nord Côtes, Pérou Central Côtes, Pérou Sud Altitude, Pérou Sud Côtes et Chili Nord. Le groupe Pérou Nord Altitude montre une forte continuité génétique depuis des millénaires suggérée par une forte affinité avec l'ancien individu de Lauricocha vieux de 8600 ans. De la même manière l'ancien individu de Cuncaicha vieux de 4200 ans montre plus d'affinité génétique avec le groupe Pérou Sud Altitude qu'avec le groupe Pérou Sud Côtes. Il semble ainsi que la structure génétique nord-sud dans les Andes remonte à environ 5800 ans comme le montre le génome de Lauricocha daté de cette époque. Cette période correspond à peu près au début de la période pré-céramique finale quand les différentiations économiques, politiques et religieuses apparaissent entre les différentes régions des Andes dans les preuves archéologiques. Cela correspond également à l'augmentation de la dépendance à la culture des plantes qui est supposée correspondre à une forte augmentation de la taille de la population.

Par la suite, les auteurs ont mis en évidence un flux de gènes entre les populations nord et sud. Ainsi le groupe Pérou Sud Altitude peut être modélisé comme issu d'un mélange génétique entre une population proche de l'ancien individu de Cuncaicha vieux de 4200 ans (65%) et une population proche de l'ancien individu de Lauricocha vieux de 5800 ans (35%). Cet événement démographique pourrait être lié à l'influence de la culture Chavin entre 2900 et 2350 ans. Les auteurs ont également mis en évidence un flux de gènes entre les régions d'altitude et côtière au nord du Pérou, ainsi qu'un flux de gènes entre le bassin du lac Titicaca et les régions Pérou Sud Altitude et Chili Nord.

Après 2000 ans, les auteurs ont observé une forte homogénéité génétique à l'intérieur de la plupart des régions. Les seules exceptions sont celles de la région de Cuzco et du bassin du lac Titicaca. Cette homogénéité se révèle notamment dans la région Pérou Nord Côtes sur le site archéologique de El Brujo qui s'étend entre 1750 et 560 ans de la culture Moche à la culture Lambayeque. Elle apparait également dans la région Pérou Nord Altitude dans la continuité génétique entre 1200 et 550 ans, ou dans la région Pérou Central Côte à Lima entre 1850 et 480 ans, notamment sous l'influence politique des Huari. Il y a également continuité génétique dans la région Pérou Sud Côtes entre 1480 et 515 ans à travers la culture Nazca, et dans la région Pérou Sud Altitude entre 1150 et 390 ans. Ainsi dans toutes ces régions les plus anciennes populations servent de substrat génétique aux populations locales plus récentes, suggérant ainsi très peu de mouvements de populations. Cette structure génétique en place entre 2000 et 500 ans se retrouve dans la structure génétique des populations amérindiennes actuelles. Ces dernières ont en effet plus d'affinité génétique avec les anciennes populations de leur région respective. Par exemple le groupe Pérou Central Côtes partage plus d'allèles avec les populations actuelles parlant une langue Quechua qu'avec les populations actuelles parlant une langue Aymara, en corrélation avec la répartition géographique de ces populations plus au nord pour celles parlant le Quechua et situées dans le bassin du lac Titicaca et au sud pour celles parlant l'Aymara.

Les auteurs ont mis en évidence une forte hétérogénéité génétique dans les régions du bassin du lac Titicaca et de Cuzco, associées respectivement aux empires Tiwanacu et Inca. Ceci peut s'expliquer par l'attirance d'un centre urbain, administratif et religieux sur les régions environnantes. De plus les anciens individus pré-colombiens de la région de Cuzco sont plus proche génétiquement de certaines populations en dehors de Cuzco que de la population actuelle de Cuzco. Notamment les anciens individus du groupe Pérou Sud Altitude partagent plus d'allèle avec les populations actuelles de la région de Cuzco, qu'avec les anciens individus des sites archéologiques de San Sebastian et Torontoy de la région de Cuzco, Des recherches futures sur ce sujet spécifique sont nécessaires pour éclaircir ces résultats. Différents scénarios sont possible pour expliquer ces données, liés aux différentes politiques Inca ou Espagnole de mouvements de populations. Enfin cette étude a mis en évidence une très forte mobilité des populations à l'époque de l'empire Inca. Notamment un garçon sacrifié du sud des Andes de la culture Inca est plus proche génétiquement des individus du groupe Pérou Nord Côtes, suggérant un voyage à longue distance, éventuellement pour les besoins de son sacrifice.

Les auteurs ont ensuite analysé les flux de gènes entre les Andes et les régions voisines. Ils ont notamment observé un excès d'allèles partagés entre les populations actuelles du nord-ouest de l'Amazonie et les anciens groupes du nord du Pérou. Ainsi une population du nord-ouest de l'Amazonie peut être modélisée comme issue d'un mélange génétique entre des anciens individus du groupe Pérou Nord Altitude (29%) et une population d'ascendance Amazonienne (71%). Ils ont aussi identifié des individus du groupe Pérou Central Côtes avec une proportion non négligeable (14%) d'ascendance Amazonienne, suggérant ainsi un flux génétique bidirectionnel entre ces régions. Ce mélange génétique est daté d'environ 1500 ans dans le groupe Pérou Nord Côtes et 1150 ans dans le groupe Pérou Central Côtes indiquant ainsi une migration du nord vers le sud.

De plus les auteurs ont mis en évidence un partage d'allèles entre les groupes Pérou Sud Altitude, Pérou Sud Côtes, Pérou Central Côtes et du bassin du lac Titicaca, avec un ancien individu d'Argentine du site de Laguna Chica daté de 1600 ans. Ces résultats suggèrent un flux de gènes entre la Pampa Argentine et le centre des Andes. Ainsi l'ancien individu de Laguna Chica daté de 1600 ans peut être modélisé comme issu d'un mélange génétique entre une population locale plus ancienne (80%) et une population venue du centre des Andes (20%).

Les auteurs ont ensuite construit un graphe de mélange génétique. La figure ci-dessous résume les différents résultats de cette étude:

2020_Nakatsuka_Figure4.jpg, mai 2020

On voit ainsi la formation de la structure génétique nord-sud autour de 5800 ans, suivie par différents épisodes de mélanges génétiques entre les groupes à partir de 2000 ans.