L'Asie Centrale est une région au carrefour des routes migratoires humaines. La culture néolithique de Djeitun est remplacée au Chalcolithique par un réseau de villages plus dense et une agriculture irriguée. Durant l'Âge du Bronze le complexe Bactro-margien s'épanouit dans la région avec l'émergence de cités proto-urbaines. A la fin de l'Âge du Bronze la civilisation de l'Oxus subit d'importantes transformations avec l'abandon de sites d'habitats et d'une architecture monumentale, jusqu'à l'émergence de la culture de Yaz. Ensuite les conquêtes des Achéménides, des Grecs, des Parthes, des Sassanides et des Arabes venant de l'ouest et des Huns, des Xiongnus et des Mongoles venant de l'est ont contribué à l'héritage génétique des populations actuelles d'Asie Centrale.

Aujourd'hui la population de cette région est divisée culturellement en deux groupes distincts: les populations Turco-Mongoles formées de pasteurs semi-nomades dont l'ascendance génétique présente des affinités avec les populations est Asiatiques et Sibériennes, et les populations Tadjiks et Yaghnobis qui vivent dans le sud de l'Asie Centrale formées d'agriculteurs sédentaires qui parlent une langue Indo-Iranienne et qui, génétiquement, présentent une affinité avec les populations ouest Eurasiennes et Iraniennes. Les études précédentes laissent penser que les populations Indo-Iraniennes étaient présentes en Asie Centrale bien avant les populations Turco-Mongoles.

Perle Guarino-Vignon et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Genetic Continuity of Indo-Iranian Speakers Since the Iron Age in Southern Central Asia. Ils ont analysé les génomes de 16 populations actuelles d'Asie Centrale (une population Yaghnobi, quatre populations Tadjiks et onze populations Turco-Mongoles) pour les comparer à d'anciens génomes publiés précédemment d'Eurasie et à d'autres populations actuelles:

2021_GuarinoVignon_Figure1a.jpg, déc. 2021

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. La première composante sépare les Eurasiens de l'ouest (à gauche) des Eurasiens de l'est (à droite), la seconde composante sépare les Européens (en haut) des sud Asiatiques (en bas) et la troisième composante sépare les est Asiatiques des populations Sibériennes de la région Baïkale. Les populations actuelles Indo-Iraniennes se regroupent ensemble alors que les populations Turco-Mongoles s'étirent le long d'un gradient qui relie les populations Indo-Iraniennes aux populations de la région Baïkale.

Cependant une sous-structure apparaît parmi les populations Indo-Iraniennes puisque les Yaghnobis (TJY) sont plus proches des occidentaux et les Tadjiks (TJA, TJE, TAB) sont décalés vers les populations de la région Baïkale:

2021_GuarinoVignon_Figure1b.jpg, déc. 2021

Les anciens individus des steppes s'étirent sur un gradient situé entre les Européens et les est Asiatiques. Les anciens individus du sud de l'Asie Centrale s'étirent sur un gradient situé entre les fermiers d'Iran et les pasteurs des steppes de l'Âge du Bronze:

2021_GuarinoVignon_Figure1c.jpg, déc. 2021

L'analyse avec le logiciel ADMIXTURE montre que les populations actuelles Indo-Iraniennes présentent une composante vert foncé maximale chez les anciens fermiers d'Iran (37% chez les Yaghnobis et 25% chez les Tadjiks), une composante vert clair maximale chez les anciens chasseurs-cueilleurs d'Europe de l'est (13% chez les Yaghnobis et 10% chez les Tadjiks), une composante bleu foncé présente chez les Européens actuels et les anciens fermiers d'Anatolie (36% chez les Yaghnobis et 29% chez les Tadjiks) et une composante rouge maximale chez les anciens fermiers de la région Baïkale (7% chez les Yaghnobis et 14% chez les Tadjiks). Cette dernière composante est toujours présente à forte proportion (50%) chez les populations Turco-Mongoles d'Asie Centrale. Enfin les Tadjiks possèdent environ 4% de composante rose maximale chez les est Asiatiques et 8% de composante orange maximale chez les sud Asiatiques. Ces deux dernières composantes sont quasiment absentes chez les Yaghnobis:

