Le plateau Tibétain est caractérisé par une faible pression atmosphérique, un terrain difficile, des températures froides et une faible productivité biologique. Malgré ces contraintes, les Tibétains se sont adaptés à cet environnement et vivent sur le plateau depuis des millénaires. Les données archéologiques ont montré la présence des Denisoviens depuis au moins 160.000 ans jusqu'à il y a environ 60.000 ans. L'homme moderne est attesté sur le site de Nywa Devu depuis 30 ou 40.000 ans. Certains archéologues suggèrent que l'habitation permanente du plateau Tibétain remonte entre 12.700 et 7400 ans par des chasseurs-cueilleurs, alors que d'autres pensent qu'il n'a pas eu lieu avant l'arrivée des premiers fermiers il y a seulement 3600 ans. Ce dernier modèle est basé sur l'arrivée d'une population Néolithique en provenance du nord-est du plateau. Les premières données génétiques basées sur des populations contemporaines ou des squelettes anciens suggèrent un peuplement du plateau Tibétain en plusieurs phases: des populations de chasseurs-cueilleurs du Pléistocène intégrant des flux de gènes de populations archaïques suivies par l'arrivée de populations Néolithiques en provenance du nord-est apportant une agriculture basée sur la culture de l'orge. Cette agriculture est pratiquée au nord-est du Tibet par les populations de la culture Qijia entre 2300 et 1800 av. JC. Ces événements ont été suivis par des mouvements démographiques aux périodes historiques comme l'expansion de l'empire Tibétain entre le 7ème et le 9ème siècles de notre ère.
Chi-Chun Liu et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient genomes from the Himalayas illuminate the genetic history of Tibetans and their Tibeto-Burman speaking neighbors. Ils ont séquencé le génome de 38 squelettes issus de sept sites archéologiques de l'Himalaya situés dans les districts de Mustang et Manang (MMD) du nord du Népal et datés entre 1420 av. JC. et 650 ap. JC.: Suila (n=1), Lubrak (n=2), Chokhopani (n=3), Rhirhi (n=4), Kyang (n=7), Mebrak (n=9) et Samdzong (n=12). Sur ces 38 échantillons, 31 sont nouveaux alors que 7 ont été publiés dans une étude précédente:
Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales pour comparer ces anciens génomes à ceux des populations actuelles d'Asie de l'est. La figure ci-dessous montre que les populations actuelles se répartissent sur une figure formée par trois gradients qui se rejoignent au centre: le premier correspond aux Chinois du sud et aux Asiatiques du sud-est à gauche, le second aux Asiatiques du nord-est en haut à droite et le troisième aux populations Tibéto-birmanes en bas à droite. Tous les anciens génomes de l'Himalaya (en rouge ci-dessous) se regroupent sur le gradient des populations Tibéto-birmanes:
La statistique f3 montre que les anciens individus de l'Himalaya ont le plus d'affinité génétique les uns avec les autres devant les populations actuelles du Tibet, puis les Tibéto-birmans de basse altitude comme les Naxi, Yi du sud de la Chine et Naga d'Inde du nord-est. Ces résultats sont confirmés par l'analyse des haplogroupes uni-parentaux. Ainsi 13 des 14 hommes sont de l'haplogroupe du chromosome Y: O2a-M117 et parmi eux 12 sont de la sous-clade: O2a-CTS5308. Cette dernière branche est trouvée aujourd'hui principalement chez les Tibétains et les Sherpas alors que sa branche sœur: O2a-Z25929 est trouvée aujourd'hui principalement au sud de la Chine et au nord-est de l'Inde. L'haplogroupe O2a-M117 s'est formé entre 7000 et 5000 ans et a été interprété comme associé à la diffusion des langues Sino-tibétaines originaire du nord de la Chine. Notamment l'haplogroupe O2a-M117 a été trouvé également dans les cultures néolithiques du haut bassin du fleuve jaune Yangshao et Qijia. Il semble donc que la majorité des anciens hommes du Népal soient issus de ces cultures néolithiques. L'autre homme est de l'haplogroupe D1a qui est également fréquent aujourd'hui au Tibet. Les haplogroupes mitochondriaux des anciens individus de l'Himalaya sont beaucoup plus diversifiés, mais sont présents également dans les populations actuelles de cette région.
