La transition de la chasse et la cueillette vers l'agriculture et l'élevage représente un des plus dramatiques changements de mode de vie dans l’évolution de l'humanité. En effet, pendant des millions d'années nos ancêtres ont survécu grâce à la chasse et la cueillette. Il y a environ 12.000 ans dans le croissant fertile du Proche Orient, la culture des plantes et la domestication des animaux se sont développées. Cela a conduit les populations vers un mode de vie plus sédentaire, un accroissement de la population et une complexité sociale plus forte. Ces populations se sont ensuite dispersées en Europe et en Asie du sud-ouest dans les millénaires suivants. Ce mode de vie est également apparu de manière indépendante dans d'autres points du globe. Aujourd'hui la moitié de la surface de la Terre est utilisée pour l'agriculture.

Morten Allentoft et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Population Genomics of Stone Age Eurasia. Ils ont séquencé le génome de 317 anciens individus répartis sur une large part de l'Eurasie, principalement du Mésolithique et du Néolithique. Si la plupart de ces échantillons sont datés entre 11.000 et 3000 ans, le plus vieil individu date de 27.500 ans au Paléolithique Supérieur:

2022_Allentoft.Figure1A.jpg, mai 2022

Ces individus peuvent être divisés en trois régions principales: l'Europe occidentale, du nord et centrale, l’Europe de l'est incluant la Russie de l'ouest et l'Ukraine, l'Oural et la Sibérie de l'ouest. L'échantillonnage est particulièrement dense au Danemark où les auteurs présentent une centaine d'individus datés entre le début du Mésolithique et l'Âge du Bronze.

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous, le schéma de gauche donne le résultat pour tous les échantillons d'Eurasie et d'Amérique alors que le schéma de droite se restreint à l'ouest de l'Eurasie:

2022_Allentoft.Figure1C.jpg, mai 2022

Ce papier présente le génome de 113 chasseurs-cueilleurs dont 79 ont été séquencés dans cette étude. Le plus ancien est un chasseur-cueilleur de la grotte Kotias Klde en Géorgie dans le Caucase daté de 27.500 ans. Sur la PCA il occupe une position différente des autres anciens individus de cette époque, déplacé sur la première composante vers les Eurasiens occidentaux. La modélisation a montré qu'il possède 76% d'ascendance des chasseurs-cueilleurs occidentaux et 24% d'ascendance Basal Eurasian. Ces modélisations montrent également que cet individu a joué un rôle important dans la formation des populations d'Eurasie occidentale plus récentes.

Les auteurs ont également fait une analyse avec le logiciel ADMIXTURE. Ils ont identifié un ensemble de douze sources ancestrales potentielles. La figure ci-dessous montre que l'ascendance des chasseurs-cueilleurs du sud de l'Europe (Italy_Mesolithic: composante orange) domine partout en Europe occidentale, notamment au Danemark:

2022_Allentoft.Figure2A.jpg, mai 2022

A l'inverse en Europe de l'est et du nord l'ascendance des chasseurs-cueilleurs du nord-ouest de la Russie domine (composante violette). Dans un corridor qui rejoint le sud-est de l'Europe aux pays Baltes et au sud de la Scandinavie, l'ascendance des chasseurs-cueilleurs d'Ukraine domine (composante rose). Ces résultats sont résumés dans la figure ci-dessous:

2022_Allentoft.Figure2B.jpg, mai 2022

Ils suggèrent ainsi la migration vers le nord d'au moins trois vagues de migration de chasseurs-cueilleurs vers la Scandinavie. Ces mouvements correspondent probablement à des repeuplements post-glaciaires à partir des refuges glaciaires.

Dans la péninsule Ibérique le plus ancien individu est issu du site de Santa Maira situé dans l'est de l'Espagne et date de 9200 ans. Son ascendance est majoritairement issue des chasseurs-cueilleurs du sud de l'Europe avec un peu de composante des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique Supérieur (en noir). A l'inverse, les individus plus récents de cette région ont une composante est Européenne: 30 à 40% d'ascendance des chasseurs-cueilleurs d'Ukraine. Le plus ancien de ces individus est celui du site de l'abri sous roche d'El Mazo en Asturies et date de 8200 ans.