2021_GuarinoVignon_Figure2.jpg, déc. 2021

De manière intéressante, les populations de l'Âge du Fer du sud de l'Asie Centrale (TurIA ci-dessus) ont un profil génétique similaire à celui des Yaghnobis. Les populations de l'Âge du Bronze des steppes ont également un profil similaire quoi qu’avec moins d'ascendance issue des fermiers d'Iran et plus d'ascendance issue des chasseurs-cueilleurs de l'ouest de l'Europe. En résumé, les populations actuelles Indo-Iraniennes du sud de l'Asie Centrale semblent intermédiaires entre les populations de l'Âge du Bronze du sud de l'Asie Centrale (BMAC) et des steppes, et identiques aux populations de l'Âge du Fer du sud de l'Asie Centrale. Les Tadjiks ont en plus un flux limité venu d'Asie du sud et d'Asie de l'est.

Ces résultats sont confirmés par les statistiques D et f3.

L'utilisation du logiciel qpAdm montre que les Yaghnobis possèdent environ 90% d'ascendance issue des anciens individus de l'Âge du Fer du sud de l'Asie Centrale. Le reste vient principalement de la région Baïkale. Les Tadjiks ont plus d'ascendance Baïkale et en plus un peu d'ascendance est et sud Asiatique. L'utilisation du logiciel DATES permet de dater le mélange génétique entre ascendance locale et ascendance orientale à environ 1000 ans pour les Yaghnobis et entre 900 et 550 ans pour les Tadjiks. L'arrivée de l'ascendance sud Asiatique chez les Tadjiks remonte à 950 ans.

Les études précédentes ont montré que la population de l'Âge du Fer du sud de l'Asie Centrale pouvait être modélisée comme issue d'un mélange génétique entre une population de l'Âge du Bronze Bactro-margien et une population de l'Âge du Bronze des steppes. Cependant les populations de l'Âge du Bronze de steppes sont très diverses génétiquement en fonction de leur localisation entre l'ouest et l'est. Ainsi les populations des steppes Centrales possèdent souvent des composantes est Sibérienne et est Asiatique qui sont absentes chez les populations des steppes occidentales. Bien que classifiées des steppes Centrales, les anciens individus des cultures Sintashta et Andronovo n'ont pas ces composantes orientales.

La statistique D montre que la population de l'Âge du Fer du sud de l'Asie Centrale est dépourvues de ces composantes orientales. Elle montre de plus que cette population peut être modélisée comme issue d'un mélange génétique entre une population BMAC (43%) et une une population Andronovo (57%).

Bien que parlant une langue Turco-Mongole et ayant une culture proches des autres groupes Turco-Mongols, les Turkmènes sont proches génétiquement des Tadjiks. Cela se voit notamment sur la PCA et l'analyse ADMIXTURE. En effet tous les groupes Turco-Mongols, sauf les Turkmènes possèdent plus d'ascendance orientale que les populations Indo-Iranniennes. Les Turkmènes sont très similaires génétiquement aux Tadjiks sans composante est ou sud Asiatique. Le logiciel qpAdm permet de modéliser la population Turkmène comme issue d'un mélange génétique entre les Tadjiks (94%) et la Horde d'or de Gengis Khan (6%). Le logiciel DATES estime la date de ce mélange à environ 700 ans en accord avec l'histoire. Ces résultats suggèrent que les Turkmènes sont probablement une population Indo-Iranienne qui a changé de culture et de langue à l'arrivée de populations orientales.

Mise à jour

Ce papier a été définitivement publié le 14 janvier 2022: Genetic continuity of Indo-Iranian speakers since the Iron Age in southern Central Asia