Le nord ouest de la France inclut la Bretagne et l'estuaire de la Loire. La région est bordée au nord par la Manche et au sud par le golfe de Gascogne, et elle est traversée par la Loire, le plus grand fleuve de France. D'un point de vue linguistique, la région a été la scène de longs contacts entre les langues celtique et gallo-romane. Cette région est peuplée par les hommes modernes depuis l'époque Aurignacienne mais sa population est restée peu dense jusqu'au Néolithique Moyen au moment où le mégalithisme apparait dans les vestiges archéologiques. Le Néolithique de la région est issu principalement du courant Danubien et de la culture rubanée quoique la présence de poterie imprimée au coquillage existe au sud de la Loire, laissant la possibilité à une influence Méditerranéenne dans la néolithisation de la région, suggérant des interactions complexes entre chasseurs-cueilleurs et fermiers des deux courants Danubien et Méditerranéen. D'autre part les preuves archéologiques et génétiques suggèrent une forte connexion le long de la façade Atlantique entre le nord de la péninsule Ibérique et les îles Britanniques. Cette connexion Atlantique perdure au moment du Campaniforme avec la diffusion de la poterie de style maritime. Dans les îles Britanniques, l'arrivée du Campaniforme est associé à la diffusion de la métallurgie du cuivre et l'arrivée d'une nouvelle ascendance génétique associée aux pasteurs des steppes de la culture Yamnaya. En France l'apparition de cette ascendance génétique est également associée à la culture Campaniforme, bien qu'aujourd'hui peu d'échantillons soient disponibles. Ils sont même absents dans le nord-ouest de la France. Dans le nord de la France, l'Âge du Fer est caractérisé par une forte proportion d'ascendance des steppes. La Bretagne est appelée Armorique et, comme le reste de la Gaule, abrite de nombreuses tribus celtiques comme les Vénètes et les Osismes dans l'ouest de la France. Durant l'empire romain, la région voit l'apparition de villas et sanctuaires romains, mais l'influence romaine reste relativement faible. A partir du troisième siècle le déclin de l'empire romain laisse la place à de petits royaumes du bas Moyen-Âge. Son histoire est mal connue jusqu'à l'avènement des Carolingiens bien que des noms de lieux et la langue actuelle Bretonne suggèrent une connexion importante avec les Cornouailles et le Pays de Galles.

Isabel Alves et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Genetic population structure across Brittany and the downstream Loire basin provides new insights on the demographic history of Western Europe. Ils ont analysé le génome de 3234 individus de la Bretagne et des Pays de la Loire, dont le séquençage à haute couverture de 620 échantillons. A titre de comparaison, ils ont également analysé le génome de 236 individus d'autres régions françaises, et ajouté les génomes disponibles d'autres populations actuelles ou anciennes d'Europe.

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Enfin ils ont aussi analysé le génome de six anciens individus de l'ouest de la France dont deux individus (fra001 et fra004) de Rezé, banlieue de Nantes située au sud de la Loire datés entre l'an 340 et l'an 545, deux individus (fra016 et fra017) de la nécropole Mérovingienne de Chéméré situé au sud de la Loire datés entre 600 et 700, et enfin deux individus de la ville d'Angers située au nord de la Loire et datés le premier (fra009) entre 401 et 539 et le second (fra008) entre 943 et 1024:

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Les auteurs ont commencé par exploré la structure génétique de la population actuelle de l'ouest de la France à l'aide du logiciel: fineStructure. Ils ont ainsi mis en évidence 154 clusters différents dont 78 comportent moins de dix individus. C'est équivalent aux résultats précédemment publiés pour l’Espagne et le nombre de clusters est supérieur à celui trouvé pour la Grande Bretagne. A l'échelle la plus grossière, les auteurs ont identifié trois clusters principaux séparant l'ouest de la Bretagne, l'est de la Bretagne avec le nord des Pays de la Loire et le sud des Pays de la Loire:

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De manière intéressante cette répartition est équivalente à celle réalisée à partir de la distribution géographique des patronymes de la région.

A une échelle intermédiaire pour laquelle les auteurs identifient 18 clusters différents, l'ouest de la Bretagne se divise en quatre groupes, l'est de la Bretagne avec le nord des Pays de la Loire se divise en cinq groupes, alors que le sud des Pays de la Loire se divise en neuf groupes dont quatre pour seulement la petite région des Mauges située au sud de la Loire entre Nantes et Angers:

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Le groupe Maine-Anjou comprend le plus grand nombre d'individus (799) et couvre la plus grande région géographique. Il est suivi par le groupe Bretagne Centre qui comprend 344 individus et qui s'étire du nord au sud de la Bretagne. Au sud de la Loire les quatre groupes des Mauges: Mauges1, Mauges2, Mauges3 et Vendée Nord ont peu contribué génétiquement aux autres groupes et présentent une dérive génétique importante suggérant une plus grande isolation de ces régions. Ces résultats sont confirmés par l'analyse de l'identité par descente et des segments d'homozygotie qui suggèrent une plus faible population dans la région des Mauges. Une structure équivalente apparait pour l'ouest de la Bretagne pour des plus petits segments d'homozygotie suggérant une isolation et une plus faible population de la région à une date plus ancienne que pour les Mauges.

