L'origine de la diffusion de l'agriculture en Asie du sud-ouest est étudiée depuis plus d'un siècle. La sédentarisation, la culture et l'élevage ont émergé dans le croissant fertile après la phase climatique du refroidissement du Dryas récent entre 12.900 et 11.700 ans. Ce mode de production apparaît en Anatolie Centrale il y a environ 10.600 ans, avant d'atteindre la région Égéenne il y a 8700 ans, puis la Crête et la Grèce continentale avant de se diffuser dans le bassin Méditerranéen central et la région Danubienne entre 8200 et 7500 ans.

Les récentes études de paléo-génétique ont montré que les premiers fermiers Européens étaient proches génétiquement des fermiers Anatoliens, alors que les premiers fermiers d'Anatolie, du sud du Levant et des monts Zagros en Iran étaient fortement différenciés.

Nina Marchi et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The mixed genetic origin of the first farmers of Europe. Ils ont séquencé 15 anciens individus avec une très bonne qualité dont deux chasseurs-cueilleurs du Mésolithique de Serbie et treize fermiers du Néolithique ancien répartis entre l'Iran et l'Europe Centrale. Ces génomes ont été ajoutés à neuf autres anciens génomes de bonne qualité préalablement publiés, dont trois chasseurs-cueilleurs et six anciens fermiers:

2020_Marchi_Figure1.jpg, nov. 2020

Les auteurs ont fait une analyse multi-échelles pour comparer ces 24 anciens génomes avec le génome d'individus issus de populations actuelles. Dans la figure ci-dessous les échantillons contemporains sont représentés par de petits symboles alors que les échantillons anciens sont représentés par de gros symboles. Les chasseurs-cueilleurs sont représentés par des triangles alors que les fermiers sont représentés par des disques:

2020_Marchi_Figure2a.jpg, nov. 2020

Dans la figure ci-dessus les anciens génomes se regroupent en trois clusters: les chasseurs cueilleurs en haut à droite, les fermiers d'Anatolie et d'Europe en haut à gauche et le fermier d'Iran en bas à gauche. Les anciens fermiers d'Europe sont proches génétiquement des Sardes actuels puis de tous les Européens du sud. L'ancien fermier d'Iran est proche des populations actuelles d'Iran suggérant une forte continuité génétique dans cette région. Les chasseurs-cueilleurs sont plus proches des populations actuelles de la région Baltique, de Scandinavie et de Russie.

Les auteurs ont ensuite analysé l'hétérozygotie des anciens génomes pour estimer leur diversité. Ainsi les chasseurs-cueilleurs sont moins divers génétiquement, alors que les anciens fermiers sont à peine moins divers que les populations actuelles. Parmi les populations actuelles, la diversité diminue très légèrement lorsqu'on s'éloigne de l'Anatolie de l'ouest:

2020_Marchi_Figure2b.jpg, nov. 2020

Enfin l'étude des segments d'homozygotie montre qu'il y a un fort niveau de consanguinité parmi les populations de chasseurs-cueilleurs, en raison probablement d'une plus faible taille de la population.

Les auteurs ont ensuite étudiés différents scénarios démographiques modélisant la diffusion du Néolithique en Europe. De manière intéressante un modèle supposant l'absence d'introgression chasseur-cueilleur dans la population des fermiers est clairement rejeté. En fait le modèle le plus probable suppose des faibles flux de gènes chasseur-cueilleur (entre 2 et 6%) à différentes étapes le long de la dispersion Néolithique dans le bassin du Danube. D'autre part ce modèle suppose un fort mélange génétique entre deux populations de chasseurs-cueilleurs d'Anatolie et d'Europe du sud-est à l'origine de la population des premiers fermiers d'Anatolie qui va ensuite se disperser en Europe. La population d'Iran a divergé de la population Anatolienne il y a environ 20.000 ans, peu de temps avant le mélange génétique précédent:

2020_Marchi_Figure3a.jpg, nov. 2020

Les deux génomes de chasseurs-cueilleurs de l'ouest de l'Europe (Bichon et Loschbour) montrent que ces individus appartiennent à deux populations dont les ancêtres ont divergé de la population de chasseurs-cueilleurs d'Europe du sud-est il y a environ 23.000 ans, avant de se séparer l'une de l'autre peu de temps après. Par contre les chasseurs-cueilleurs de Serbie se sont séparés de la population de chasseurs-cueilleurs d'Europe du sud-est il y a seulement 10.200 ans. Ainsi ces résultats suggèrent que la période glaciaire a fragmenté et isolé les populations de chasseurs-cueilleurs en Europe et au Proche-Orient.

En résumé, le scénario démographique esquissé par cette étude montre qu'il y a eu une première séparation de deux populations de chasseurs-cueilleurs en Europe et au Proche-Orient entre 31.000 et 21.000. Ensuite les populations occidentales ont subi un forte isolation et diminution de leur taille qui a diminué leur diversité génétique. Ces populations se sont ensuite encore fragmentées en au moins trois populations distinctes dont deux situées en Europe occidentale et une en Europe du sud-est au moment du maximum glaciaire. A l'inverse les populations du Proche Orient n'ont pas subi de goulot d'étranglement, mais se sont séparées en trois populations distinctes en Anatolie Centrale, au sud du Levant et en Iran de l'ouest.

Il y a environ 19.000 ans, les populations de chasseurs-cueilleurs d'Europe du sud-est et d'Anatolie se sont mélangées pour former la population ancestrale des premiers fermiers d'Anatolie puis d'Europe:

2020_Marchi_Figure4.jpg, nov. 2020