La mobilité humaine peut être un moteur aux changements sociaux-culturels, mais aussi un résultat de ces changements. L'Asie du sud-ouest et l'est de la Méditerranée représentent un cas intéressant pour cette étude. En effet cette région a été un lieu central pour les transformations culturelles et sociales durant l'Holocène avec l'apparition des premiers villages sédentaires, de l'agriculture jusqu'à l'apparition de la métallurgie, des sociétés étatiques, des premières écritures et des premiers empires.

Dilek Koptekin et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Spatial and temporal heterogeneity in human mobility patterns in Holocene Southwest Asia and the East Mediterranean. Ils ont séquencé le génome de 35 anciens individus de cette région qui peut être divisée en cinq sous-régions: l'Anatolie, la région Égéenne, l'Iran, le Levant et le Caucase. Ces nouveaux génomes ont été ajoutés aux autres anciens génomes de la région préalablement publiés. Dans la figure ci-dessous les nouveaux génomes sont représentés par des symboles plus grands entourés par un trait de couleur différente:

2022_Koptekin_Figure1.jpg, déc. 2022

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. La figure ci-dessous montre que les génomes se répartissent plus ou moins selon leur origine géographique. En effet la première composante sépare le nord (à gauche) du sud (à droite) et la seconde composante sépare l'est (en haut) de l'ouest (en bas):

2022_Koptekin_Figure2.jpg, déc. 2022

Cependant cette différentiation évolue au cours du temps. En effet comme on peut le voir avec l'analyse avec le logiciel qpAdm et la figure ci-dessous, les anciens génomes peuvent être décrits comme un assemblage d'ascendances issues des périodes précédentes. Ces résultats suggèrent des événements de mélanges génétiques qui apparaissent au cours du temps:

2022_Koptekin_Figure3.jpg, déc. 2022

En Anatolie, l'ancien génome de Musular daté de 9100 ans peut être modélisé comme issu d'un mélange génétique entre une population précédente du Néolithique acéramique du centre de l'Anatolie, une population issue du Levant et une population issue du Zagros en Iran. A la fin du Néolithique, les anciens individus peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population du Néolithique précédent (70 à 80%) et une population du Zagros (20 à 30%). Les génomes de la période médiévale Ottomane montrent ensuite l'apparition d'une ascendance issue des bords du lac Baïkal dans l'est de l'Asie.

Les génomes de la région Égéenne sont similaires à ceux d'Anatolie au début du Néolithique. Cependant à la transition entre le Néolithique et l'Âge du Bronze on voit apparaître des flux de gènes issus d'Iran ou du sud Caucase (12 à 20%), et des steppes avec l'apparition de l'ascendance EHG des chasseurs-cueilleurs de l'est de l'Europe (0 à 25%).

En Iran, on voit apparaître au Néolithique une ascendance Anatolienne qui est plus élevée à l'ouest et plus faible à l'est. Au Chalcolithique, on voit également apparaître une ascendance EHG, une ascendance Sibérienne et même une ascendance issue d'Asie du sud. Ces résultats supportent des influences venues d'Asie Centrale en accord avec les vestiges archéologiques.

Le sud du Caucase montre l'apparition importante d'une ascendance Anatolienne avec l'arrivée du Néolithique dans la région. Durant l'Âge du Bronze apparaît une ascendance EHG liée à des migrations venues des steppes.

Enfin au Levant, les populations Néolithiques et post Néolithiques voient l'apparition des composantes Anatoliennes et Iraniennes à diverses proportions.

En conclusion, les génomes du Néolithique et du Chalcolithique montrent un partage d'ascendances des différentes populations de la région. Ces résultats suggèrent des mouvements de populations significatifs d'une partie à l'autre de la région étudiée, à cette époque. Cela a conduit à une homogénéisation génétique des différentes populations qui se traduit sur la PCA par une convergence des échantillons vers le centre de la figure au cours du temps. Cependant à la fin de la période étudiée, on voit apparaître des ascendances venues de l'extérieur de la région: Europe de l'est, région Baïkale, ouest de la Sibérie ou Asie du sud. Ces influences peuvent être limitées ou plus persistantes selon le cas.

Ces résultats doivent se traduire par une augmentation de la diversité génétique à l'intérieur de chacune des régions investiguées au cours du temps. C'est effectivement ce qui est mesuré par les auteurs lorsqu'ils tracent l'évolution de la distance génétique au cours du temps dans chacune des cinq sous-régions:

2022_Koptekin_Figure4.jpg, déc. 2022

Les auteurs ont ensuite étudié l'évolution de la distance génétique d'une région à l'autre. Comme il y a une homogénéisation génétique, cette distance diminue au cours du temps comme on peut le voir dans la figure ci-dessous:

2022_Koptekin_Figure5A.jpg, déc. 2022

Cette décroissance est plus intense au début de l'Holocène. Cependant l'utilisation de la distance génétique peut être problématique pour interpréter la mobilité humaine, car cette statistique est influencée par la diversité à l'intérieur de chacune des populations étudiées, l'augmentation de la taille des populations au cours du temps ou les flux de gènes venus de régions lointaines. La statistique f3 peut être un meilleur outil pour investiguer les flux de gènes entre deux groupes. Ainsi la courbe ci-dessous montre que si la différentiation génétique dans la région étudiée diminue au début de l'Holocène, elle remonte dans la seconde partie de la période probablement à cause de l'augmentation de la diversité génétique à l'intérieur de chacune des cinq sous-régions étudiées au cours du temps:

2022_Koptekin_Figure5B.jpg, déc. 2022

Ces résultats suggèrent deux processus démographiques successifs. Le premier implique une forte mobilité à l'intérieur de l'Asie du sud-ouest et de l'est de la Méditerranée au début du Néolithique. Le second implique des flux de gènes venus de régions plus lointaines: migration issue des steppes, influences de l'Asie Centrale, puis de la Sibérie.

Pour finir, les auteurs ont étudié la question d'un éventuel biais sexuel dans la mobilité humaine dans la région. Ils ont commencé par analyser l'évolution des fréquences des haplogroupes uni-parentaux au cours du temps. Les résultats montrent qu'il n'y a pas de différence significative au cours du temps dans la fréquence des haplogroupes mitochondriaux. A l'inverse, il y a plus de changement dans la répartition des haplogroupes du chromosome Y au cours du temps:

2022_Koptekin_Figure6A.jpg, déc. 2022

Ces résultats suggèrent une plus grande mobilité chez les hommes par rapport aux femmes.

Ensuite, la comparaison des distances génétiques entre les autosomes et le chromosome X montre qu'au début du Néolithique (disques dans la figure ci-dessous) la distance génétique sur le chromosome X augmente plus vite que celle sur les autosomes, alors qu'à la fin du Néolithique (symboles contenant une croix inscrite dans un carré ci-dessous) c'est le contraire:

2022_Koptekin_Figure6B.jpg, déc. 2022

Ces résultats suggèrent que si au début du Néolithique les femmes ont plus bougé que les hommes, c'est l'inverse à la fin du Néolithique. Cela rappelle les différents processus de mobilité observés en Europe: les femmes bougent plus durant le Néolithique pour des raisons sociales liées à la patrilocalité. Ensuite, à la fin du Néolithique, les migrations issues de steppes ont montré que les hommes bougeaient plus que les femmes.