Bien que proches génétiquement les uns des autres, les anciens individus de l'Himalaya montrent une certaine hétérogénéité à petite échelle. Ainsi les statistiques f3 et f4 montrent que tous les anciens individus de l'Himalaya sont plus proches de l'ancien individu de Lubrak et moins proches des anciens individus de Chokhopani. Ceci est également vrai pour les populations actuelles du Tibet et des Sherpas du Népal. A l'inverse, tous les individus de basse altitude d'Asie de l'est sont à égale distance génétique des individus de Lubrak et de Chokhopani. Le logiciel qpWave montre que tous les anciens individus de l'Himalaya sauf ceux de Chokhopani, peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre l'ancien individu de Lubrak et une population d'Asie du sud. Pour les anciens individus de Chokhopani, il faut considérer un mélange génétique entre l'ancien individu de Suila (le plus ancien) et une forte proportion d'une population d'Asie du sud (entre 31 et 40%). Ce dernier mélange génétique est daté entre 2800 et 1500 av. JC.
Les données archéologiques montrent que les populations Néolithiques du haut bassin du fleuve jaune ont exercé une influence culturelle majeure sur la néolithisation du plateau Tibétain. Cette région a également été proposée comme l'origine des langues Sino-tibétaines. De manière intéressante, ces populations montrent également le plus affinité génétique avec les anciens individus de l'Himalaya. Cela inclut notamment des anciens individus de la culture Qijia, ainsi que des anciens individus des sites archéologiques de Shengedaliang dans la province chinoise du Shaanxi et de Miaozigou en Mongolie. Ces trois anciennes populations ont un profil génétique similaire avec 80% d'ascendance issue de la culture Yangshao et 20% d'ascendance des Anciens Asiatiques du nord-est proches des anciens individus du site archéologique de la grotte Devil’s Gate:
Les anciens individus de l'Himalaya possèdent entre 80 et 92% d'ascendance issue des anciennes populations du haut bassin du fleuve jaune de la fin du Néolithique. Le reste est issu d'une vieille branche issue de la séparation entre Eurasiens de l'est et Eurasiens de l'ouest, mais distinctes des branches liées aux anciens individus de Ust’-Ishim vieux de 45.000 ans et de Tianyuan vieux de 40.000 ans. Cette vieille branche est pour le moment non identifiée dans les données actuelles de paléo-génétique.
Si les Tibétains et Sherpas sont arrivés dans l'Himalaya par la route du nord-est, une étude de génétique précédente a proposé que les populations Tibéto-birmanes de moyenne altitude sont arrivées par une route située plus au sud. Pour investiguer l'histoire de ces populations, les auteurs les ont modélisé à partir de deux sources génétiques: les Tsum population Tibétaine du Népal et les anciennes populations néolithiques du haut bassin du fleuve jaune (Upper_YR_LN). Le résultat montre que les populations Tibétaines forment un gradient génétique. Ainsi les Tibétains Népalais possèdent entre 87 et 92% d'ascendance Tsum. Les Tibétains proches de l'Himalaya possèdent entre 76 et 86% d'ascendance Tsum. Enfin les populations Tibétaines situées plus à l'est ou au nord-est possèdent une plus forte proportion d'ascendance néolithique du haut bassin du fleuve jaune (entre 21 et 58%). Les extrémités de ce gradient étaient déjà présentes vers 1420 av. JC. et le processus de mélange génétique entre ces deux pôles a du avoir lieu durant les siècles suivants.
Les auteurs supposent que les autres populations Tibéto-birmanes (non Tibétaines) ont suivi une route située plus au sud autour du plateau Tibétain à partir de la région où se trouvent les Naxi et les Yi du sud de la Chine. Ces deux populations ont un profil génétique proche des populations du bassin du fleuve jaune du Néolithique Moyen (YR_MN), et distinctes des populations néolithiques du haut bassin du fleuve jaune (Upper_YR_LN). Les Naga du nord-est de l'Inde possèdent entre 68 et 78% d'ascendance YR_MN et entre 22 et 32% d'ascendance Tibétaine. Enfin les populations Tamang et Gurung de moyenne altitude du sud de l'Himalaya possèdent entre 60 et 63% d'ascendance Tibétaine, ainsi qu'un flux de gènes issu d'Asie du sud (9 à 19%) représenté dans la figure ci-dessus par une composante Pulliyar en rouge. Ce mélange génétique à trois sources fonctionne également pour les groupes Tibéto-birmans du Bhoutan.
Génomes anciens dans l'Himalaya
dimanche 13 mars 2022. Lien permanent ADN ancien
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