Le travail des anciens écrivains a fourni des aperçus du monde antique, des informations sur différents groupes, leur organisation politique, leurs coutumes, leurs relations et les conflits militaires. Cette tradition a ensuite été complétée par les fouilles archéologiques et a permis d'affiner nos connaissances sur ces anciennes civilisations.

Iosif Lazaridis et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: A genetic probe into the ancient and medieval history of Southern Europe and West Asia. Ils ont exploité les résultats de la paléo-génétique afin de fournir une troisième source d'informations sur les populations des états et empires du passé afin de compléter les informations fournies par les anciens textes et par l'archéologie. Cette étude est un complément au travail de paléo-génétique portant sur les populations de l'Arc sud.

Un travail précédent a montré que les civilisations de l'Âge du Bronze de Grèce et de Crète (Mycéniens et Minoens) étaient peuplées par des populations génétiquement similaires dont la majorité de leur ascendance était issue des fermiers Néolithiques de la région, eux-mêmes reliés aux anciens fermiers d'Anatolie. Néanmoins les Mycéniens et les Minoens avaient en plus une ascendance issue du Caucase. Ces deux populations différaient également car les Mycéniens avaient une part d'ascendance issue des steppes inexistante chez les Minoens. Le travail actuel a permis d'étendre l’échantillonnage génomique de la région. Notamment des anciens individus du palais de Nestor à Pylos dont le fameux guerrier au griffon ont été analysés:

2022_Lazaridis3_Figure1A.jpg, sept. 2022

Les auteurs ont décomposé ces génomes en fonction de cinq sources: les chasseurs-cueilleurs du Caucase (CHG), les chasseurs-cueilleurs de l'Europe de l'est (EHG), les fermiers pré-céramiques du Levant, les chasseurs-cueilleurs des Balkans et les fermiers du nord-ouest de l'Anatolie. La figure C ci-dessous montre que tous les fermiers de Grèce, même ceux du nord, ont une certaine proportion d'ascendance du Caucase:

2022_Lazaridis3_Figure1C.jpg, sept. 2022

En fait les ascendances du Caucase et des chasseurs-cueilleurs de l'est de l'Europe augmentent pendant l'Âge du Bronze en même temps que l'ascendance des fermiers d'Anatolie diminue. Ainsi les Mycéniens possèdent 21,2% d'ascendance CHG et 4,3% d'ascendance EHG (voir également la figure H ci-dessus). Sachant que les populations des steppes avaient autant d'ascendance CHG que d'ascendance EHG, les migrants venus des steppes se sont mélangés avec une population dont la composition génétique avait environ 18,5% d'ascendance du Caucase. Or il se trouve que la population Minoenne avait environ 18,3% d'ascendance CHG. Ainsi ces résultats suggèrent que la population Mycénienne était formée par un mélange génétique entre une population issue des steppes (9%) avec une population proche génétiquement de la population Minoenne (91%) qui devait correspondre au substrat local de la Grèce continentale. Ainsi l'apport des pasteurs des steppes à la population Mycénienne est restée quantitativement mineure par rapport à d'autres populations: environ un tiers de sa contribution dans les Balkans, la moitié de sa contribution en Arménie et entre un cinquième et un huitième de sa contribution en Europe Centrale et du nord via les cultures cordée et campaniforme. D'autre part, la proportion d'ascendance EHG (comme marqueur génétique des steppes) en Crète est nulle. Elle est également absente chez certains individus Mycéniens indiquant ainsi une pénétration de la composante des steppes inégale en Grèce continentale. Ainsi le guerrier au griffon n'avait pas d'ascendance des steppes. Il était probablement d'origine entièrement locale.

Les auteurs ont identifié quelques individus correspondant à la période coloniale Grecque entre les 8ème et 6ème siècles av. JC. par leur similarité génétique avec les anciens Mycéniens de l'Âge du Bronze. Ils ont ainsi identifié des individus issus du site d'Empúries situé dans le nord-est de l'Espagne. Cette colonie Grecque a été fondée par les Phocéens venus de la côte ouest de l'Anatolie eux-mêmes venus de Phocis situé en Grèce continentale. L'ascendance typique des Mycéniens se retrouve également à Ashkelon en Israël, un site archéologique associé aux anciens Philistins, et aussi en Thrace région située à l'est des Balkans.

Le royaume de l'Âge du fer de l'Ourartou est situé dans la région montagneuse de l'est de la Turquie et de l'Arménie dont le paysage linguistique a été complexe pendant l'Âge du Bronze et l'Âge du Fer. Il est daté entre le 9ème et le 6ème siècles av. JC. La population située au centre de ce royaume près du lac de Van est similaire génétiquement à la population précédente de la région. Elle est caractérisée notamment par une proportion importante d’ascendance du Levant et l'absence d'ascendance des steppes. Elle est ainsi différente de la population voisine d'Arménie qui a moins d'ascendance Levantine et un peu d'ascendance des steppes:

2022_Lazaridis3_Figure2A.jpg, sept. 2022

Ces résultats génétiques aident à expliquer la formation des relations linguistiques de la région. La population de la région du lac Van avec une forte composante génétique du Levant, devait parler une langue de la famille hourro-urartéenne. A la périphérie de cette région en Arménie vivait une population avec une certaine proportion d'ascendance des steppes qui devait parler l'Arménien: une langue Indo-européenne.

Les individus du site de Hasanlu près du lac d'Ourmia situé au sud-est du lac de Van et au nord-ouest de l'Iran, ont une certain proportion d'ascendance EHG quoique moins que les anciens individus d'Arménie:

2022_Lazaridis3_Figure2E.jpg, sept. 2022

Cette population est également reliée à celle d'Arménie par la présence de l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-M12149 venue de la population Yamnaya des steppes. Elle est également distincte de la population d'Asie centrale et du sud qui devaient parler une langue Indo-Iranienne et dont l'haplogroupe du chromosome Y dominant était R1a-Z93 tout comme la population actuelle d'Iran. Ainsi les anciens individus de Hasanlu devaient parler une langue Arménienne et non Indo-iranienne. La langue Iranienne a du être introduite en Iran via l'Asie Centrale, et non via le Caucase.

Une précédente étude de paléo-génomique sur l'ancienne Rome avait identifié un décalage génétique vers le Proche-Orient durant la période impériale sans pouvoir identifier le lieu d'origine des migrants. L'étude actuelle permet d'affirmer que ces migrants sont génétiquement similaires aux Romains et Byzantins d'Anatolie:

2022_Lazaridis3_Figure3A.jpg, sept. 2022

De manière intéressante, ils sont également similaires aux individus d'Anatolie de période pré-Romaine, alors que les individus de Rome de l’époque pré-impériale sont génétiquement différents. Ces résultats suggèrent que l'empire Romain à la fois dans sa partie occidentale et orientale a été alimenté démographiquement par une population d'origine Anatolienne.

Certains outliers de la côte Égéenne de Turquie et datés entre le 14ème et 17ème siècles de notre ère ont environ 18% d'ascendance est Eurasienne. Ce résultat suggère une influence d'Asie Centrale. La date de mélange génétique correspond au 11ème siècle de notre ère et donc à l'expansion de l'empire Turque seldjoukide en Anatolie.