La mer Égée a toujours été une région d'importance majeure pour comprendre les transformations des sociétés entre l'Europe et le Proche-Orient. Dès le septième millénaire av. JC le Néolithique émerge dans la région Égéenne, notamment en Crète. Ensuite au début de l'Âge du Bronze une transformation majeure intervient dans cette région. Des sociétés complexes émergent, caractérisées par des architectures sophistiquées, la métallurgie, la technologie maritime et l'intégration de cette région dans un réseau d'échange à l'échelle de la Méditerranée. A la fin du troisième millénaire av. JC. la Grèce continentale subit une rupture sociétale sévère. Cet événement a été attribué à divers facteurs comme la détérioration du climat ou l'arrivée d'une nouvelle population. Par comparaison la Crète n'a pas subi de dommages aussi importants à la même époque. Quelques siècles plus tard, les premières riches tombes en puits apparaissent dans le sud de la Grèce continentale montrant des influences Minoennes. La compétition entre ces nouvelles élites a conduit à des conflits régionaux, à la disparitions de nombreuses chefferies locales et aux premières expéditions vers la Crète dès le quinzième siècle av. JC. A la fin de cette période de troubles, la période palatiale débute avec quelques centres politiques à Mycènes, Tirynthe, Pylos, Athènes, Hagios Vasileios en Laconie, Thèbes, Orchomène en Béotie et Dimini. A cette époque, l'influence continentale sur la Crète s'intensifie et les ressources Crétoises sont largement exploitées par des comptoirs situés à Knossos, Hagia Triada ou Chania.

Les premières études de paléo-génétique dans cette région ont montré un profil génétique commun dans toute la région Égéenne au Néolithique et aussi une différence entre les population du sud et du nord de la Grèce dans leur affinité avec les anciennes populations du Caucase et d'Iran, notamment à l'Âge du Bronze. Elles ont montré également que les populations Mycéniennes de Grèce continentale avaient reçu un flux de gènes venu des steppes Eurasiennes occidentales. Les populations du nord de la Grèce de cette époque ont de plus davantage d'ascendance steppique que celles du sud.

Eirini Skourtanioti et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient DNA reveals admixture history and endogamy in the prehistoric Aegean. Ils ont séquencé le génome de 102 anciens individus de la région Égéenne entre le Néolithique (6), l'Âge du Bronze (95) et l'Âge du Fer (1). La plupart de ces nouveaux génomes viennent de Crète (66):

2023_Skourtanioti_Figure1.jpg, janv. 2023

Les auteurs ont effectué une Analyse en Composantes Principales. Les six individus du site Néolithique d'Aposelemis en Crète (carrés oranges) se regroupent avec les autres anciens fermiers d'Anatolie et d'Europe suggérant que les fermiers de Crète appartenaient à la même population Néolithique Égéenne. Ensuite les individus du début et du milieu de l'Âge du Bronze (symboles verts) montrent un décalage vers les anciennes populations d'Iran et du Caucase. Ce décalage n'est pas uniforme mais montre une forte diversité selon les individus. Enfin les individus de la fin de l'Âge du Bronze (disques bleus foncés) montrent un décalage vers les populations de l'est et du centre de l'Europe:

2023_Skourtanioti_Figure2.jpg, janv. 2023

Ces résultats sont confirmés par les statistiques f3 et f4. Les auteurs ont ensuite réalisée une analyse avec le logiciel qpAdm pour étudier les différents modèles de mélanges génétiques. Les individus du début ou du milieu de l'Âge du Bronze (sauf deux individus du nord de la Grèce) montrent un mélange génétique entre les anciens Néolithiques de la région et une population d'Iran ou du Caucase. Les individus de la fin de l'Âge du Bronze montre en plus une composante steppique caractérisée par une ascendance des anciens chasseurs-cueilleurs de l'est de l'Europe (EEHG):

