Localisées entre le Tigre et l'Euphrate, les collines de Haute Mésopotamie abritaient les premiers chasseurs-cueilleurs sédentaires qui ont construit la première structure monumentale de Göbekli Tepe entre 9600 et 8000 av. JC., et domestiqué de nombreuses plantes et animaux comme le petit épeautre, l'amidonnier, les moutons, les chèvres, les porcs et les bovins. La transition Néolithique en Asie du sud-ouest est bien documentée par les découvertes archéologiques. Les premières recherches de paléo-génétique dans la région ont montré que les anciennes populations d'Anatolie, des monts Zagros et du Levant sud sont génétiquement distinctes, qu'il y a une continuité génétique dans ces régions entre le Mésolithique et le Néolithique céramique, et des flux de gènes issus du Zagros et du Levant en Anatolie durant le Néolithique. Cependant peu de choses sont connues sur la structure des premières populations Néolithiques de Haute Mésopotamie.
Ezgi Altınışık et ses collègues viennent de publier un papier en preprint intitulé: A genomic snapshot of demographic and cultural dynamism in Upper Mesopotamia during the Neolithic Transition. Ils ont séquencé le génome de 13 anciens individus issus du site archéologique de Çayönü Tepesi situé en Haute Mésopotamie dans la haute vallée du Tigre. Ce site intègre une stratigraphie ininterrompue entre le Néolithique précéramique A (9500 av. JC.) et la fin du Néolithique précéramique (7000 av. JC.):
Ces 13 échantillons sont issus de six maisons datées du Néolithique précéramique B (PPNB):
Il y a 6 femmes adultes, 2 hommes adultes, 3 filles et 2 garçons. Les auteurs ont ensuite comparé ces génomes avec d'autres anciens génomes du croissant fertile à l'aide d'une étude multi-échelles. Tous les individus de Çayönü se regroupent entre eux à l'exception d'un outlier: cay008 qui est décalé vers les anciens individus du Caucase et des monts Zagros:
La statistique D suggère que les anciens individus de Çayönü sont plus proches génétiquement des anciens individus d'Anatolie et du Levant sud par rapport aux anciens individus des monts Zagros. De plus, l'utilisation du logiciel qpAdm montre qu'ils peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre des anciens Anatoliens (48%), des anciens individus des monts Zagros (33%) et des anciens individus du sud Levant (19%). L'outlier cay008 peut être modélisé comme issu d'un mélange génétique entre une population d'Anatolie (50%) et une population des monts Zagros (50%), ou bien une population de Çayönü (79%) et une population des monts Zagros (21%):
Ainsi les anciens fermiers Néolithiques de Çayönü ont des connections historiques et démographiques avec leurs voisins. Ces résultats sont confirmés par l'étude des vestiges archéologiques.
L'étude des segments d'homozygotie sur l'échantillon de Çayönü qui a la plus grande couverture génomique montre que la taille de ces segments est plutôt faible indiquant une population Néolithique relativement importante sur ce site, sans consanguinité importante, à l'inverse de ce qui a été observé en Anatolie Centrale sur les sites d'Aşıklı Höyük et Boncuklu Höyük.
Les auteurs ont ensuite recherché les éventuelles relations familiales entre les individus. Ils ont ainsi mis en évidence quatre paires de relation au premier, second et troisième degrés à l'intérieur de trois des maisons du site:
Notamment l'outlier cay008 qui est une fillette de 1,5 à 2 ans, est relié au troisième degré avec une femme adulte cay013. La comparaison des chromosomes X indique que cette relation est du côté paternel de cay008. Les auteurs supposent que cay003 était la grande tante paternelle de cay008. De plus l'haplogroupe mitochondrial de cay008: T2g est différent de l'haplogroupe mitochondrial de tous les autres individus: K1. Ainsi la forte proportion d'ascendance des monts Zagros de cay008 lui vient de sa mère.
D'autre part le crâne de cette fillette présente deux caractéristiques intéressantes: un aplatissement frontal lié à un processus de déformation du crâne par l'utilisation de bandages, et une cautérisation qui fait suite à une brûlure du crâne volontaire par un instrument. Cette cautérisation est associée à des lésions suite à un serpens endocrania symmetrica qui suggère que cette enfant a eu une infection. La cautérisation a pu être un moyen de traiter cette maladie.
Les auteurs ont ensuite investigué si la population de Çayönü pourrait être à l'origine de l'ascendance Iranienne dans la population Néolithique d'Anatolie d'après 7000 av. JC. Ainsi la statistique D montre que la population d'Anatolie d'après 7000 av. JC a plus d'affinité génétique avec l'ancienne population de Haute Mésopotamie que la population d'Anatolie d'avant 7000 av. JC. Cependant cette affinité génétique avec la population de Çayönü diminue à partir du Chalcolithique en Anatolie. Ces résultats suggèrent donc que la Haute Mésopotamie est vraisemblablement à l'origine du flux de gènes oriental qui apparait au Néolithique en Anatolie. Par contre ce flux de gène oriental qui continue après le Chalcolithique en Anatolie vient d'une autre région.
Mise à jour
Ce papier a été définitivement publié en novembre 2022: A genomic snapshot of demographic and cultural dynamism in Upper Mesopotamia during the Neolithic Transition
