Le monde Méditerranéen classique était caractérisé par des interactions à longue distance non seulement produites par le commerce et la colonisation mais aussi par les altercations politiques et militaires. Le conflit violent est un thème commun des anciens écrits. Les preuves archéologiques qui relient la Sicile à l'est de la Méditerranée, sont nombreuses depuis au moins le début de l'Âge du Bronze. L'établissement des comptoirs commerciaux Phéniciens sur la côte ouest de la Sicile commence au 9ème siècle av. JC. et fut suivi par la colonisation systématique des Grecs au 8ème siècle av. JC.

Himera était une colonie fondée par les Grecs Ioniens et Doriens vers 648 av. JC. Elle était également habitée par des Siciliens, des populations Puniques et des Étrusques. C'était la colonie Grecque la plus occidentale de la côte nord de la Sicile, comme Sélinonte était la colonie Grecque la plus occidentale de la côte sud de la Sicile. Les textes anciens décrivent deux batailles qui se sont produites à Himera, en 480 et 409 av. JC. et qui ont opposé les Grecs aux Carthaginois. Plusieurs charniers ont été retrouvés dans la nécropole ouest d'Himera et sont supposés contenir les cadavres des soldats qui sont morts durant ces deux batailles. D'après les anciens auteurs, Himera a gagné la bataille de 480 av. JC. à l'aide de ses alliés de Syracuse et d'Agrigente, mais a perdu la bataille de 409 av. JC. A la suite de cette dernière bataille, Himera a été détruite et a cessé de fonctionner. Les anciennes armées Grecques étaient composées essentiellement d'hoplites qui étaient des citoyens Grecs. Le rôle des mercenaires dans cette armée, a toujours été minimisé par les anciens historiens.

Laurie Reitsema et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The diverse genetic origins of a Classical period Greek army. Ils ont analysé le génome de 33 anciens individus de l'ancienne colonie Grecque d'Himera ainsi que le génome de 21 anciens génomes issus des habitats voisins associés aux Sicanes. D'après les recherches archéologiques, 16 échantillons sont associés à des soldats qui ont participé à la première bataille de 480 av. JC., 5 échantillons sont associés à des soldats qui ont participé à la seconde bataille de 409 av. JC., 11 échantillons sont associés à la population civile d'Himera issus de la nécropole occidentale et un échantillon est associé à la population civile d'Himera issu de la nécropole orientale:

2022_Reitsema_Figure1.jpg, oct. 2022

Les résultats montrent que tous les individus considérés comme des anciens soldats sont des hommes. Parmi la populations civile, il y a sept hommes et cinq femmes. Parmi l'ancienne population Sicilienne il y a 19 individus issus du site archéologique de Polizzello daté entre le 9ème et le 8èmme siècle av. JC. et 2 individus issus du site de Monte Falcone à Baucina daté entre le 6ème et 5ème siècle av. JC.

Les auteurs ont effectué une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous les anciens soldats de la bataille de 480 av. JC. sont représentés par des carrés rouge, les anciens soldats de la bataille de 409 av. JC. sont représentés par des carrés bleu, les anciens individus de la population civile de la nécropole occidentale sont représentés par des carrés orange, l'unique ancien individu de la population civile de la nécropole orientale est représenté par un carré vert et les anciens Sicanes par des disques bleu:

2022_Reitsema_Figure2A.jpg, oct. 2022

Ils ont également fait une analyse avec le logiciel ADMIXTURE.