2023_Skourtanioti_Figure3.jpg, janv. 2023

La composante Iranienne apparaît dans la région dès la fin du Néolithique. L'utilisation du logiciel DATES montre que le mélange génétique entre la population Néolithique Égéenne et la population Iranienne date en moyenne de 4300 ± 250 av. JC. Cependant ce mélange génétique est plus récent pour les individus de Nea Styra sur l'île d'Eubée: 3900 ± 460 av. JC. Cette variance est due à l'arrivée progressive d'individus venus de l'est dans la région Égéenne à cette époque. Les différents modèles obtenus permettent de montrer que la meilleure population source orientale pour ce mélange génétique est différente si on considère la population du sud de la Grèce et des îles environnantes ou celle de Crète. Pour la population du sud de la Grèce et des îles environnantes la population source est la population de la fin du Chalcolithique et du début de l'Âge du Bronze du Caucase (26,7%) . Pour les anciens individus de Crète, c'est la population de la fin du Chalcolithique et du début de l'Âge du Bronze d'Anatolie (43,2%) à laquelle il faut cependant rajouter environ 5% d'ascendance ouest Iranienne comme on peut le voir dans la figure b ci-dessus.

Les auteurs ont refait des analyses de mélange génétique avec le logiciel qpAdm pour les anciens individus de la fin de l'Âge du Bronze. Ils ont utilisé plusieurs populations source pour identifier l'origine de l'arrivée de la composante steppique. La plupart des populations d'Europe de l'est ou centrale convient. Il n'est donc pas possible de déterminer cette source avec précision. Au sud de la Grèce le pourcentage de population Européenne est en moyenne de 22,3%. Dans le nord de la Grèce il atteint 43 et 55% à Logkas:

2023_Skourtanioti_Figure4a.jpg, janv. 2023

En Crète, ce pourcentage varie de 0 à 40% formant ainsi trois groupes distincts.

Les auteurs ont ensuite comparer le pourcentage d'ascendance steppique entre le chromosome X et les autosomes. Ils ont ainsi mis en évidence un biais suggérant l'arrivée de davantage d'hommes que de femmes avec cette ascendance steppique comme cela a déjà été mis en évidence ailleurs en Europe. Cependant seuls quatre hommes sur 30 datés d'après le 16ème siècle av. JC., sont de l'haplogroupe du chromosome Y typique des steppes R1a ou R1b. Les haplogroupes du chromosome Y dominants sont J et G caractéristiques du Caucase et d'Anatolie.

Les auteurs ont ensuite étudié les éventuelles relations familiales entre les anciens individus de la région Égéenne. Ainsi dans la tombe collective de Mygdalia situé au nord du Péloponnèse, et de l'époque Mycénienne, contenant huit enfants périnataux, six sont des enfants ou petits-enfants d'un même couple. Un septième individu est relié au troisième degré avec un de ces six enfants:

2023_Skourtanioti_Figure5.jpg, janv. 2023

A Aidonia dans le Péloponnèse et à Hagios Charalambos en Crète, il y a plusieurs paires d’individus reliés du premier au troisième degré. Les auteurs ont également mis en évidence un très grand nombre de cas de consanguinité (50%) chez les anciens individus de Hagios Charalambos. La plupart de ces cas sont formés par des couples de cousins germains. Ainsi cette communauté de Crète devait former une société endogame basée essentiellement sur le mariage entre cousins. Mais le cas d'Hagios Charalambos n'est pas unique dans la région Égéenne. Ainsi environ 30% des individus montrent un degré de consanguinité équivalent à un mariage des parents entre cousins au premier ou au second degré entre le Néolithique et la fin de l'Âge du Bronze. Cette proportion est même plus importante (50%) dans les petites îles comme Salamis, Lazarides, Koukounarieset et Koufonisia. Cette forte proportion de consanguinité dans la région Égéenne est un cas unique parmi toutes les anciennes populations étudiées jusqu'à maintenant. Cette caractéristique ne correspond pas à une population de petite taille comme le montre l'analyse des longueurs de segments homozygotes (ROH), mais semble bien un trait qui caractérise cette société et ses pratiques maritales.