Dans le sud de la Suède, il y a plus de composante des chasseurs-cueilleurs du sud de l'Europe à la fin du Mésolithique sur la côte que les individus plus anciens situés dans les terres. Ce résultat suggère ou bien une structure génétique dans ce pays ou bien une migration vers l'est en provenance du Danemark à la fin du Mésolithique. Une hausse de la composante des chasseurs-cueilleurs du sud de l'Europe en Ukraine après le Mésolithique suggère également une migration vers le sud-est de l'Europe. De manière intéressante, deux anciens individus de la région du Don Moyen dans les steppes Ponto-Caspiennes datés de 7300 ans possèdent entre 20 et 30% de leur ascendance issue des chasseurs-cueilleurs du Caucase. La PCA ci-dessus indique que plusieurs échantillons du même site s'étirent sur un gradient reliant les chasseurs-cueilleurs Européens aux chasseurs-cueilleurs du Caucase. Le mélange génétique commence ainsi dans la région des steppes bien avant l’établissement des cultures nomades:

2022_Allentoft.Figure3A.jpg, mai 2022

Les auteurs ont mis en évidence de profondes différences spatio-temporelles dans les dynamiques de la Néolithisation de l'Europe. Il y a notamment une importante distinction est/ouest le long d'une frontière qui relie la mer Noire à la mer Baltique. A l'ouest de cette ligne, la transition Néolithique est accompagnée par des remplacements à grande échelle de la composante ancestrale des populations d'une composante chasseurs-cueilleurs locale vers une composante Anatolienne. Ce remplacement a duré en tout trois mille ans selon la région considérée entre les Balkans et le Danemark. A l'est de cette ligne, aucun remplacement de population est observé jusque vers 3000 av. JC. sans influx génétique venu d'Anatolie. Cette continuité génétique est remarquable en accord avec les preuves archéologiques montrant la persistance d'une céramique utilisée par des groupes de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs et le retard de l'introduction de l'agriculture et de l'élevage dans cette région. A partir de 3000 av. JC. une composante ancestrale apparait dans les steppes associée à la culture Yamnaya, avant de se diffuser dans toute l'Europe du 3ème millénaire av. JC. via les cultures Cordée et Campaniforme. Les auteurs ont montré que cette composante ancestrale est composée de 65% d'ascendance issue des chasseurs-cueilleurs de la région du Don Moyen et 35% d'ascendance issue des chasseurs-cueilleurs du Caucase. Ainsi les chasseurs-cueilleurs de la région du Don Moyen qui incluaient déjà une certaine proportion de composante issue des chasseurs-cueilleurs du Caucase, ont servi de source génétique pour les individus de la culture Yamnaya. Ces individus sont issus du site archéologique de Golubaya Krinitsa et datés entre 5400 et 5000 av. JC. La culture archéologique de ce site est proche de celle de la nécropole de Marioupol, mais leur profil génétique est différend comme on peut le voir sur la figure ADMIXTURE ci-dessus (voir Russia_Neolithic_MiddleDon).

La transition génétique liée à l'arrivée des populations des steppes en Europe a marqué différemment le continent d'une région à l'autre. La contribution des fermiers locaux est élevée en Europe de l'est, de l'ouest et du sud. Elle est ainsi supérieure à 50% dans la péninsule Ibérique. La Scandinavie cependant diffère complétement avec un remplacement quasi complet de l'ascendance des fermiers locaux par une source issue de la culture des amphores globulaires. De manière intéressante, une fois l'ascendance des steppes arrivée en Europe, celle-ci se propage partout accompagnée par une faible proportion d’ascendance issue des fermiers de la culture des amphores globulaires. Cette découverte est importante dans la compréhension de l'émergence de la culture Cordée dans une une zone d'interactions entre les individus de la culture Yamnaya et ceux de la culture des amphores globulaires.