De manière intéressante les auteurs ont mis en évidence un parallèle entre le découpage des clusters génétiques et le découpage géographique suivant certaines caractéristiques linguistiques en Bretagne: h aspiré ou non, la consonne fricative alvéolaire sourde qui transforme le s en z, palatalisation du h en j. Il y a aussi un parallèle entre le découpage en clusters génétiques et le découpage en fonction de la fréquence des patronymes. En résumé on peut conclure que la langue a eu un impact sur la structure génétique de l'ouest de la France.

Les auteurs ont ensuite investigué l'influence des rivières sur la structure génétique. On a vu que la Loire est une frontière génétique importante puisqu'elle sert de frontière à tous les clusters qu'elle traverse. D'autre part, à l'ouest de la Bretagne, les clusters Léon et Cornouaille sont séparés de leurs voisins de l'est respectivement par les rivières Morlaix au nord et Laïta-Ellé au sud. De plus ils sont séparés l'un de l'autre par l'Aulne. Le cluster de Vannes est délimité à l'ouest par le Blavet et au nord par l'Oust. Le cluster Nantes est délimité au nord par le Semnon et à l'ouest par la Vilaine. Le cluster Malo-Rennais est délimité à l'ouest par le Gouessant, l'Yvel et l'Hivet et au sud par le Canut et le Semnon. Ces remarques suggèrent donc une influence importante des rivières sur la structure génétique du nord-ouest de la France

L'évolution de la taille de la population au cours du temps montre qu'au début de notre ère l'ouest de la Bretagne avait la population la plus faible. Cependant vers l'an mille la taille de cette région dépasse celle du groupe du sud de la Loire. Ainsi l'augmentation de la population a été plus précoce dans l'ouest de la Bretagne qu'au sud de la Loire. Cette dernière région voit d'abord une légère diminution de sa population entre 1300 et 1600 avant une forte augmentation de sa population uniquement durant les dix dernières générations. La diminution de la population entre 1300 et 1600 a déjà été observée dans d'autres régions et peut être associée aux épidémies de peste qui ont sévi en Europe à cette époque.

Les variants rares sont particulièrement informatifs pour investiguer la structure génétique de la population récente à petite échelle. Les auteurs ont utilisé pour cela les 620 séquençages à haute couverture. Pour un découpage en trois clusters, les trois départements Bretons les plus à l'ouest se regroupent dans le même cluster (bleu dans la figure ci-dessous). Pour un découpage en quatre clusters le sud de la Loire se regroupe pour former un seul cluster (rouge foncé):

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Les auteurs ont ensuite comparé les génomes du nord-ouest de la France avec ceux d'autres régions françaises. La figure ci-dessous à gauche montre une Analyse en Composantes Principales réalisée à partir des variants communs. Elle ne permet de différencier que les génomes Bretons. Par contre l'Analyse en Composantes Principales réalisée à partir des seuls variants rares (ci-dessous au centre) permet de mieux différencier les différentes régions françaises:

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Les auteurs ont ensuite comparé les génomes du nord-ouest de la France à d'autres génomes Européens. Les génomes français se positionnent sur un gradient reliant l’Europe du nord-ouest à l'Europe du sud-ouest, les génomes de Nouvelle Aquitaine étant proches de ceux de la péninsule Ibérique alors que les génomes Bretons sont proches de ceux des îles Britanniques. A l'inverse, les génomes du nord-est de la France sont décalés vers ceux d'Europe Centrale:

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Les auteurs ont ensuite analysé les six anciens génomes médiévaux de cette étude. Ils ont pour cela réalisé une Analyse en Composantes Principales. Un des six anciens individus (fra009) d'Angers se regroupe avec les populations d'Afrique du nord. Il s'agit donc d'un migrant. Les autres se positionnent à l'intérieur de la variation des populations françaises:

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Les analyses avec la statistique f4 et le logiciel qpAdm montrent qu'il y a une continuité génétique dans le nord-ouest de la France depuis le Moyen-Âge.

Les auteurs ont ensuite exprimé les populations françaises et les anciens individus du Moyen-Âge de cette étude en fonction des trois anciennes ascendances: chasseurs-cueilleurs (WHG), fermiers (EF) et pasteurs des steppes (SP). Les populations du nord: Hauts de France (HAU), Normandie (NOR), Bretagne est avec le nord des Pays de Loire (EBP) et Bretagne ouest (WBR) ont une proportion d'ascendance des steppes qui varie de 42 à 46%. Cette proportion est inférieure à 40% pour les régions plus au sud: Sud Loire (SLO), Nouvelle Aquitaine (NOU) ou plus à l'est: Grand Est (GRA).

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De manière intéressante les anciens individus du Moyen-Âge possèdent moins d’ascendance des steppes que les populations actuelles de la région, à l'exception d'un individu (fra016) de la nécropole Mérovingienne de Chéméré. D'autre part, les statistiques f3 et f4 montrent que les Bretons représentent la population française qui a le plus d'affinité génétique avec les anciens campaniformes.