Les modèles d'expression de la complexité du comportement humain au cours du Pléistocène supérieur (entre 125.000 et 12.000 ans) invoquent souvent le changement démographique. Vers 50.000 ans environ, les innovations technologiques et les comportements symboliques (tels que les ornements, les outils en os, les pigments et les microlithes) qui étaient présents plus tôt au Middle Stone Age (MSA) s'expriment de manière plus cohérente dans toute l'Afrique subsaharienne. Les archéologues appellent cela la transition vers le Later Stone Age (LSA). Vers 20.000 ans environ, ces composantes de la culture matérielle étaient presque omniprésentes, mais diversifiées au niveau régional. Une explication est que les gens ont commencé à vivre dans des groupes plus grands et/ou plus connectés, avec des variations de la taille de la population et de la connectivité entraînant des différences dans la culture matérielle à travers l'espace et le temps. Compte tenu de la variation morphologique parmi les squelettes du Pléistocène supérieur, les interactions peuvent avoir impliqué des populations profondément structurées, conformément à certains modèles d'histoire de population basés sur la génétique.

Par rapport à d'autres pays, en particulier en Europe, il y a eu peu d'études génomiques sur les anciennes populations africaines. Les génomes anciens précédemment disponibles sur des chasseurs-cueilleurs d'Afrique subsaharienne, bien qu'ils soient relativement récents (moins de 9000 ans), fournissent la preuve d'une structure génétique ancienne qui a depuis été perturbée par des transformations démographiques (telles que la propagation du néolithique, ou bien le colonialisme, l'impérialisme, l'esclavage et la réorganisation sociopolitique moderne). La structure des populations anciennes ne peut pas être solidement reconstruite sur la base des seules données génétiques des populations d'aujourd'hui.

Mark Lipson et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient DNA and deep population structure in sub-Saharan African foragers. Ils ont séquencé le génome de six anciens individus issus de cinq abris sous roche associés à la technologie LSA: Kisese II (7.240 à 6.985 ans) et Mlambalasi (20.000 à 17.000 ans) en Tanzanie, Fingira (entre 6.200 et 2.300 ans) et Hora 1 (le premier entre 17.000 et 14.000 ans et le second entre 9.090 et 8.770 ans) en Malawi, et Kalemba (5.280 à 4.880 ans) en Zambie. Ces données ont été ajoutées aux génomes précédemment obtenus pour 28 anciens individus d'Afrique subsaharienne datés des 8000 dernières années:

2022_Lipson_Figure1a.jpg, fév. 2022

Les quatre hommes de cette étude appartiennent à l'haplogroupe du chromosome Y: B2. Parmi les 23 anciens individus Africains dont on connait l'haplogroupe mitochondrial, 14 originaire principalement du Kenya et de Tanzanie, ont un lignage maternel associé à l'Afrique de l'est, et huit originaire du Malawi et de Zambie ont un lignage maternel associé à l'Afrique du sud. Un individu (peut-être deux) a un lignage maternel issu des chasseurs-cueilleurs actuels d'Afrique centrale (Mbuti et Aka). Dans la table ci-dessous, les six nouveaux individus de cette étude ont un identifiant sur fond vert:

2022_Lipson_TableE1.jpg, fév. 2022

Ces résultats suggèrent que l'Afrique de l'est et le sud de l'Afrique centrale abritaient différents groupes de chasseurs-cueilleurs et formaient une région d'interactions entre différents groupes dont les territoires étaient plus étendus qu'actuellement.

Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales incluant trois groupes actuels de chasseurs-cueilleurs: les Juǀ'hoansi (San) d'Afrique du sud, les Mbuti d'Afrique centrale et les Dinka d'Afrique du nord est, et les anciens individus d'Afrique subsaharienne:

2022_Lipson_Figure1b.jpg, fév. 2022

En accord avec les études précédentes on observe un ancien gradient latitudinal d'ascendance génétique qui s'étend au nord de l'individu de Mota d’Éthiopie jusqu'aux anciens individus d'Afrique du sud vieux de 2000 ans. Les nouveaux individus se regroupent généralement avec leurs voisins géographiques, mais étendent la documentation du gradient à la fois géographiquement (au sud-ouest jusqu'à Kalemba) et temporellement (jusqu'à un maximum d'environ 18 à 16.000 ans, sans sous-groupes temporels apparents). Les auteurs ont mis en évidence une déviation de ce gradient vers les anciens individus du Cameroun et les pygmées actuels d'Afrique centrale.

L'utilisation du logiciel qpWave montre qu'il est nécessaire de prendre trois sources d'ascendance génétique pour pouvoir modéliser correctement les anciens individus d'Afrique subsaharienne.

Les auteurs ont ensuite construit des graphes de modélisation des ascendances génétiques des anciens chasseurs-cueilleurs d'Afrique subsaharienne. Ces résultats confirment l'existence de trois sources génétiques: une liée à l'ancien individu de Mota situé dans le nord de l'Afrique de l'est (en orange ci-dessous), une liée aux chasseurs-cueilleurs d'Afrique centrale (en noir) et une liée aux chasseurs-cueilleurs d'Afrique du sud (en rouge):

2022_Lipson_Figure2.jpg, fév. 2022

Les anciens individus de l'ouest du Kenya I8808 et NYA002 peuvent être modélisés de la façon suivante: 62% d'ascendance Mota, 19% d'ascendance d'Afrique centrale et 19% d'ascendance d'Afrique du sud. Les anciens individus du nord de la Tanzanie de la façon suivante: 54% d'ascendance Mota, 12% d'ascendance d'Afrique centrale et 34% d'ascendance d'Afrique du sud. Les trois anciens individus de la côte est Africaine de la façon suivante: 49% d'ascendance Mota, 12% d'ascendance d'Afrique centrale et 39% d'ascendance d'Afrique du sud. Enfin les anciens individus du Malawi et de Zambie de la façon suivante: entre 20 et 30% d'ascendance Mota, entre 5 et 10% d'ascendance d'Afrique centrale et entre 60 et 70% d'ascendance d'Afrique du sud:

2022_Lipson_Figure3.jpg, fév. 2022

Les auteurs ont ensuite investigué les tailles des anciennes populations de chasseurs-cueilleurs d'Afrique subsaharienne à l'aide de la longueur des segment d'homozygotie. Cette taille dépend principalement de la densité de la population et des distances des interactions sociales du groupe qui conduisent à la reproduction. Cette taille varie entre 5470 pour la population de Mota, 2640 pour la population de Kisese II en Tanzanie et 377 pour la population de Jawuoyo au Kenya. Ces valeurs sont proches des tailles des populations actuelles des chasseurs-cueilleurs subsahariens qui varient entre 500 et 1500.

Les auteurs ont également montré que pour ces anciens individus d'Afrique, plus ils sont proche géographiquement, plus ils sont également proches génétiquement. Ces résultats suggèrent que les migrations étaient relativement rares à la fin du Pléistocène et au début de l'Holocène entre 20.000 et 5000 ans. Quoiqu'il n'est pas possible de déterminer la date précise de mise en place de ce gradient à trois sources génétiques en Afrique, elle est sûrement plus récente que la date de divergence de l'ascendance liée à l'individu de Mota qui est estimée entre 80 et 60.000 ans, et semble correspondre à l’avènement de nouvelles technologies qui apparaissent en Afrique il y a 50.000 ans et donc à la transition vers le Later Stone Age. A cette époque, les populations devaient se déplacer sur de longues distances.