Les auteurs ont apporté de nombreux nouveaux échantillons au Danemark entre le début du Mésolithique et l'Âge du Bronze. Durant le Mésolithique, les individus montrent une ascendance stable issue majoritairement des chasseurs-cueilleurs d'Europe du sud pendant 5000 ans. L'unique haplogroupe du chromosome Y est I2. La couleur bleue des yeux et la couleur sombre des cheveux prédominent durant toute cette période. Si les plus anciens individus du Mésolithique du Danemark ont une diète liée à la chasse, cela change par la suite et cette population a de plus en plus accès aux ressources marines. L'analyse des isotopes du strontium montre que ces populations bougeaient peu à cette époque. L'arrivée du Néolithique indique un changement profond de la population du Danemark avec très peu de contribution de la population de chasseurs-cueilleurs locaux. La diète change également brutalement et revient à une consommation purement terrestre. La proportion de cheveux de couleur plus claire augmente fortement au Néolithique dans la population du Danemark:

2022_Allentoft_Figure4.jpg, mai 2022

Le Néolithique au Danemark dure seulement 1000 ans avant l’arrivée de la culture Cordée et de l'ascendance des steppes. Cela se traduit archéologiquement par l'apparition des poignards en silex de la fin du Néolithique. Génétiquement cela se traduit également par l'apparition de l'haplogroupe du chromosome Y: R1 et l'augmentation de la taille de la population. Par contre il n'y a pas de changements de la diète qui reste essentiellement terrestre. L'analyse précise de cette transition montre qu'entre 2650 et 2350 av. JC., les individus ont une forte proportion des steppes et les hommes sont de l'haplogroupe du chromosome Y: R1a. Ensuite entre 2350 et 1850 av. JC. les individus se regroupent sur la PCA avec les populations d'Europe Centrale et de l'ouest et les hommes sont en majorité de l'haplogroupe R1b-L51. Enfin à partir de 1850 av. JC., durant l'Âge du Bronze, l'haplogroupe du chromosome Y: I1 apparait.

Les auteurs ont analysé le génome de 38 anciens individus situés à l'est de l'Oural dont 28 sont des chasseurs-cueilleurs associés à de la céramique datés entre 8300 et 5000 ans. Leur ascendance génétique est issue de trois sources principales: les chasseurs-cueilleurs de l'ouest de la Sibérie, les chasseurs-cueilleurs du nord-est de l'Asie (bassin de la rivière Amour) et les Paléo-Sibériens. Les données mettent en évidence un remplacement génétique à la fin du Néolithique et au début de l'Âge du Bronze dans la région du lac Baïkal. Les hommes de cette région appartiennent principalement à l'haplogroupe du chromosome Y: Q1. Les auteurs ont également étudié les anciens individus de la culture Okunevo de l'Âge du Bronze située dans la dépression de Minoussinsk située dans le sud de la Sibérie. Ils dérivent génétiquement de deux groupes: les chasseurs-cueilleurs des steppes boisées de Sibérie et les pasteurs des steppes. Ce mélange génétique est daté d’environ 4600 ans en accord avec l'arrivée de la culture Afanasievo dans la région. A partir de 1750 av. JC., il y a un nouveau remplacement de populations qui fait suite aux expansions des cultures Sintashta et Andronovo:

2022_Allentoft_Figure3b.jpg, mai 2022

Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel ChromoPainter pour investiguer la distribution des différentes composantes préhistoriques d'Eurasie dans les populations actuelles. Ils ont pour cela utilisé la base de données de la UK BioBank qui contient également des individus non Britanniques. Ils ont ainsi obtenu le génome de 24.511 individus issus de 126 pays différents. Les résultats obtenus sont schématisés ci-dessous. Les cinq cartes donnent respectivement les proportions d'ascendance fermiers d'Anatolie (en marron), pasteurs des steppes (en violet), chasseurs-cueilleurs de l'ouest (en vert), chasseurs-cueilleurs de l'est (en bleu) et chasseurs-cueilleurs du Caucase (en marron tout en bas):

2022_Allentoft_Figure5.jpg, mai 2022

Mise à jour

Ce papier a été définitivement publié en janvier 2024: Population genomics of post-glacial western Eurasia