Le premier millénaire de notre ère a vu des changements démographiques, culturels et politiques majeurs en Europe dont la montée et la chute de l'empire Romain, des migrations importantes et l'émergence d'institutions médiévales qui ont structuré le monde moderne. La transformation post-Romaine de la Grande-Bretagne a été particulièrement importante avec un changement profond de la culture matérielle, de l'architecture, des pratiques agricoles et de la langue. Le mobilier archéologique pointe vers une source située sur les côtes de la mer du Nord, notamment en Allemagne du Nord (Schleswig-Holstein et Basse-Saxe), au Pays-Bas (Frise) et au Danemark (Jutland). D'après des écrits historiques (voir notamment ceux de Bède le Vénérable), il semble que la population Britto-Romaine a été remplacée par des migrants venus du continent et parlant une langue Germanique. Cependant l'ampleur de ce remplacement est sujet à de nombreux débats.

Joscha Gretzinger et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The Anglo-Saxon migration and the formation of the early English gene pool. Ils ont séquencé le génome de 494 anciens individus d'Angleterre et de la région de la mer du Nord datés entre 200 et 1300 de notre ère:

2022_Gretzinger_Figure1.jpg, sept. 2022

Afin de comparer ces génomes à d'autres génomes d'anciens individus et de populations modernes d’Europe, les auteurs ont effectué une Analyse en Composantes Principales. La figure ci-dessous donne le résultat pour les populations actuelles (à gauche) et pour les anciens individus (à droite). Ainsi la PCA réalisée sur les populations contemporaines est en forme de V avec les populations Scandinaves situées en haut à droite, celles d'Allemagne et des Pays-Bas situées en bas et celles des Îles Britanniques à gauche:

2022_Gretzinger_Figure2.jpg, sept. 2022

Les anciens individus du Moyen-Âge se situent sur un gradient légèrement décalé vers le haut. Ceux des Pays-Bas, d'Allemagne et du Danemark (en orange) se localisent juste au-dessus des populations actuelles de ces pays. A l'inverse, les anciens individus du Moyen-Âge d'Angleterre (en rouge) sont distribués le long du gradient qui relie les populations de l'Âge du Bronze des îles Britanniques (WBI) à celles du Moyen-Âge des Pays-Bas, d'Allemagne et du Danemark (CNE), et la majorité d'entre eux se superposent avec ces dernières.

Ces résultats indiquent que les populations médiévales d'Angleterre ont différentes proportions d'ascendance CNE et WBI. Dans les anciennes populations des îles Britanniques, la proportion d'ascendance CNE est quasiment nulle à l'Âge du Bronze et à l'Âge du Fer. Elle passe à environ 15% pendant la période Romaine, pour atteindre 76% pendant la période médiévale ancienne:

2022_Gretzinger_Figure3.jpg, sept. 2022

Les auteurs n'ont pas trouvé de différence significative dans la proportion de CNE entre les hommes et les femmes. Les individus à forte proportion de CNE ont en général un mobilier archéologique plus riche que ceux à forte proportion de WBI. Mais cela est surtout vérifié pour les femmes, car les hommes à forte proportion de CNE n'ont pas plus de probabilité d'avoir un mobilier archéologique important notamment des armes que les hommes à forte proportion de WBI.

Sur le site archéologique de Buckland situé à Douvres à la pointe sud-est de l'Angleterre, les auteurs ont reconstitué une famille sur cinq générations dont les trois premières sont constituées par des individus composés de 100% d'ascendance CNE à l'exception d'une femme composée de 100% d’ascendance WBI:

2022_Gretzinger_FigureE4.jpg, sept. 2022

Sur le site archéologique d'Apple Down situé plus à l'ouest, les individus à forte proportion de CNE sont situés au centre du cimetière avec une orientation ouest-est, alors que ceux à forte proportion de WBI sont situé en périphérie du cimetière avec un orientation nord-sud.

Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel LOCATOR pour identifier plus précisément la région d'origine des migrants Anglo-Saxons d'Angleterre. Le résultat pointe vers une région allant du nord des Pays-Bas à la pointe sud de la Suède, en accord avec les investigations archéologiques:

2022_Gretzinger_Figure4.jpg, sept. 2022

L'analyse des haplogroupes du chromosome Y montre que si les anciens individus des îles Britanniques de l'Âge du Bronze et de l'Âge du Fer sont en grosse majorité de l'haplogroupe R1b-L21, les anciens individus du début du Moyen-Âge ont des haplogroupes plus variés avec l'apparition de R1b-U106, R1a-M420, I2a1-L460 et I1-M253 que l'on trouve principalement en Europe du nord ou Centrale.

Enfin la comparaison des chromosomes X et Y montre qu'il n'y a pas de différences significatives entre les hommes et les femmes dans leur participation à la migration Anglo-Saxone.

Bien que la plupart des anciens individus d'Angleterre du début du Moyen-Âge peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre les deux sources CNE et WBI, certains individus nécessitent de prendre en compte une troisième source issue d'Europe du sud ou de l'ouest, similaire aux génomes des anciens individus de l'Âge du Fer de France. Cette ascendance se trouve principalement au sud-est de l'Angleterre, notamment sur les sites archéologiques de Apple Down, Eastry, Dover Buckland et Rookery Hill. Cette troisième source est également indispensable pour pouvoir modéliser la population actuelle d’Angleterre comme on peut le voir dans la figure ci-dessous qui modélise la population contemporaine des îles Britanniques en fonction de trois sources: Âge du Fer et période Romaine d'Angleterre, CNE et Âge du Fer de France:

2022_Gretzinger_Figure5a.jpg, sept. 2022

Cette ascendance de l'Âge du Fer de France semble arriver dès le début du Moyen-Âge sur certains sites du sud-est de l'Angleterre. Ailleurs elle semble arriver plus tard.