La transition entre le Néolithique Final et l'Âge du Bronze est le témoin d'un important changement de population et de société en Europe occidentale. Elle inclut notamment une contribution génétique massive des pasteurs des steppes dans la population locale. Cette transition a été beaucoup documentée en Grande Bretagne, Irlande, dans la péninsule Ibérique, dans les Îles Méditerranéennes et en Allemagne, mais beaucoup moins en France.

Andaine Seguin-Orlando et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Heterogeneous Hunter-Gatherer and Steppe-Related Ancestries in Late Neolithic and Bell Beaker Genomes from Present-Day France. Ils ont séquencé le génome de 24 anciens individus situés sur cinq sites archéologiques de France datés entre la fin du Néolithique et l'Âge du Bronze. Il y a ainsi onze individus issus des deux hypogées du Mont Aimé (en orange ci-dessous) en région Parisienne, un individu issu du site archéologique du Mas Rouge (en bleu), trois de la grotte Basse de la Vigne Perdue (en violet), quatre de la grotte des Tortues (en vert) et six de la grotte du Rouquet (en rose) situés tous dans le sud-ouest de la France sur la côte Méditerranéenne:

2021_Orlando_Figure1.jpg, janv. 2021

Les haplogroupes mitochondriaux des 24 anciens individus sont très variés. Aucun individu a le même haplogroupe qu'un autre. A l'inverse une très grosse majorité des échantillons ont le même haplogroupe du chromosome Y: I2a1. Seul un individu du Néolithique Final est de l'haplogroupe H2a1 et un autre du Campaniforme est R1b:

2021_Orlando_TableS1.jpg, janv. 2021

L'haplogroupe I2a1 est issu des populations de chasseurs-cueilleurs. Ces résultats indiquent ainsi la persistance de cette lignée à cette époque et sa dominance en France durant le Néolithique Final. Cela suggère également la patri-localité des sociétés de cette époque.

Les auteurs ont également recherché d'éventuels liens de parentés entre ces anciens individus. Ainsi dans l'hypogée 2 de Mont-Aimé, un père (2H10) et son fils (2H17) sont également reliés à un troisième individu (2HxC5x196x1131) de manière plus lointaine. Ils partagent le même haplogroupe du chromosome Y. Il y a également un père (2H11) et sa fille (1H06), cette fois-ci sur les deux hypogées suggérant ainsi que les deux hypogées du Mont-Aimé ont été utilisées par le même groupe de gens. L'étude des deux individus du Mont-Aimé dont le génome est de très bonne qualité montre qu'il y avait très peu de consanguinité dans cette population et que la taille effective de ces populations étaient plus importante que la taille des communautés du Mésolithique.

Les auteurs ont également fait des études plus poussées sur ces deux individus dont le génome est de très bonne qualité: 2H10 et 2H11. Il sont ainsi pu estimer leur âge au moment du décès: 29 et 42 ans respectivement. Ils sont tous les deux intolérants au lactose. Ils avaient tous les deux les yeux marrons et les cheveux bruns. 2H11 avait la peau sombre alors que 2H10 avait la peau plus claire bien qu'encore foncée.

Les auteurs ont ensuite effectué une Analyse en Composantes Principales. Ainsi tous les individus du Néolithique Final sont localisés entre les chasseurs-cueilleurs de l'ouest (en bleu en bas à gauche ci-dessous) et les fermiers du Néolithique Ancien (en rouge foncé au centre):

2021_Orlando_Figure3A.jpg, janv. 2021

De manière intéressante, le père (2H11) et sa fille (1H06) du Mont-Aimé se situent proches des chasseurs-cueilleurs de l'ouest et du fermier du Néolithique Ancien de Pendimoun connu pour avoir un excès d'ascendance chasseur-cueilleur. Ces résultats sont confirmés par les statistiques f3 et D. Cette affinité génétique n'est pas partagée par les 16 autres anciens individus du Néolithique Final. L'analyse avec le logiciel ADMIXTURE indique que ces individus ont 57,5% et 65,7% d'ascendance chasseur-cueilleur. Ces résultats contrastent avec les 18,5 à 28,8% d'ascendance chasseur-cueilleur chez les autres anciens individus du Néolithique Final de France:

2021_Orlando_Figure4A.jpg, janv. 2021

Les auteurs ont ensuite estimé la date de mélange génétique fermier/chasseur-cueilleur chez les individus du Mont-Aimé. Pour tous les individus sauf le père et sa fille, la datation moyenne est d'environ 39,5 générations avant leur existence (4300 av. JC.) alors que pour le père et sa fille elle est respectivement de 6 (4100 av. JC.) et 17 générations (3800 av. JC.) plus récente. Ces résultats suggèrent de multiples contacts sporadiques avec les communautés de chasseurs-cueilleurs au cours du temps.

En plus des 18 anciens individus du Néolithique Final, cette étude inclut 4 Campaniformes et 2 individus de l'Âge du Bronze issus de la grotte des Tortues et de la grotte Basse de la Vigne Perdue. La PCA montre que les trois Campaniformes les plus anciens (avant 2500 av. JC.) se regroupent avec les individus du Néolithique Final. Par contre le dernier Campaniforme (GBVPK) et les deux individus de l'Âge du Bronze (GBVPO et TORTF) se regroupent avec les autres anciens individus de cette époque en France. Ils sont ainsi décalés vers les pasteurs des steppes. L'analyse avec le logiciel ADMIXTURE montre qu'ils ont entre 23,6 et 42,1% d'ascendance des steppes. Concernant les trois Campaniformes les plus anciens, ou bien ce sont des campaniformes très anciens (ce dont je doute) ou ce sont des individus non campaniformes intégrés dans la culture locale Néolithique Final (Vérazien). Les grottes funéraires sont des caveaux collectifs dans lesquels il est difficile de typer culturellement les sujets.

2021_Orlando_Figure4B.jpg, janv. 2021

Les auteurs ont ensuite estimé la date de mélange génétique avec l'ascendance des steppes chez ces individus. Elle est de 2650 av. JC., ce qui est plus ancien que les valeurs estimées pour la Grande Bretagne (2400 av. JC.) et la péninsule Ibérique (entre 2500 et 2000 av. JC.). Ces résultats ainsi que ceux obtenus par l'étude précédemment publiée par Brunel et al. indiquent une composition génétique complexe et variée chez les individus du Campaniforme du sud de la France.