Le second millénaire av. JC. au Proche Orient est caractérisé par des échanges internationaux tant au niveau commercial qu'aux niveaux diplomatique et artistique, documentés par les vestiges archéologiques et les textes anciens. On a longtemps supposé que ces nombreux échanges étaient accompagnés de mouvements de personnes, bien qu'aucune étude directe n'a été faite sur le sujet. Tell Atchana (anciennement Alalakh) est situé dans la vallée de l'Amuq, dans le sud de la Turquie. C'était l'un des nombreux sites de la région entre 2000 et 1200 av. JC., mais néanmoins la capitale d'un petit royaume dont la diplomatie complexe montre que sa loyauté envers des entités plus importantes était changeante.

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Tara Ingman et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Human mobility at Tell Atchana (Alalakh) during the 2nd millennium BC: integration of isotopic and genomic evidence. Ils ont étudié la mobilité des individus enterrés sur le site archéologique de Tell Atchana en analysant les isotopes du strontium (n=53) et de l'oxygène (n=77), ainsi que le génome (n=9) des restes humains. Les neuf génomes obtenus se rajoutent aux 28 génomes de Tell Atchana, préalablement publiés dans une étude récente concernant le Proche Orient.

Les sépultures de Tell Atchana sont réparties dans des zones intra-murales (208) et d'autres extra-murales (134) en fonction de leur position par rapport à l'enceinte de la cité ancienne. La majorité d'entre elles sont individuelles. Les sépultures situées à l'intérieur de l'enceinte du palais royal sont les plus riches, suggérant une plus haute classe sociale. Il y a cependant une exception matérialisée par une sépulture multiple intrigante appelée le tombeau plâtré, située dans le cimetière extra-mural. Il est constitué de plusieurs couches de plâtre qui séparent des niches abritant les restes de quatre individus. Il s'agit de la sépulture la plus riche de Tell Atchana avec 13 céramiques et de nombreux objets de parure en différents matériaux: or, cornaline, verre, bronze et argent. Enfin un squelette attire l'attention car il a été trouvé dans le fond d'un puits sans sépulture apparente. Il s'agit du squelette d'une femme probablement assassinée et jetée dans un puits. Les datations radiocarbone de ses différentes sépultures sont situées entre 2000 et 1200 av. JC.

Les valeurs isotopiques des individus sont comparés aux valeurs locales. Il est donc important de bien étalonner ces valeurs locales. Pour le strontium ces valeurs sont déterminées par la géologie locale, alors que pour l'oxygène elles sont déterminées par l'eau bue. On peut les mesurer à partir d'animaux et plantes locales actuelles ou anciennes. De plus pour certains individus il est possible de comparer les valeurs isotopiques pour une dent qui a poussé durant son enfance et une autre qui a poussé à la fin de son adolescence. Des valeurs différentes mettront en évidence un éventuel mouvement de la personne entre son enfance et son âge adulte.

Les valeurs isotopiques de l'oxygène obtenues sur les individus de Tell Atchana sont comprises entre -7.3‰ et -3.2‰. Il n'y a pas de corrélation entre ces valeurs avec l'âge, le sexe, la sépulture (type, localisation, richesse) et la datation. Ces valeurs sont dans le même intervalle que les valeurs obtenues sur les échantillons de référence obtenus à partir d'animaux ou de plantes. Il n'y a donc pas d'individu étranger identifié à Tell Atchana par l'analyse isotopique de l'oxygène.

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Pour l'analyse isotopique du strontium, les petits animaux comme les mollusques et les rongeurs donnent une bonne estimation des valeurs locales car ils se déplacent peu. Les animaux plus gros comme le bétail ou les cerfs se déplacent plus loin et leur valeur isotopique peut refléter les valeurs isotopiques des régions alentours. Ainsi les valeurs obtenues pour ces animaux ont un intervalle de valeurs un peu plus important. Ces valeurs locales sont ainsi estimées comprises dans l'intervalle: (0,708085 - 0,708717) pour Tell Atchana et (0,707739 - 0,708868) pour la vallée d'Amuq. Ainsi pour les 53 anciens individus analysés, 40 sont dans l'intervalle local de Tell Atchana et 8 sont en dehors de cet intervalle mais néanmoins à l'intérieur de l'intervalle local pour la vallée d'Amuq. Seuls cinq individus peuvent être considérés comme non local: ALA110, ALA098, ALA037, ALA004 et ALA033. Ces cinq individus sont tous enterrés en dehors de l'enceinte de l'ancienne ville d'Alalakh. Deux de ces individus sont enterrés en sépulture secondaire d'une tombe principale. Un des individus non local (ALA110) montre une différence isotopique entre deux molaires M2 et M3 indiquant que cet individu est arrivé à Alalakh à la fin de son enfance:

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Les résultats génomique montrent que tous les individus testés constituent une population très homogène à l'exception d'un seul individu qui est la femme jetée dans le puits. Sur le schéma de l'Analyse par Composantes Principales montré ci-dessous, les individus de Tell Atchana se situent sur un gradient qui relie les populations actuelles d'Anatolie aux populations actuelles du Liban:

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De manière intéressante, la femme jetée dans le puits a toutes ses valeurs isotopiques correspondant à des valeurs locales. Donc, ou bien cette personne est étrangère, mais vient d'une région pour laquelle les valeurs isotopiques sont identiques à celles de la région de Tell Atchana, soit elle est née à Tell Atchana, mais ce sont ses parents qui ont migré pour venir à Tell Atchana.

Les auteurs ont ensuite montré que les anciens individus de Tell Atchana peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre plusieurs populations du Chalcolithique d'Anatolie, du Levant et d'Iran. La figure ci-dessous donne le résultat pour différentes populations du Proche-Orient: Kalehöyük en Anatolie, Alalakh, Ebla et Sidon:

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Les auteurs ont ensuite recherché les parentés éventuelles entre individus. Ils ont ainsi déterminé deux couples d'individus (ALA011-ALA123) et (ALA001-ALA038), comme parents au premier degré et une paire d'individu (ALA002-ALA038) comme parents au second degré. De manière intéressante les individus ALA001, ALA002 et ALA038 sont tous les trois situés dans le tombeau plâtré. Cette tombe est donc un tombeau familial. Elle contient deux hommes et deux femmes. Aucun de ces individus n'a le même haplogroupe mitochondrial. Par contre les deux hommes ont le même haplogroupe du chromosome Y: E1b. Ces résultats indiquent que les individus ALA001 et ALA038 sont un père et sa fille. L'individu ALA002 doit être un petit fils de ALA001 et le neveu de ALA038:

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Le mobilier archéologique de cette tombe et les datations radiocarbone montrent que ces individus sont décédés entre 1500 et 1450 av. JC.

Les deux autres individus: ALA011 et ALA123 sont deux petits garçons enterrés l'un à côté de l'autre: probablement deux frères.

Mise à jour

Ce papier a été définitvement publié en juin 2021: Human mobility at Tell Atchana (Alalakh), Hatay, Turkey during the 2nd millennium BC: Integration of isotopic and genomic evidence