2022_Reitsema_Figure2B.jpg, oct. 2022

Les anciens Sicanes de l'Âge du Fer se regroupent ensemble dans un cluster qui est distinct de la plupart des anciens individus d'Himera. Ils possèdent un profil génétique similaire. L'analyse avec le logiciel qpAdm montre que ces anciens individus sont composés de quatre anciennes ascendance: chasseurs-cueilleurs de l'ouest (6,4%), fermiers d'Anatolie (76,4%), fermiers d'Iran (6,3%) et pasteurs des steppes (10,9%). Par rapport au précédent groupe Sicilien de la fin de l'Âge du Bronze, les Sicanes ont un peu plus d'ascendance Iranienne, ce qui suggère un flux de gènes venus de l'extérieur entre l'Âge du Bronze et l'Âge du Fer. La plupart des anciens Sicanes sont de l'haplogroupe du chromosome Y: G-Z1903. Il y a cependant un individu qui est R1b-DF27 comme les anciens Campaniformes Siciliens.

Les anciens individus de la population civile d'Himera ont tous un profil génétique correspondant à la Méditerranée Centrale ou Orientale. Deux individus se regroupent avec les anciens Grecs de l'Âge du Bonze. Un troisième individu peut être modélisé comme issu d'un mélange génétique entre une population locale Sicilienne (entre 38 et 55%) et une population Punique de Sardaigne (entre 45 à 62%). De manière intéressante la moitié de ces anciens individus possède entre 2,2% et 3,8% d'ascendance Africaine. De manière générale cette population civile d'Himera se superpose sur la PCA avec une bonne partie des soldats ayant participé aux deux batailles, avec cependant une variabilité génétique plus importante.

La majorité des soldats ayant participé aux deux batailles (7 des 16 soldats en 480 av. JC. et tous les 5 soldats en 409 av. JC.) se regroupent avec les anciens Grecs de la fin de l'Âge du Bronze ce qui suggère une forte contribution des anciens Grecs à l'armée d'Himera. Ils sont probablement les descendants directs des premiers colons Grecs de Sicile. Certains d'entre eux sont issus d'un mélange génétique entre une population Grecque et une population Sicilienne suggérant ainsi des intermariages entre les colons Grecs et la population locale.

Cependant neuf soldats ayant participé à la première bataille d'Himera, ont une origine génétique différente. Ainsi deux individus se trouvent en position intermédiaire sur la PCA entre le groupe précédent et une population d’Europe Centrale ou Occidentale. Leur haplogroupe du chromosome Y E-V13 pointe vers une origine dans les Balkans. Deux individus se regroupent avec les populations actuelles d'Europe du nord-est et celles de l'Âge du fer de la région Baltique. Deux individus se regroupent avec les populations de l'Âge du Fer des steppes. Leur haplogroupes mitochondriaux sont A6a d'origine est Asiatique et N1a. Enfin un soldat est dans une position intermédiaire entre les populations des steppes et celles du Caucase. Il est similaire à d'anciens individus de l'Âge du Bronze d'Arménie, et un dernier se regroupe avec les populations du Caucase.

Les auteurs ont également réalisé des analyses des isotopes du strontium et de l'oxygène pour étudier la région dans laquelle ces anciens individus ont grandi. Ainsi tous les individus de la population civile d'Himera, tous les soldats ayant participé à la seconde bataille de 409 av. JC. et une bonne partie des soldats ayant participé à la première bataille de 480 av. JC. ont des résultats compatibles avec une origine locale. A l'inverse tous les soldats ayant participé à la première bataille de 480 av. JC. et de profil génétique similaire aux populations d'Europe Centrale, d'Europe du nord-est, des steppes ou d'Arménie ont une origine non locale. Ces résultats suggèrent que ces anciens soldats étaient des mercenaires. De manière intéressante ces anciens mercenaires étaient tous enterrés dans les charniers numérotés de 1 à 4, alors que les autres soldats étaient enterrés dans les charniers numérotés de 5 à 7 suggérant un lieu d'inhumation corrélé avec l'origine de ces soldats. De plus les charniers numérotés de 1 à 4 étaient plus grands que les charniers numérotés de 5 à 7, et les archéologues ont retrouvé plus de mobilier dans les charniers 5 à 7 que dans ceux 1 à 4 suggérant un plus grand prestige social pour les soldats d'origine locale.