Les juifs Ashkénazes représentent un groupe culturel ethno-religieux qui émerge au 10ème siècle de notre ère en Allemagne et dans le nord de la France. Depuis cette population s'est dispersée d'abord en Europe de l'est puis au delà de l'Europe. Elle compte aujourd'hui environ 10 millions de personnes. Cette population héberge de nombreuses pathologies génétiques impliquant qu'elle descend d'un petit ensemble d'ancêtres fondateurs. L'origine des juifs Ashkénazes est sujet à de nombreux débats. Il y a deux hypothèses principales: soit ils prennent leur origine d'une population juive présente depuis l'époque Romaine aux frontières de l'Allemagne, soit ce sont des migrants venus d'Italie.

Shamam Waldman et ses collègues viennent de publier un papier en preprint intitulé: Genome-wide data from medieval German Jews show that the Ashkenazi founder event pre-dated the 14 th century. Ils ont séquencé le génome de 33 anciens individus issus du cimetière juif médiéval de la ville d'Erfurt en Allemagne. La communauté juive d'Erfurt existe depuis le 11ème siècle. Elle est la plus ancienne de Thuringe. Durant le pogrom de 1349, de nombreux juifs d'Erfurt ont été assassinés ou bannis. La communauté juive est revenue à Erfurt en 1354. Les individus analysés dans cette étude étaient enterrés dans la partie sud-ouest du cimetière juif médiéval d'Erfurt. Un seul de ces individus montre une trace de violence sur son squelette:

2022_Waldman_FigureS2.jpg, oct. 2022

Parmi ces 33 individus il y a 19 femmes et 14 hommes. Les recherches de parenté ont mis en évidence deux familles. La première comprend une mère avec son fils et sa fille, et la seconde comprend un père et sa fille. Trois autres individus enterrés les uns à côté des autres pourraient être reliés au second degré. La faible qualité de leur génomes empêche d'avoir une certitude sur cette parenté. Néanmoins deux de ces individus sont de l'haplogroupe mitochondrial: U5a1a2a. Les datations radiocarbone indiquent une fourchette comprise entre 1270 et 1400. Il est difficile de savoir si ces individus vivaient avant ou après le pogrom de 1349.

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales pour comparer ces génomes avec ceux des populations actuelles. Dans la figure ci-dessous, les anciens juifs d'Erfurt (en rouge) se positionnent à proximité des juifs Ashkénazes actuels (en vert), mais présentent plus de variabilité:

2022_Waldman_Figure1.jpg, oct. 2022

On peut séparer les anciens juifs d'Erfurt en deux groupes principaux. Le premier (Erfurt-EU) est plus proche génétiquement des Européens et le second (Erfurt-ME) plus proche des populations du Moyen-Orient et des Séfarades.

Les auteurs ont ensuite réalisé une analyse avec le logiciel ADMIXTURE. La figure ci-dessous montre les résultats obtenus pour deux valeurs du paramètre K: 7 et 8. Les résultats révèlent la présence d'une faible ascendance est Asiatique (en jaune pour K=8 et en orange pour K=7) dans le groupe Erfurt-EU qui suggère un flux de gènes est Asiatique ou plus probablement un flux de gènes venus de l'est de l'Europe (et qui inclut une faible proportion d'ascendance est Asiatique) chez certains Ashkénazes:

2022_Waldman_FigureS12.jpg, oct. 2022

L'utilisation de la statistique f4 confirme que les Ashkénazes actuels ont plus d'affinité génétique avec les Européens que les anciens individus du groupe Erfurt-ME, mais moins que les anciens individus du groupe Erfurt-EU. De plus l'affinité génétique avec le groupe Erfurt-ME dans les populations actuelles augmente progressivement lorsque l'on passe des populations d'Europe de l'est aux populations d'Europe de l'ouest, puis aux populations Méditerranéennes et Moyen-Orientales. Enfin les anciens juifs d'Erfurt sont plus proches génétiquement des Ashkénazes actuels que de tout autre groupe juif.

Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel qpAdm pour modéliser la population médiévale juive d'Erfurt en fonction des populations actuelles d'Italie, du Moyen-Orient et d'Europe de l'est (Russie). La plupart des modèles avec une source d'Italie du sud fonctionne. Les valeurs moyennes obtenues sont 68% d'ascendance sud Européenne, 17% d'ascendance Moyen-Orientale et 15% d'ascendance est Européenne. Cependant la véritable contribution Moyen-Orientale est difficile à déterminer car la population du sud de l'Italie inclut déjà une ascendance Moyen-Orientale. Ainsi si on remplace la source sud Italienne par une source nord Italienne, le modèle donne 44% d'ascendance sud Européenne, 44% d'ascendance Moyen-Orientale et 12% d'ascendance est Européenne. Néanmoins ces résultats renforcent l'hypothèse selon laquelle l'origine des juifs Ashkénazes se trouve au moins en partie dans un groupe juif d'Italie du sud:

2022_Waldman_Figure2.jpg, oct. 2022

Il y a cependant une forte variabilité parmi les anciens juifs d'Erfurt comme on peut le voir dans la figure B ci-dessus. Ainsi la composante est Européenne représente 33% des anciens juifs du groupe Erfurt-EU mais est absente chez 9 individus sur 13 du groupe Erfurt-ME.

La variabilité génétique des anciens juifs d'Erfurt pourrait s'expliquer par un événement de mélange génétique en cours ou récent dans cette ancienne population, plutôt que par l'existence de deux groupes distincts. Cependant les résultats des statistiques et des modélisations montrent qu'il s'agit bien de deux groupes d'origine différente présents dans cette population, dont un contenant une forte proportion d'ascendance est Européenne. Les enregistrements historiques de migration de l'époque dans la ville d'Erfurt confirme bien l'existence de migrants juifs arrivant de l'est. Pour tester cette hypothèse, les auteurs ont réalisé des analyses isotopiques du carbone et de l'oxygène qui caractérisent le lieu où les individus ont grandi. Les résultats montrés sur la figure C ci-dessus indiquent bien une distribution différente de ces valeurs dans les deux groupes Erfurt-EU et Erfurt-ME suggérant une origine différente pour ces individus. Il n'y a pas de corrélation entre la position des tombes dans le cimetière et l'affiliation de l'individu a l'un des deux groupes.

L'analyse des haplogroupes mitochondriaux montre que 11 anciens individus d'Erfurt sont de l'haplgroupe K1a1b1a, soit 35% des individus sans relation familiale. Cette fréquence est supérieure à celle de la présence de cet haplogroupe chez les Ashkénazes actuels (20%). Ces 11 individus ont le même haplotype sauf à la position 16223. La variation de l'allèle à cette position indique un ancêtre maternel commun qui vivait il y a environ 1500 ans. Deux autres individus sont de l'haplogroupe K1a9, un est de l'haplogroupe N1b2 et deux autres de l'haplogroupe K2a2a1. Ces haplogroupes mitochondriaux sont considérés comme étant fondateur à la population Ashkénaze.

Les auteurs ont ensuite investigué les segments IBD (identiques par descente) correspondant à un ancêtre commun et les segments d'homozygotie (ROH). Les résultats de l'analyse des segments IBD suggèrent un goulot d'étranglement il y a environ 1000 ans dans la population Ashkénaze. L'analyse des segments ROH à la fois dans l'ancienne population d'Erfurt et dans la population actuelle Ashkénaze montre que la population Ashkénaze ancienne peut être divisée en au moins deux groupes dont un (les ancêtres de la population d'Erfurt) a subi un goulot d'étranglement plus important que l'autre. Ce goulot d'étranglement correspond à une taille effective de la population de 627 individus. Ce groupe a contribué à 52% de la population Ashkénaze actuelle:

2022_Waldman_Figure3E.jpg, oct. 2022

Les auteurs ont ensuite étudié les variants responsables de maladie génétique dans l'ancienne population d'Erfurt. Ils ont ainsi mis en évidence 11 variants associés à des pathologies: le cancer du sein et des ovaires, la maladie de Parkinson, la maladie de Gaucher, le facteur xi ou le facteur Rosenthal, la mucoviscidose, la rétinite pigmentaire, le syndrome d'Usher, la maladie génétique du métabolisme des glucides, le déficit en acyl-coenzyme A déshydrogénase des acides gras à chaîne courte et la fièvre méditerranéenne familiale.

Enfin les auteurs ont investigué la fréquence de certains phénotypes dans l'ancienne population juive d'Erfurt. Ainsi la tolérance au lactose est présente à 11,7%, 55% ont les yeux bleus et 8,3% ont les cheveux roux.

Mise à jour

Ce papier a été définitivement publié en novembre 2022: Genome-wide data from medieval German Jews show that the Ashkenazi founder event pre-dated the 14th century